Le Professeur de criminologie allemand Franz Streng de l’université de Erlangen-Nürnberg a étudié la relation particulière qu’entretient un coupable avec son arme, et les similitudes entre les meurtriers. Publié il y a 35 ans, son article reste aujourd’hui une référence en la matière. Parmi ses thèses centrales : le simple fait de posséder une arme peut déclencher un crime. Par conséquent, on pourrait peut-être éviter des délits si l’on faisait plus attention aux gens qui s’équipent de calibres.
Lorsque des massacres sont perpétrés avec des armes à feu, on a tendance à mieux encadrer la réglementation qui porte sur leur détention. Surtout que, bien souvent, comme lors des tueries d’ Utøya et de Liège, les meurtriers avaient accès à des armes à feu. Les Allemands sont passés à l’acte en introduisant un registre national d’armes il y a un mois. D’ici 2014, tous les possesseurs de pistolets et autres armes létales y seront inscrits. Une mesure farouchement critiquée par les pro-armes à feu.
Ceux-ci considèrent qu’il s’agit d’une atteinte à la liberté personnelle. Mais en connaissant mieux les détenteurs d’armes, on pourrait éventuellement prévenir des crimes. C’est en tout cas ce qui ressort de l’article du professeur Franz Streng publié dans la revue allemande Kriminalistik en 1977. Il y traite de la relation entre le coupable et son arme et de l’importance de la possession préalable d’une arme à feu dans le passage à l’acte. Dans cette analyse qualitative, il observe chez les coupables des profils assez similaires :
Ils avaient tous accès à une arme à feu
Ils étaient tous passionnés par les armes
Ils étaient tous masculins et avaient moins de 35 ans
Un grand nombre d’entre eux ont passé une enfance sans père
Certains ont souffert de la sévérité de leurs mères
Le stand de tir, pour eux, est un lieu de défoulement
Ils ont tendance à compenser une instabilité psychique par la force des armes
Certains sont fétichistes du pistolet
Certes, l’étude ne porte que sur quatorze participants et a été publiée il y a 35 ans. Mais elle sert encore de document de référence et les points communs qui apparaissent entre les sujets sont évidents, surtout en ce qui concerne la relation affective entre le meurtrier et son arme. D’ailleurs, on retrouve de nombreuses similitudes avec les auteurs des tueries plus récentes. Anders Behring Breivik, l’auteur du massacre en Norvège, vivait chez sa mère dans la banlieue d’Oslo et pratiquait le tir dans un club. Soudeur de profession, Nordine Amrani, le meurtrier de Liège, était passionné par les armes à feu. Selon La Libre Belgique, il avait déjà été condamné à une importante peine de prison pour possession d’armes lourdes en 2008. Des armes automatiques, un fusil de précision et d’importantes quantités de munitions avaient ainsi été retrouvées chez lui, comme l’indique Le Soir et il fabriquait lui-même les silencieux pour ses armes.
En outre, M Streng a découvert que les personnes qui tuent avec une arme à feu le font pour des raisons similaires. L’arme à feu, selon lui, serait apte « à compenser l’insécurité et la timidité de son porteur, à lui donner le sentiment de virilité et de puissance sexuelle et à l’aider à diminuer des agressions et la sexualité frustrée. » Et même plus que cela : l’arme à feu, en tant qu’arme typiquement masculine, serait un « substitut symbolique du membre masculin » et son utilisation le « symbole du coït. » Le maniement d’un pistolet est donc souvent irrationnel, émotionnel et surtout… sexuel. Cette volonté de reprendre le dessus sur le monde extérieur est clairement présente dans le massacre de Columbine, qui a donné lieu au célèbre film de Michael Moore.
Le suicide d’Eric Harris et Dylan Klebold, après leur carnage, laissera toujours planer un doute sur leurs véritables motivations. La première conclusion des enquêteurs fut que les deux adolescents s’étaient vengés de leurs « tyrans » qui les intimidaient depuis plusieurs années. Une théorie similaire a été développée par Brooks Brown dans son livre sur le massacre, en notant que les enseignants fermaient souvent les yeux sur ce genre de brimades. Selon des témoignages, ils ont été la cible de remarques homophobes. Cinq années après l’évènement, le FBI et son équipe de psychologues et psychiatres, tel le Docteur Frank Ochberg, ont rendu publiques leurs conclusions dans un article. Ils ont fait valoir que Harris était un psychopathe atteint d’un complexe de supériorité et que Klebold était dépressif.
Si l’« accessibilité d’une arme peut déclencher ou renforcer l’exécution d’un délit», cela ne constitue pas une condition suffisante pour passer à l’action, bien heureusement. Mais, selon le Professeur Streng, à la différence des armes blanches, les armes à feu sont plus adaptées au passage à l’acte car elles permettent de cibler même à grande distance, demandent moins d’implication corporelle du coupable et peuvent donc être utilisées par “des personnes faibles“. C’est pour cela qu’elles sont si dangereuses.
L’introduction d’un registre d’armes en Allemagne est donc une bonne nouvelle : en s’intéressant aux profils des porteurs d’armes, on pourra peut-être éviter le pire. Maintenant il va falloir éviter les amalgames. Ce n’est pas parce qu’on possède une arme qu’on est un criminel. Laissons tranquille les tireurs sportifs et les chasseurs respectueux de la loi et de la nature, qui n’utilisent pas leur flingue comme un prolongement de leur pénis. Enfin, on l’espère.
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