Les scientifiques n'ont pas plus l'occasion de réfléchir sur la science
Vous savez très bien que les scientifiques ont longtemps été philosophes et autres en parallèle de leurs travaux, et que les meilleurs ont souvent une solide culture classique.
La moindre des choses pour réfléchir à ce qu'est la science, c'est de ne pas y être intellectuellement hermétique, or dans mes souvenirs beaucoup de lycéens choisissant la filière littéraire le seront longtemps si ce n'est toute leur vie (le refus de la rigueur et de la méthode motivant bien plus qu'autre chose à la choisir aujourd'hui.)
Oui, je le sais.
Je n'ai pas cherché à attaquer les scientifiques.
Les scientifiques ne peuvent plus être philosophes, non pas parce qu'ils sont méchants, mais parce que ce n'est plus possible. Newton et Leibniz (sans parler d'Aristote!), c'est fini.
J'ai entendu Pierre-Gilles de Gennes, par exemple, expliquer qu'il n'avait à peu près aucune idée du travail que faisait un de ses collègues "physicien" - il était un peu coquet sans doute, il est trop modeste, il devait voir en gros de quoi il s'agissait mais se jugeait incapable de présenter un jugement qui le satisfasse lui-même.
Aller demander à un généticien après de connaître vraiment tel développement de l'astro-physique et d'en parler avec autorité relève de la mission impossible.
C'est comme ça, c'est de la faute à personne, il y a beaucoup trop de boulot pour un seul homme.
On en sera donc réduit à ce que j'ai présenté (=le discours de ceux qui ne savent pas).
Quant à la filière "littéraire", son problème n'est pas là où tu le situes. Ce n'est pas du tout l'ignorance de la science, c'est la méconnaissance des lettres.
Tu peux si tu veux leur donner le sujet des ES sur la "langue", qui est apparemment plus dans leurs cordes, ils sont aussi nuls que sur les développements récents de la chimie ou de la biologie moléculaire.
Ici comme dans le reste, on leur demanderait une réflexion sur la langue, et ils seraient censés être des experts de la langue ?
Non, ils ont un enseignement de la langue purement utilitariste à destination des secrétaires bilingues (c'est de la STG spécialité langues, si tu préfères).
Ne prononce pas le nom de Shaskespeare ou d'Edgar Poe avec eux, ils croient que ce sont des joueurs de foot.
Leur anglais les met surtout à portée de comprendre des documents commerciaux ou des chansons débiles (les chansons, c'est pour le "supplément d'âme", le côté "littéraire"). Ce dispositif avait été mis en route pour obvier aux reproches faits à l'éducation française (qu'est-ce qu'on en a à foutre de Shakespeare, faut apprendre la langue du busyness) et n'a absolument pas remédié à ces maux. Les Français restent les plus nuls en maniement de l'anglais, même avec l'application systématique de cette idéologie utilitariste débile.
Il n'est pas question de connaître tous les domaines de recherche actuels mais de savoir ce qu'est la science avant d'en parler, et un esprit qui en est capable n'aura aucun problème à assimiler ce qu'on lui sert au lycée et s'en sortir au moins moyennement.
Je maintiens que les propos d'un élève en filière L qui s'est tapé 5 de moyenne en physique et mathématiques pendant l'année de seconde sur la science, dont il attribue la rigueur et la recherche de vérité à une extension de la personnalité autoritaire et une construction fascisante (L = pépinière à gogos new-age) a autant d'intérêt et de pertinence que ceux d'un aveugle sur les appariements de couleur.
C'est d'autant plus vrai que les bons littéraires à la tête bien faite font S de nos jours pour ne pas se retrouver dans ce merdier (ce qui est malheureux).
On peut avoir un semblant d'esprit et de culture scientifiques sans être à la pointe de l'actualité en la matière.