Je ne sais pas.
Philippe Muray a tenté de disséquer la bête toute sa vie, un extrait de ses rapports d'expérience :
HOMO FESTIVUS
C’est une allégorie, un mannequin théorique. Il est l’ombre conceptuelle portée par les masses festives mises en jeu dans On ferme.
C’est l’homme de la fin de l’Histoire, qui ne nie plus rien hormis la fin de l’Histoire. Cette contradiction se retrouve exprimée, en tout ou partie, chez certains personnages d’On ferme. L’homme qui ne nie plus n’a plus d’avenir. Il n’est plus dans le temps historique (Hegel). Homo festivus est pleinement satisfait par le nouveau monde homogène, mais, pour se donner l’illusion d’avoir encore un avenir, l’instinct de conservation lui souffle de garder auprès de lui un ennemi, un opposant absolu qui, parce qu’il s’oppose à lui absolument, lui permet de se croire lui-même vivant. Cet opposant (en France le Front national, Le Pen ; plus généralement le néo-fascisme, le racisme, etc.), c’est lui qui empêche Homo festivus de n’être plus que pure animalité en accord avec le donné.
Tant qu’il n’y avait pas identité entre monde et homme, il y avait Histoire. L’identité d’Homo festivus et du monde hyperfestif révèle la fin de l’Histoire. Cette identité supprime le désir qui avait fait l’Histoire. Cette fin n’est le nouveau commencement de rien. Les négateurs de la fin de l’Histoire sont ceux qui ont aussi le plus fait pour qu’elle s’arrête, en combattant la négation qui est la possibilité de sa perpétuation. L’individu qui clame que l’Histoire n’est pas finie tout en luttant contre les résidus de barbarie qui la faisaient exister est un personnage comique de notre temps.
Après la fin finale du conflit maître-esclave, plus loin que la réalisation de la reconnaissance mutuelle, dans la situation d’égalité absolue de la fin de l’Histoire, l’Histoire continue sous forme de farce avec le pathos de la lutte pour la reconnaissance. La fiction de la lutte pour la reconnaissance est maintenue. Elle produit une sorte de néo-chant épique dérisoire.
Le post-humain est quelqu’un qui se croit libéré des dettes que ses ancêtres pouvaient avoir envers le passé et qui file sur ses rollers à travers un réel dont la réalité ressemble à du carton-pâte (parc d’abstractions). Il est désinhibé à mort, il fait la fête, mais il ne rit pas parce qu’il est plus ou moins retombé en enfance et que le rire suppose un fond d’incertitude dont l’enfant a horreur.
POST-HISTOIRE
On a pu parfois trouver hasardeux mon emploi de la notion de période post-historique pour désigner le temps où nous sommes et les indéniables changements que nous traversons sans fin. Il en est même qui considèrent encore cet emploi comme une faiblesse ou une facilité. Ceux-là veulent bien remarquer qu’un bouleversement sans exemple se déploie sous nos yeux ; ils consentent même à le trouver horrifique dans la majeure partie de ses effets ; mais ils poussent les hauts cris lorsque l’hypothèse d’une fin de l’Histoire, et d’une fin de l’Histoire particulièrement noire, est avancée. Ils font alors précipitamment observer que, si tout change, aucun des changements que l’on peut constater n’arrive sans prédécent, et que tout ce qui est maintenant se trouvait aussi déjà là avant, du moins en germe. Ce qui revient à cette lapalissade qu’une métamorphose s’opère toujours en empruntant à des éléments existants. Mais il n’en reste pas moins vrai que c’est une métamorphose ; et qu’à un moment ou à un autre elle est accomplie ou en bonne voie d’achèvement ; et qu’elle se voit soudain. D’où cette notion de période post-historique dont je persiste à avancer la proposition afin de faire sentir, de la manière la plus brutale possible, une coupure ou une rupture également générale et profonde que d’ailleurs n’importe qui est à même de constater. Le sens des mots et des données se transforme. Les visages et les comportements prennent des airs qu’on ne leur soupçonnait pas la veille encore. Ce qui pouvait être compris ne l’est plus, et ce qui apparaît ne se laisse comprendre que malaisément. Il y a du nouveau sous le soleil de Satan ; et, de ce nouveau, il est permis et même recommandé de ne pas se réjouir. Dans toutes ses parties, l’existence est en proie à un bouleversement fondamental. Tandis qu’au-dessus d’elle, dans les nuées, plane une idylle maternisante et désymbolisante, la nouvelle humanité, démarchée sans relâche par les missionnaires du culte écologique-animalier, par les membres de la secte pénalophile, par le club des joyeux créateurs de nouveaux délits, par les militants pour une délation heureuse, par ceux de la victimomanie qui a toujours raison contre la raison et par toutes les autres associations dont le nom est légion, célèbre la fin de la société du travail, la désexualisation des rapports humains et l’assomption des enfants, ces êtres sans histoire par définition, et aimés à la folie pour ce motif. Mais à part ça, bien entendu, l’Histoire continue.