Puisque le sujet se prolonge, venons-en à Bardot elle-même et sur ce que l'on peut en dire, au moins d'après moi.
Il y a d'abord un premier aspect : ce qu'on appelle le "mythe" Bardot. Il y a une ample littérature là-dessus et chacun peut s'en référer à ce qu'il en sait sans savoir forcément comment (comment il le sait, je veux dire) par lui-même.
Qui est quoi ? Une très belle femme, OK. Mais il y a des millions de très belles femmes. Ici, c'est une très belle femme mais qui n'est pas une vamp.(Or, le modèle "hollywoodien", à l'époque, c'est la vamp : belle femme aussi, genre Lauren Bacall ou Jean Harlow, mais qui vous "perdent" parce qu'il y a un truc vicieux derrière, elles veulent vous utiliser, etc.) Y a pas de mystère derrière, elle ne va pas vous entraîner vers des choses obscures. Elle ne cherche rien, pas spécialement à séduire et si elle rend les mecs dingues (comme dans Et Dieu créa la femme), ce n'est pas parce qu'elle le veut, ou parce qu'elle fait quoi que ce soit pour cela, c'est seulement en raison de ce qu'elle est. (Elle ne fait rien pour "être belle", elle est mal sapée, etc.).
Elle n'est donc pas une incarnation du Mal, ou de la Tentation, ou alors s'il y a quelque chose de tel, ce n'est pas en elle qu'on le trouvera, mais seulement en soi. Elle nous rend maboul et prêts à tuer, mais elle ne veut tuer personne, elle.
Ce que certains journalistes ou sociologues ont décrit comme la fille "naturelle". Sa séduction ne résulte que de ce qu'elle est.
Bon, ça, c'est le mythe.
Après il y a l'actrice : elle n'a fait que des mauvais films, sauf les fois où elle en fait des très mauvais. Il y a deux trois exceptions. La Vérité, Le Mépris, peut-être En cas de malheur (1) et, disons, allez, Boulevard du Rhum, pour être sympa. Tout le reste est complètement merdique.
Dans ces films qui avaient d'autres objets que de montrer forcément son (sublime) cul, elle s'est montrée plutôt bonne. Elle avait du talent, et surtout elle était intelligente. Je lis beaucoup les autobiographies et les souvenirs d'acteurs, et je n'ai rien lu de contraire : on mentionne toujours son intelligence. Trintignant par exemple (qui a été un temps son amant) dit qu'il a rarement vu une actrice aussi intelligente, et que le vague vernis intellectuel qu'il a, lui qui n'est pas un lecteur ou un intello, il le doit surtout à Bardot. Que c'est elle qui le forçait à lire tel ou tel bouquin, à aller voir telle ou telle expo, etc.
(1) Gabin voulait d'abord refuser de jouer là-dedans, avec l'argument : qu'est-ce que vous voulez que je joue avec une fille qui se balade en permanence à poil ? Je sers à quoi et je joue quoi, moi, dans cette histoire ?
Même réaction chez Jean-Luc Godard. Il a fait son film avec Bardot (elle est très bonne là-dedans), mais il n'a pu le faire qu'avec le fric de producteurs américains. Quand ils ont vu ce qu'il avait fait, ils ont été épouvantés : pas de Bardot à poil, dis-donc ! Ils ont donc fait savoir à Godard que le public américain se fout intégralement de ses méditations sur la poésie grecque et tout ça, et que si on a engagé Bardot et qu'on vous a donné du fric, c'est pour voir Bardot à poil.
Godard a donc été obligé de dire : OK, et de tourner cette scène culte : et mes seins, est-ce que tu les aimes, et mes pieds, et mes hanches, etc. (Je ne trouve pas cette scène sur le Net : pour ceux qui ne l'ont pas vue, Bardot est intégralement à poil et demande à son mec (Piccoli) comment il trouve son cult, ses bras, ses yeux et tout le saint-frusquin, qui est, comme on peut voir, effectivement irréprochable).
Autre anecdote rigolote de ce film (racontée par Anna Karina) : Bardot avait une "choucroute", à l'époque. C'était la mode, il fallait avoir ce montage de trente centimètres de cheveux au-dessus du crâne pour paraître bien coiffée. Godard était complètement catastrophé et a dit à Bardot que cela n'allait pas être possible, qu'il n'était pas là pour faire de la choucroute, que le rôle n'était pas un rôle de choucroute et qu'il fallait arrrêter cela tout de suite. Refus obstiné de Bardot. Godard lui aurait alors proposé (selon Karina) de faire un gage : je marche sur les mains, et vous réduisez votre choucroute d'autant de centimètres que moi je fais de mètres en marchant sur les mains. OK, dit Bardot.
Godard a fait 15 mètres en marchant sur les mains et Bardot a viré sa choucroute.