Voilà pourquoi on aime le Giro.
D’abord pour ses Alpes, peut-être encore plus chavirantes de beauté que les francese, plus sauvages, moins peuplées, moins construites. Elles donnent en profondeur que les nôtres leur reprennent en hauteur.
Ensuite pour ses tiffosis, incomparables dans la passion, délirants, étouffants, tellement humains, si délicieusement humains.
On l’aime aussi pour sa langue, qui chante, qui chambre, qui respire, qui vocifère. Nul ne sait crier ou chanter comme un italien, la Scala.
Et puis il y a sa carrera, toujours moins guindée, toujours plus ouverte, moins académique et plus spontanée que celle que l’on doit à son grand rival, le roi des Tours, celui de la France.
Une étape grandiose, pas une seconde d’accalmie entre le San Bernardino et l’arrivée à Alpe Motta.
C’est d’abord Bardet qui sonne la révolte dans la descente vers Splugen, suivi de Caruso et Bilbao. Fantastique Bilbao, se dépouillant comme jamais pour son leader. Quand on est né à Guernica, on sait souffrir, il est vrai.
Et puis viennent les grenadiers qui tirent Bernal vers le Spluga. Castroviejo à la planche, les tripes sur le guidon. Il tient.
Le col est franchi, pluie, vent, neige, froid, le boulot quoi. Reste à ramener le patron et sa fusée auxiliaire, Martinez, au pied de Motta. Et ce n’est pas si simple, parce que si Martinez grimpe comme une chèvre, il descend aussi comme une enclume. On l’attend, le vieux Castro organise la file, donne ses consignes et se retire. Mission accomplie, une fois de plus.
Et alors l’enclume laisse la place à la chèvre. Calé dans le sillon caprin, Bernal se laisse hisser vers l’arrivée à une vitesse et un rythme qui écœurent Vlasov, Almeida et Yates. Le ménage est fait par le domestique qui a vissé durant six bornes qui feront date, Bernal peut alors prendre son premier mètre de vent sous la flamme rouge. Quelle équipe que la sienne.
Devant Caruso se débarrasse d’un Bardet semblant un peu perdu au milieu des tornades, mais pas si mal finalement. Il sera payé d’une place au Giro dans les 5. Longtemps qu’on ne l’avait pas vu autant à son avantage.
Et Caruso triomphe. Méritissima. Avec un nom pareil, l'orchestre ne pouvait que terminer allegro, presto, prestissimo.
Il aura tout fait ce jour, tout tenter, tout voulu tout réussi. Quelle classe, quel panache. Mais si l’on doit ne retenir que quelques notes de son oeuvre, elles seront les trois petites tapes sur le dos d’un Bilbao exténué, exsangue, vidé qui s’écarte au pied de l’Alpe Motta après avoir donné le dernier coup de pédale pour propulser son leader.
Tout le vélo est dans ce geste.