omega95
Vous pouvez mettre des majuscules, mais la réalité est qu'on ne LIT pas vraiment ou pas beaucoup Voltaire. Mais c'est pas grave, je m'explique :
Le bagage basique du bachelier (pour prendre un repère objectif) qui n'a pas séché les cours de français, ce sont les Contes philosophiques (le plus connu étant Candide), et peut-être quelques extraits des Lettres anglaises. (ou Lettres philosophiques, c'est le même texte). Ca doit s'étudier en Seconde ou en Première.
C'est tout ce qu'on lit. En Terminale, il n'est pas au programme en philosophie.
https://la-philosophie.com/le-programme-de-philosophie-en-terminale
La liste des auteurs philosophiques figure à la fin du document. Voltaire en est absent alors qu'on trouve, dans la même époque, Condillac par exemple, qui est beaucoup moins connu. A croire que l'Inspection de philo ne fait pas grand cas de son envergure philosophique et que la nécessité de le lire ne lui est pas apparue. (J'ai été regarder le programme précédent pour voir s'il avait été biffé mais non, dans l'ancien programme, il ne figurait déjà pas). Donc l'institution même qui dispense la culture populaire le marginalise.
C'est pas grave parce que Voltaire est autre chose qu'un écrivain ou un philosophe. C'est un esprit. L'esprit voltairien. On en parle en histoire parce que cela a eu une grand influence sur l'idéologie de la France à la fin du 18ème et pendant tout le 19ème siècle.
On ne me soupçonnera pas de complaisance exagérée envers Plariste, mais il a entièrement raison et en parlant de Révolution, de comparaison avec Rousseau, il met dans le mille (aaah ! Rousseau, dans le mille (Emile), jeu de mots, humour, calembour bon, intense rigolade...).
Voltaire, son esprit, c'est celui de la bourgeoisie la plus avancée qui se déchristianise, qui en a marre qu'on l'empêche de faire du commerce et du pognon avec des vieilleries religieuses anti-progressistes (1). Le parallèle entre Danton (ou Fouché) et Robespierre peut être éclairé par là. Pour Robespierre, la déchristianisation est une connerie d'abord sur le plan politique, et un truc de gros richards sur le plan social.
Mais le pauvre ne pouvait pas faire grand chose : constatant que la déchristianisation avait atteint un niveau très élevé en France (effet de l'idéologie "voltairienne" mais pas seulement : ce n'était pas réservé à la grande bourgeoisie parisienne, il y avait dans les provinces des signes très inquiétants, venant de gens qui ne savaient pas lire et n'avait donc pas LU Voltaire). Voyant ce qui était à ses yeux une catastrophe, Robespierre a essayé de mettre un peu de religion, pas chrétienne, ça ne tenait pas la route, mais un truc rousseauiste, la religion civile (Voir Contrat social IV, ch.8) qu'il a appelé le culte de l'Etre Suprême. Inutile de dire que ses tentatives, quand elles ne furent pas reçues avec des insultes (Robespierre se prend pour Dieu, maintenant, c'est un tyran) furent accueillies avec une méga-rigolade, même parmi certains de ses copains.
A noter que le persiflage est la caractéristique principale du voltairisme. L'argument quasi unique de Voltaire, c'est le ricanement. Dans les quelques textes que j'ai cités dans le bagage, Candide, les Lettres anglaises comme dans le reste, il ne réfute jamais ses adversaires, il les ridiculise. Il s'en prend en particulier à Leibniz, à Pascal, et derrière eux à Augustin, en fait, auteurs qui, eux, sont dans la liste des philosophes sérieux pour le Bac, supposant qu'il a fait le taff en se contentant de se foutre de leur gueule.
Dans le paysage intellectuel d'aujourd'hui (ou d'hier), il n'y a guère que Philippe Sollers qui se réfère encore à Voltaire et nous enjoigne de le lire. Sollers étant lui-même un spécialiste du foutage de gueule à tous les étages (littéraire, politique, théologique). Ancien maoïste virant ultra-libéral sans critiquer son maoïsme d'antan, fervent admirateur de la papauté et pape lui-même de la pornographie, etc.
(1) Comme cela a été mentionné à juste titre, le principe chrétien comme quoi l'homme est une créature de Dieu, et en conséquence pas un objet qu'on peut acheter ou vendre, mais à qui on doit le respect et l'amour, ce principe fait chier quand on veut faire du busyness en tuant les nègres au boulot. On va donc inventer l'idée que ce sont des sous-races, des sortes de singes, en contradiction manifeste avec les idées chrétiennes les plus évidentes.