FIGAROVOX: Le climat est à la dénonciation d'un «retour du fascisme», notamment par des groupuscules d'extrême-gauche qui s'autoproclament «antifas». Que vous inspire cette crainte? Le fascisme en tant que mouvement politique est-il mort ou peut-il renaître de ses cendres?
Frédéric LE MOAL :- Si je voulais répondre par une boutade, je dirais qu'il n'y a jamais eu autant d'antifascistes depuis que le fascisme a disparu. Plus sérieusement, je considère que le fascisme est mort en tant qu'idéologie de masse, et ce pour plusieurs raisons. La première vient bien sûr des horreurs de la Seconde Guerre mondiale et du cortège de tueries auxquels le nazisme et son comparse italien ont associé leur nom, ce qui provoque un rejet total. Ensuite le fascisme a constitué une réponse à plusieurs problématiques qui ont complètement disparu de nos jours: la crise de la modernité libérale de la fin du XIXe siècle, le problème de l'intégration des masses dans des systèmes politiques encore peu démocratiques, le cataclysme qu'a constitué la Grande Guerre (les fascistes, c'est la génération du front qui prend le pouvoir), la peur du bolchevisme et la crise de l'après-guerre. Tout cela a disparu dès 1945. Certes il existe encore des groupuscules se réclamant haut et fort du fascisme mais ce sont justement… des groupuscules! Nous faisons face à de nouvelles problématiques, à de nouvelles contestations qui n'ont rien à voir avec celles du fascisme. Il faudrait juste faire un effort sémantique.
FIGAROVOX: Pourquoi selon vous la peur du retour du fascisme fait-elle tant recette ?
Frédéric LE MOAL :-Personne aujourd'hui ne peut croire à une résurgence du nazisme et le communisme bénéficie d'une telle indulgence mémorielle qu'il n'effraye pas ou guère. Reste le fascisme et surtout l'antifascisme dont la gauche s'est emparée dès les années 1920. En outre, comment l'antifascisme pourrait-il vivre sans le fascisme? Ce combat est un puissant instrument d'instrumentalisation politique et un formidable levier de mobilisation, encore de nos jours. Enfin, une fois l'étiquette fort pratique et facile de fasciste accolée à l'adversaire politique, plus besoin de polémiquer avec lui. Il est enfin plus facile d'insulter de fasciste un adversaire que de réfléchir à son idéologie.
Frédéric Le Moal, docteur en histoire (Paris IV-Sorbonne), professeur au lycée militaire de Saint-Cyr