Le Point : Comment expliquez-vous la fascination autour de Sade ?Michel Onfray : C'est un symptôme des années 70. Tous les grands biographes de Sade ont donné dans l'hagiographie. Relisez Annie Le Brun, Gilbert Lely ou Jean-Jacques Pauvert et vous serez estomaqué par la complaisance avec laquelle ils décrivent la vie d'un individu qui n'était ni plus ni moins qu'un délinquant sexuel. Voilà un homme qui prend des femmes en otages, les menace de mort, les torture, leur inflige les pires sévices, et il faudrait en faire un parangon libertaire et le héraut de la parole bâillonnée ? Tout cela est sidérant, surtout lorsqu'on ajoute qu'il est le premier des philosophes modernes, alors que je crois qu'il est bien plutôt le dernier philosophe féodal.
On ne peut pas dire non plus que tout le monde est à genoux devant Sade ?
Heureusement ! Il est par exemple rassurant de constater que deux penseurs de premier plan tels que Hannah Arendt ou Albert Camus ne sont pas tombés dans le panneau du marquis. Lorsqu'on a écrit « Les origines du totalitarisme » ou « L'homme révolté », il faut dire aussi qu'il est difficile de souscrire à une oeuvre telle que « Les 120 journées de Sodome ». On y rase des gens, on leur tatoue des numéros, on les avilit, on les tue... Ça ne vous rappelle rien ? Avec Sade, on subit le diktat d'une littérature qui aurait tous les droits alors que je suis convaincu qu'être écrivain, c'est surtout avoir des devoirs.
Mais alors, quoi, on jette tout chez Sade ?
Non, bien évidemment. Mais il faut arrêter de célébrer sans cesse un écrivain dont la postérité est aussi due au crédit que lui ont apporté Apollinaire ou Breton. Il faut lire et relire les pages où Sade fait l'éloge de la sodomie, car elle est à son sens le seul moyen de ne pas engendrer. Relire aussi sa manière de désigner la chair des femmes comme une putréfaction totale. Moi, je ne suis pas client.
http://www.lepoint.fr/culture/2009-07-2 ... 9/0/363796
Michel Onfray est contre Sade, parce qu'il aurait commis des crimes sadiques, voir pire.
Qu'en pensez vous ?
Au commencement, Onfray avait une idée plutôt rigolote: "l'homme est ce qu'il mange" ([, disait Feuerbach), et il voulait ausculter le ventre des philosophes.
Il se voulait Cynique.
Mais à force de glisser sur la pente de la facilité, voilà maintenant où il en est rendu, à quoi il est réduit : faire du sous Sainte-Beuve. Ou, pour emprunter à Hegel : le point de vue du valet de chambre, selon lequel le héros n'est pas un héros.
A écouter ces Père la morale, on n'aura plus le droit de rien lire : faut plus lire Rousseau parce qu'il a abandonné ses enfants, faut plus lire Heidegger parce qu'il était nazi, faut plus lire Vigny (ou Schopenhauer) parce qu'il a balancé des gens aux flics, plus lire Rimbaud car c'était un petit salaud drogué alcoolo trafiquant d'armes, plus lire Aragon ou Breton parce que c'étaient des stals, plus lire Céline parce que euh... il était pas gentil, etc.
Quant au cas de Sade comparé à un tortionnaire nazi, je l'ai déjà entendu il y a longtemps dans la bouche d'Elisabeth Badinter. Philosophe dont les thèses n'ont pas brillé par leur subtilité, leur finesse, c'est le moins qu'on puisse dire...