Nouvelle écrite à la suite des élections forumiques... Pour le concours avorté, sujet "les rêves"...
« Camille ! Ca-mille… Caaamiiiiille. » Et le soleil se leva dans la chambre. Une ampoule de 75 watts.
Camille sortit de la nuit. De cette nuit plantée de haies et d’arbres tous plus grands les uns que les autres, sombres et inquiétants dans l’insouciance d’une chambre d’enfant. Camille avait passé la nuit dans la forêt à rechercher ses amis, traversant prés et champs fauchés, parfois trébuchant sur une agitation, une gène dans les draps, un pli. Camille bougeait et courrait, n’ayant conscience de rien. De l’étagère d’où ses amis s’étaient sauvés, et parmi elles ses préférés, Camille sentit l’entourloupe.
Décidant de partir à leur recherche, Camille ne put s’empêcher de penser à Knulp, magnifique peluche ventrue mais borgne à cause de l’âge, la plus ancienne, qui avait dû inciter sa troupe d’acryliques hirsutes à quitter le confort d’une coquette maison de province d’où ils prenaient la poussière.
Les jambes griffées par les chaumes, Camille se demandait comment ce fourbe de Sarkonaute avait oser se mêler à cette escapade onirique, tout chétif et malingre qu’il était. Et Spitfire le poulpe, Eukini l’Ours brun, QB la belette bleu-marine, DR la souris rouge, Maryvette la vieille belette , Rand le rand, Z le kiki, Bouffon la tortue ninja, Intrépide la louve… rouge aussi, Jipi le lapin hilare, Galuala le singe manchot, NP le furet déglingué... Tous partis à la suite des deux anciennes gloires, maintes fois frottées aux hommes… Les vestiges délavés d’une enfance envolée.
Arrivant devant les frondaisons, Camille s’arrêta et esquissa un mouvement de recul. Ses amis n’avaient pas pu entrer en cette forêt, et les en faire sortir s’annoncerait difficile. A-t-on déjà vu des peluches en forêt ? A cet instant de l’aventure Camille gémit et remonta le drap sur son cou. Don Camillo, le chat, qui dormait sur le lit, sembla importuné. Ce gros con de chat ! Toujours à foutre ses poils partout, mais qui obstinément accompagnait Camille en ses rêves et cauchemars. Lui pas question de le décarrer du lit. Oh non ! Lui, le rêve de Camille, il n’en avait rien à cirer. Il ne savait pas, lui, ce gros con de chat, ce qui se passait dans la chambre, dans les champs, dans la forêt, sur l’étagère. Il dormait.
Camille respirait l’air apporté par la bise et écoutait le vacarme des animaux nocturnes. Camille tremblait. Ni de froid ni d’effroi, non. L’anxiété et le vide de la chambre, inexplicable, en étaient l’origine. La forêt s’ouvrit et Camille s’y engouffra, scruta chaque recoin invisible, ouvrait les buissons, appelait malgré la peur : « Knulp, QB, Don Camillo ! » A ce moment de l’histoire, ce con de chat n’est pas censé être là, car il dort. Mais c’est un rêve, donc Camille, le chat et l’auteur font ce qu’ils veulent.
Enfin Camille les vit. Tous ! Au bord de ce qui semblait être un lac, mais ce qui se révélera en vérité être la baignoire dans laquelle sa mère avait eu la bonne idée de lessiver tout ce beau monde. Camille voyait un lac. Et la forêt qui flambait.
Autour du feu qu’ils avaient allumé on ne sait trop comment, NP et DR avaient sorti leurs guitares et massacraient des classiques déjà emmerdants. Spitfire s’était mis en tête de culbuter la Maryvette qui y mettait de la bien mauvaise volonté. Eukini, QB et Sarkonaute s’étaient torchés la tronche au Bordeaux. Knulp s’était roulé un méga pétard qu’il refusait de partager avec Z, qui lui même cherchait en ses poches une hypothétique monnaie au cas où Galalua lui en demanderait pour le juke-box. Quant à Jipi, il courrait après Intrépide, bien décidé cette fois à faire de sa fourrure un couvre-chef. Bouffon était occupé à tremper et retremper son bandeau pour la trentième fois ; il avait dû tirer sur le pétard du Knulp, sûr ! Rand, seul, regardait le lac et pensait à la mer.
Camille resta bouche bée ! Tout ce chemin pour ce ramassis de feignasses en quête d’une virée étrange et incongrue. N’écoutant que sa rage, Camille franchit d’une traite la distance et colla une grande claque dans la gueule au Knulp, le premier venu. Vlan ! Le Sarkonaute prit vite fait la poudre d’escampette et se vautra lamentablement dans une ravine infestée de monstrueux allogènes. Son pire cauchemar dans le rêve. Quant aux autres, n’écoutant que leur courage, ils détalèrent rapidos du monde enfantin quand les 75 watts tuèrent l’obscurité.
« Camiiiiille ! Il est l’heure, lève-toi, ton père t’attend pour te conduire à l’école.» Sa mère l’appelle. Pour la seconde fois. Camille émerge, se frotte les yeux, prend le chat dans ses bras, le caresse et l’embrasse. Après avoir écarté ses draps, Camille se lève et sort du lit, s’habille en vitesse et se dirige vers la cuisine où son bol de chocolat l’attend, fumant.
L’enfant en quittant la chambre n’eut ni un regard ni une pensée pour l’étagère. Les peluches trempaient…