un aperçu
On pourrait finir par ne plus prendre garde aux propos d'Ursula von der Leyen. Ce serait dommage. La présidente de la Commission européenne, élue par personne et à qui on n'a rien demandé, multiplie les déclarations dans un état que l'on dirait second, appelle à poursuivre l'opposition contre la Russie, à ne surtout pas chercher l'apaisement... et finit, à force de soumission aux États-Unis et de monomanie idéologique, par nous faire très légèrement douter de ce point de catéchisme qui semblait pourtant acquis : l'Europe, c'est la paix. Pas tant que ça, on dirait.
Et voici maintenant le deuxième temps de la déconstruction des fameuses « valeurs européennes ». Parce que, pour ceux qui ne dormaient pas en cours d'éducation civique, l'Europe, ce n'était pas seulement la paix, c'était aussi la démocratie. La Communauté européenne du charbon et de l'acier (CECA), pour que personne n'ait le monopole des industries de guerre ; le drapeau couronné d'étoiles de la Sainte Vierge ; l'hymne franc-maçon du 4e mouvement de la Neuvième de Beethoven (« Tous les hommes seront frères ») : il y en avait pour tous les goûts mais le message était le même.
Figurez-vous que même cette évidence (le caractère démocratique de l'Europe) a sérieusement du plomb dans l'aile. On s'en doutait un peu avec l'exclusion (de moins en moins) tacite des pays du groupe de Visegrád, qui n'avaient pas la bonté d'accueillir ces sympathiques migrants. Ces migrants qui venaient jusque dans nos bras (mais ne mugissaient pas encore dans nos campagnes : c'était avant l'affaire de Callac) enrichir nos pays fatigués. C'est maintenant officiel. Interrogée sur la perspective d'une victoire, en Italie, de la coalition de droite emmenée par Giorgia Meloni, qui dirige Fratelli d'Italia, Ursula von der Leyen a été sans détour : « Si les choses vont dans une direction difficile, nous avons des outils, comme dans le cas de la Pologne et de la Hongrie. »
Une direction difficile, on est d'accord, c'est quand les peuples votent mal, ne font pas ce qu'on leur dit. C'est la version pour adultes (et encore) du « Tu files un mauvais coton ». C'est choquant et c'est relativement nouveau, cette transparence dans la tyrannie. Si ce ne sont pas les gentils qui passent, vous faites ce que vous voulez, on est en démocratie, mais ça se passera mal.
Le seul truc amusant dans cette affaire, c'est cette expression qui, dans les films des années 60, fait trembler les résistants : « Nous avons des outils. » On voit d'ici Ursula, glaciale et glaçante, se promener dans la salle de torture en faisant sonner ses talons, puis dérouler une trousse en cuir garnie d'objets métalliques tous plus contondants les uns que les autres. « Nous avons des outils », dit-elle d'une voix neutre où affleure une pointe d'accent bavarois. Malgré son brushing de mémère, Ursula, c'est Charlotte Rampling sous pervitine. Elle fout la trouille. Notre ami Nicolas Gauthier doit connaître quelques titres de séries Z qui font la part belle à ce genre de profil. Dommage, simplement, que cette femme soit à la tête de l'Europe.