Madagascar : deux Européens, dont un Français, lynchés par une foule en furie
Deux hommes ont été tués jeudi matin par une foule d'émeutiers qui ont brûlé leurs corps sur l'île de Nosy Be, principale destination touristique de Madagascar. Des autorités locales ont évoqué des soupçons de trafic d'organe sur un enfant disparu. «Les émeutiers ont procédé à une chasse à l'homme contre des vazahas (ndlr : les étrangers européens en langue malgache), ce qui a abouti à la mort de deux vazahas», a déclaré l'adjoint du commandant de la gendarmerie, le général Guy Bobin Randriamaro.
Paris confirme le décès d'au moins un Français
Au moins l'une des deux victimes était française, a fait savoir le Quai d'Orsay, ajoutant que Paris recommandait aux Français présents à Nosy Be de ne pas se déplacer, et que l'école française avait été temporairement fermée. Quelque 700 Français sont recensés à Nosy Be, a précisé le porte-parole du Quai d'Orsay Philippe Lalliot.
Le flou règne encore sur l'identité de la deuxième victime. Des sources sur place ont indiqué qu'elle était de nationalité italienne, ce que n'a pas pu confirmer Rome immédiatement. Le général Guy Bobin Randriamaro avait dans un premier temps déclaré que les deux étrangers étaient Français. Nommés Sébastien et Roberto, ils avaient même selon lui «avoué sous la torture (des émeutiers) avoir commis des trafics d'organes». Jeudi matin, «le corps sans vie du garçon de 8 ans, disparu vendredi, a été retrouvé», sans ses organes génitaux, et sans sa langue, a ajouté l'adjoint du commandant de la gendarmerie.
Contacté par «Le Parisien»-«Aujourd'hui en France», un Français installé sur place conteste cette version. «Ces histoires de trafic d’organes ou de corps découpés ne sont que des rumeurs. Le corps de l’enfant disparu a été retrouvé hier soir (ndlr : mercredi soir) sur la plage après avoir été ramené par la mer. Il était habillé», explique-t-il.
Ce témoin connaissait au moins une des victimes, «un homme d’environ 45 ans, résident sur l’île depuis quelques mois, qui vivait un peu en marge». Encore sous le choc, il dit avoir assisté au lynchage ce jeudi matin, vers 6 heures. «Ca m’a reveillé, confie-t-il. J’ai vu une foule énorme arriver, je dirais entre 3 000 et 4 000 personnes, y compris des femmes et des enfants. Les deux hommes ont été tabassés puis jetés sur un brasier. C’est quelque chose d’atroce à vivre. Malheureusement, il était impossible d’intervenir.»
«Ce sont des bouc-emissaires», poursuit ce Français, qui ne croit «absolument pas» à la version du trafic d’organes. Depuis ce soudain et effroyable accès de violence, la plage est de nouveau calme. «On fait quand même profil bas», admet ce «vazaha» qui habite à Nosy Be depuis plusieurs années.
Des attaques fréquentes de postes de police ou de gendarmerie
Les émeutes ont commencé mercredi à la suite de rumeurs de disparition du petit garçon. Convaincue que son ravisseur était détenu à la gendarmerie de Hell-Ville, capitale de l'île, une foule en colère s'est regroupée devant la caserne pour réclamer sa tête. Les gendarmes se sont défendus, affirmant avoir tiré en l'air pour disperser la foule, mais au moins une personne a été tuée et deux autres blessées. Par ailleurs, les émeutiers s'en sont pris aux maisons des gendarmes, dont «huit ont été incendiées», selon le général de gendarmerie. Les autorités locales ont essayé de calmer la foule, en pure perte.
Mercredi, le consulat de France avait diffusé une mise en garde auprès de ses ressortissants : «Des manifestations contre les forces de l’ordre ont eu lieu ce jour à Hell-ville (Nosy Be). Elles sont susceptibles de se reproduire dans les heures qui viennent. Il est recommandé aux personnes présentes à Nosy Be de ne pas se déplacer et à celles qui ont prévu de s’y rendre de différer provisoirement leur visite, le temps que la situation soit reprise en main par les forces de l’ordre, ce qui n’est pas encore le cas.»
Les lynchages publics ne sont pas rares à Madagascar, qui traverse une grave crise politique depuis le renversement du président Marc Ravalomanana par Andry Rajoelina, en 2009. Des voleurs présumés ou des conducteurs impliqués dans des accidents mortels ont récemment été lynchés et brûlés vifs. Les foules n'hésitent pas non plus à attaquer les commissariats ou gendarmeries pour essayer d'en extraire les criminels présumés et les lyncher.
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