« Banlieusardisation » : de plus en plus de populations issues de l’immigration maghrébine ou subsaharienne s’installent dans les villes à la périphérie des métropoles
En quête de logements sociaux à bas coût, les ménages modestes s’éloignent de Paris, où ils importent leurs codes. Pour le politologue Jérôme Fourquet, de plus en plus de populations issues de l’immigration maghrébine ou subsaharienne s’implantent dans les villes de province. C’est selon lui une des raisons qui expliquent les émeutes survenues dans ces villes après la mort du jeune Nahel après un refus d’obtempérer.
La violence s’en est allée comme elle était venue : trois nuits d’émeutes , fin juin, et puis plus rien. Les semaines ont passé. On oublierait presque l’événement, même, sans les débris calcinés du centre social à l’orée du quartier. L’inauguration devait avoir lieu en janvier 2024 ; le public suivait l’avancée des travaux depuis les Algeco qui abritent les locaux provisoires du centre social, de l’autre côté de la place. « Une dame est venue nous voir en rentrant de ses vacances, elle en pleurait, soupire Sylvie, animatrice depuis vingt ans. Jamais on n’aurait cru vivre un truc pareil. » […]
L’une des manifestations de cette « banlieusardisation » des villes de province, que le politologue Jérôme Fourquet compte parmi les causes de la flambée nationale qu’a connue le pays après la mort du jeune Nahel. Soit une dynamique démographique qui, explique-t-il, pousse depuis une dizaine d’années des « populations modestes ou paupérisées, issues de l’immigration maghrébine ou subsaharienne, dans des villes de très grande périphérie francilienne ou de périphérie lyonnaise ».
« Dans les années 1970 et 1980, ajoute Jérôme Fourquet, la forte activité industrielle de ces villes a entraîné l’édification de logements sociaux. Puis les usines ont perdu en vitalité économique et les populations ont déserté ces barres d’immeubles, moins occupées. » Selon le politologue, la réforme d’attribution du logement social a également modifié la donne. Alors qu’auparavant, les demandes étaient formulées sur une base départementale, elles le sont désormais sur une base nationale. « Avant, on vous attribuait un logement en fonction de la place disponible dans votre département, poursuit-il. Désormais, les logements proposés sont ceux qui sont vacants et bon marché dans ces villes de province. » […]
« Quand on a grandi dans le 9-3 on se rend bien compte qu’ici on est à la campagne, ça n’a rien à voir », commente Youssef depuis l’un des cafés. « C’est un truc de gamins, ajoute Youssef, une canette de Redbull à la main. Ils ont voulu faire les malins, imiter ce qu’ils voyaient sur les réseaux sociaux. Moi, c’est surtout le centre social qui me dégoûte : il était fait pour les mères, pour les enfants. Et en même temps je peux comprendre : les petits se sont dit que ce qui était arrivé à Nahel aurait pu leur arriver aussi. » […]
Car la banlieurisation, estime Jérôme Fourquet, « booste la dynamique frontiste dans les zones rurales et périurbaines autour de ces villes concernées ». Les habitants historiques de ces villes voient avec inquiétude la population changer : de nouveaux commerces, de nouveaux codes vestimentaires, l’apparition, parfois, d’une petite délinquance ou de points de deal… « Les quartiers populaires de ces villes conservent une mixité ethnique, et les Kevin et Matteo dont parlait Gérald Darmanin sont toujours là, mais ce mouvement fragilise socialement des villes qui, comme Creil ou Compiègne dans l’Oise, subissent déjà des difficultés économiques, souligne Laurent Chalard, docteur en géographie à l’université Paris 4-Sorbonne. Les centres-villes de ces communes se sont paupérisés, aussi, puisque leurs habitants sont partis habiter dans des pavillons à la périphérie. Les centres commerciaux les ont suivis… Nous pouvons parler de “ghettoïsation” des villes périmétropolitaines. » […]
Au coeur de l’été, à Chateau-Thierry, après 20 heures, du rap marseillais s’échappe des voitures. Une poignée de moto-cross tournent bruyamment. Une présence peu dangereuse, mais suffisamment inhabituelle et nuisible pour inquiéter les habitants historiques de Château-Thierry, habitués au calme d’une petite ville de province. « La rue Carnot devient infréquentable le soir », assure Lisa, la boulangère. À ses côtés, Françoise, qui a servi derrière le comptoir pendant des années avant de prendre sa retraite, vient tuer le temps. « Avant, il y avait de grandes familles de vignerons à Château, une autre ambiance, se souvient-elle. Puis les retraités comme moi ont déménagé dans les villages alentour pour trouver du calme. Désormais, ce n’est plus la même population. Et ça m’angoisse. Quand un magasin ferme, on se dit : pour ce qui va s’installer… » […]
La moitié des logements sociaux de Château-Thierry ont déjà été rénovés depuis 2017. Le maire n’a pas la main, cependant, sur la construction de 200 logements sociaux chez son voisin, à Brasles. En province, il est plus rapide de demander un regroupement familial, dans des appartements moins chers. Les demandes sont donc nombreuses. […]