Et maintenant ceux qui seraient gagnants dans cette recomposition du Moyen-Orient.
_ KURDISTAN : Dans le cas d'une partition de la Syrie et de l'Irak, on aurait deux nouvelles entités territoriales basées sur une population kurde. Ils auraient le contrôle de champs de pétroles en Irak et en Syrie donc de quoi financer une reconstruction. On pourrait très bien avoir deux états qui restent distinct, comme un état fusionné qui rassemblerait les kurdes de Syrie et d'Irak. La Turquie pourrait accepter cet état à condition qu'il n'interfère pas dans ses affaires intérieures (la forte minorité kurde de Turquie), et surtout si le nouvel état kurde lui fournit du pétrole bon marché. Lieu de passage de gazoducs et oléoducs en provenance du Moyen-Orient, il y aurait des contreparties financières.
_ SUNNISTAN : Je reprends ce terme faute de mieux pour désigner les nouveaux états arabes bâtis sur les ruines des territoires contrôlés par Daech en Irak et en Syrie. Peuplés d'arabes sunnites, gouvernés par des arabes sunnites, ce ou ces états seraient stables, ils auraient des champs de pétrole en Irak et en Syrie donc de quoi financer la reconstruction. Lieu de passage de gazoducs et oléoducs en provenance du Moyen-Orient, il y aurait des contreparties financières.
_ ARABIE SAOUDITE : Ce pays est toujours gagnant quand certains de ses voisins les plus puissants (voire hostile) sont affaiblis militairement et économiquement. Le redécoupage de l'Irak et de la Syrie, ainsi que l'encerclement progressif de l'Iran ennemi juré serait une grande victoire pour les Saoudiens. Une extension du réseau d'oléoduc vers la Turquie et l'Europe pourrait offrir des débouchés très intéressants.
_ ISRAËL : Même couplet que pour les saoudiens. Ce pays est toujours gagnant quand certains de ses voisins les plus puissants (voire hostile) sont affaiblis militairement et économiquement. Le redécoupage de l'Irak et de la Syrie, ainsi que l'encerclement progressif de l'Iran ennemi juré serait une grande victoire pour les israéliens. De gigantesques projets gaziers sont prévus au large d’Israël, et bien qu'ayant peu d'amis au Moyen-Orient les perspectives de bénéfices pourraient mettre de côté les différends territoriaux ou religieux. Une extension du réseau de gazoducs vers la Turquie et l'Europe et d'autres pays du Moyen-Orient dépourvus de gaz pourrait offrir des débouchés très intéressants. Corrélativement Israël pourrait signer des contrats qui sécuriserait son approvisionnement en pétrole depuis certains producteurs de pétrole au Moyen Orient.
_ TURQUIE : Un pays qui a beaucoup à gagner dans ce conflit. La Turquie est vraiment au carrefour de grands ensembles géopolitiques et civilisations. Elle a une position clé qui verrouille le passage entre les puissances de l'UE, le Moyen-Orient, la Russie. Je pense que la Turquie a bien compris qu'elle est le point de passage obligé de tous les hyper projets d'oléoducs et gazoducs : elle pourrait faire transiter vers l'UE le pétrole et le gaz depuis les pays de la mer Caspienne (Azerbaïdjan, Turkménistan, Kazakhstan) via la Géorgie, depuis tout le Moyen-Orient (Arabie Saoudite, Qatar, Koweït, Émirats, Israel, etc) via l'Irak et la Syrie.
La Turquie pourrait à l'avenir non seulement priver la Russie de ses clients en hydrocarbure traditionnels en Europe, mais elle peut à tout moment en plus fermer l'accès de la Russie à la Méditerranée en cas de tensions et conflits, ce qui lui vaut les faveurs de l'OTAN pour contenir la puissance russe.
Elle est le point de passage privilégié des migrants grâce à son territoire situé en Europe près de la frontière grecque et bulgare ce qui peut lui donner encore des atouts supplémentaires par rapports à l'UE.
Elle peut jouer très habilement de sa position géostratégique clé pour obtenir des contre parties et avantages divers.
L'un des plus important c'est évidemment sa place au sein de l'OTAN qui lui permet d'accéder à des armements modernes, conformes aux normes de l'OTAN, et surtout qui la protège en cas d'agression de la part d'un pays tiers.
La Turquie pourrait négocier des accords avantageux, un pacte avec le nouveau Kurdistan syrien et irakien. En échange d'une reconnaissance officielle et non agression, la Turquie pourrait demander du nouveau Kurdistan qu'il ferme sa frontière et lutte contre les kurdes turques en rébellion de plus en plus ouverte contre la Turquie. La Turquie pourrait offrir un passage et un débouché très proche pour le pétrole kurde, ainsi le Kurdistan enclavé bien à l'intérieur des terres n'aurait pas de problèmes pour exporter son pétrole (c'est ce qui se passe sans doute de manière informelle et non contractuelle aujourd'hui).
La Turquie vient de normaliser ses relations avec Israël suite à l'attaque d'une flottille "humanitaire" turque en direction de Gaza il y a quelques années. Les vieilles affaires sembles enterrées, et les turcs et israéliens semblent prêts à coopérer je pense notamment avec le développement de grands projets gaziers offshore israéliens. Ainsi la Turquie ne dépendrait plus du gaz russe et pourrait fermer la porte au projet gazier russe Southstream vers le sud de l'Europe.
Il faut aussi parler aussi de possibilités moins probables mais toujours possible malgré tout : le nouveau nationalisme turc.
Recep Tayyip Erdoğan a été premier ministre de 2003 à 2014, puis président. C'est un homme qui semble avoir une vision, un projet pour la Turquie. Tenté par une dérive autoritaire, il pourrait bien verrouiller tous les pouvoirs et être tenté par un nationalisme, un expansionnisme, et qui sait restaurer la grandeur de l'empire ottoman, du califat.
Si par exemple il y avait des tentations de rapprochement entre kurde turques d'une part, et kurdes syriens et irakiens d'autre part, la Turquie pourrait bien invoquer un droit à l'autodéfense, une agression et ainsi annexer purement et simplement le Kurdistan syrien et irakien.
Il y aurait sans doute encore d'autres choses à dire, mais il y a de quoi réfléchir.