Depuis quelques années, Israël, qui paraissait jusqu'ici dominer ces voisins avec morgue, enchaîne revers militaires et diplomatiques.
Sur le plan militaire, d'abord, il a semblé impuissant face au Hezbollah, en 2006, lors de la guerre du Liban. En 2008 - 2009, la même situation s'est reproduite face au Hamas à Gaza, et dans une moindre mesure, car Israël n'a engagé que des moyens limités (pas d'intervention terrestre), elle vient de se répéter ces dernières semaines.
Sur le plan diplomatique, la situation est tout aussi significative : Israël a échoué à obtenir des USA une intervention militaire contre l'Iran, malgré des demandes insistantes, publiques et répétées. Il n'a pas réussi à isoler politiquement et diplomatiquement le Hezbollah libanais. Il est sur la défensive sur sa tentative d'organiser le blocus de Gaza, les attaques contre les navires humanitaires ayant considérablement dégradé son image internationale et mis à mal son alliance avec la Turquie. Il ne réussit pas véritablement à bloquer non plus la politique de reconnaissance internationale de la Palestine, état reconnu désormais par plus de 120 pays dans le monde, adhérent à l'UNESCO et prochainement "état non membre" (sic) de l'ONU, à laquelle, malgré les rodomontades de son ministre des affaires étrangères, Israël semble finalement se résigner.
La récente guerre de Gaza a marqué une nouvelle étape. La stratégie d'isolement diplomatique du Hamas, a échoué. D'abord, le gouvernement Hamas de Gaza ayant reçu, avant et durant les premiers jours du conflit des visites officielles importantes :
En premier lieu, celle de l'émir du Qatar, le 23 octobre,
Ensuite, celle du premier ministre égyptien, le 16 novembre, en plein conflit militaire, à l'occasion de laquelle Israël a du observer une trève.
Enfin, une visite du premier ministre turc, Recep Tayip Erdogan, annoncée par deux fois en 2011 pourrait bien se réaliser le 5 décembre prochain.
L'issue du conflit en lui-même est extrêmement significatif. D'abord, le cessez-le-feu a été négocié sous l'égide de la médiation égyptienne, dont le gouvernement est proche du Hamas. Israël s'était jusqu'ici le plus souvent refusé à discuter dans un cadre qui n'était pas piloté par les USA. Ensuite, le contenu du texte, très court, de cessez-le-feu est très favorable aux palestiniens : Pour parvenir à un arrêt des bombardement, Israël a dû s'engager à mettre fin à sa politique d'assassinats ciblés, et accepter le principe d'une ouverture des points de passage et d'une facilitation de la circulation des personnes et des biens. Il semble d'ailleurs que le rapprochement entre le Hamas et le gouvernement des Frères Musulmans en Egypte rende assez inopérant le blocus qu'Israël tente d'imposer sur Gaza depuis l'arrivée au pouvoir du Hamas.
Non seulement le Hamas obtient de facto la reconnaissance politique et diplomatique des principaux pays arabes (dont une majorité sont désormais gouvernés par des partis "de l'islam politique"), mais il semble qu'il a désormais les coudées franches pour engager une politique de reconstruction et de développement économique qui assoira davantage encore sa légitimité politique.
Enfin, le grand ennemi, l'Iran, s'il est affaibli par les sanctions économiques et la crise qu'elle provoque, se tient à l'abri et poursuit son programme nucléaire, officiellement pacifique, s'approchant au moins de la maîtrise technologique de l'atome. Le temps joue, semble-t-il, en sa faveur.
Il y a seulement quelques années, Israël paraissait pourtant avoir renvoyé très loin en arrière l'aspiration nationale palestinienne. L'autorité palestinienne était incapable d'obtenir un cadre correct de négociation pour donner une suite aux accords d'Oslo. La deuxième Intifada s'enlisait. La victoire du Hamas aux élections parlementaires divisait profondément le camp palestinien, aboutissant à une séparation politique entre Gaza, dirigé par le Hamas mais isolé économiquement et diplomatiquement (cette organisation étant classée comme "terroriste"), et la Cisjordanie, au sein de laquelle, l'Autorité Palestinienne de Mahmoud Abbas ne semblait plus être que le fantôme. La construction du "Mur de séparation" et la poursuite constante de la politique de colonisation semait le désespoir coté palestinien et offrait à Israël l'illusion d'une quasi "toute-puissance".
Comment expliquer ce revirement ? L'exemple de Taïwan.
Il me semble que la situation de Taïwan et de la Chine offre une image intéressante. Tant que la Chine demeurait un pays économiquement dirigiste, à l'économie nationalisée largement et peu ouverte sur le monde, Taïwan, considéré comme l'allié le plus proche des USA, demeurait un partenaire essentiel et incontournable. Jusqu'en 1971, Taẅan était le représentant de la Chine (dans son ensemble) au sein de l'ONU. Jusqu'en 1979, le gouvernement Taẅannais était considéré par les USA comme le seul gouvernement légitime de l'ensemble de la Chine
Puis la Chine s'est ouverte et développée. Elle est entrée dans le club fermé des 10 premières économies mondiales, jusqu'à en être aujourd'hui la deuxième. Elle est entrée dans l'OMC, a libéralisé son économie. Elle est devenu un débouché pour les capitaux étrangers, puis une puissance financière de premier plan, détenant les premières réserves de devises (en particulier de dollars) au monde.
D'allié incontournable des USA, Taïwan est devenu un ami un peu encombrant. La monnaie diplomatique dont il faisait jusqu'alors largement usage a perdu l'essentiel de sa valeur. La dernière phase de la crise a culminé autour des années 2005. Taïwan avait alors élu un gouvernement "indépendantiste", c'est à dire, partisan d'affirmer l'existence de Taiwan comme état définitivement indépendant de la Chine. Le gouvernement de la Chine continentale a alors réagi très vigoureusement, adoptant une loi qui prévoyait une intervention militaire au cas où l'île déclarerait une telle indépendance. De facto, suite à ses pressions, la demande d'adhésion de Taïwan à l'ONU a été refusée en 2007. Le courant "indépendantiste" a perdu le pouvoir en 2008, au profit du Kuomingtan, qui a aussitôt engagé un rapprochement avec Pékin.
Avec ses 23 millions d'habitant, Taïwan ne pouvait être un acteur de poids que, d'une part, lorsque un écart important de développement industriel et économique existait avec la Chine continentale, et que, d'autre part, un conflit politique international opposait la Chine et les USA, donnant à Taïwan une place privilégiée. Lorsque la Chine s'est développée et ouverte, les USA ont eu intérêt à sortir du conflit, à nouer des relations économiques. Entre Taïwan et la Chine continentale, ses marchés, ses débouchés, sa puissance industrielle et commerciale en plein développement, les USA devaient choisir.
Le besoin de puissance d'Israël
Israël est un pays jeune, qui ne survit à la dynamique interne complexe qui est la sienne que par son opposition à son voisinage (la peur de l'extérieur étant le principal facteur de cohésion interne) et par une politique d'expansion coloniale au détriment des populations palestiniennes. Cette expansion coloniale elle-même est le principal facteur qui nourrit le conflit entre Israël et ses voisins.
Ce graphique relativement connu (légèrement faux me semble-t-il sur la question du Plateau du Golan, au nord est d'Israël, qui est un territoire Syrien à l'origine, sauf erreur de ma part), illustre bien la politique d'expansion territoriale d'Israël. (voir également l'article détaillé et documenté de Dominique Vidal sur le blog du monde diplomatique)
Il ne mentionne pas la deuxième phase de colonisation qui est l'implantation massive de colons israëliens sur les terres conquises et qui se traduit par l'éviction physique et économiques des populations autochtones palestiniennes. Or c'est en particulier sur cette question, qu'achoppent depuis 20 ans toutes les discussions de paix.
Il ne détaille pas non plus l'importance de cette politique de colonisation dans la stabilité politique interne d'Israël :
d'une part, Israël, se considérant comme un état juif, ne peut donner une pleine citoyenneté à son importante minorité arabe (aujourd'hui, la plupart des arabes israëliens sont "dispensés" de service militaire), ne peut lui accorder la possibilité, malgré sa démographie dynamique de prendre un poids politique plus important, voire majoritaire et joue en permanence un équilibre fragile pour maintenir sa domination dans des secteurs clés comme Jérusalem.
d'autre part, la population "juive" d'Israël est elle-même une mosaïque de groupes sociaux-culturels très hétérogènes, et aux intérêts contradictoires. Chacune des différentes vagues et origines (sépharades et ashkénazes, juifs russes arrivés après l'effondrement de l'URSS, ultra-orthodoxes) de immigrants juifs est représenté par des partis distincts à la Knesset (par exemple, le parti Israël Beiteinou, d'Avigdor Lieberman, qui se classe à l'extrême droite de l'échiquier, représente largement les immigrants d'origine russe). L'équilibre politique entre ces partis se fait le plus souvent grâce à des surenchères nationalistes et colonialistes qui sapent progressivement la position internationale de l'état d'Israël.
Il y a par conséquent un équilibre politique instable, où les contradictions internes de la société israéliennes ont été jusqu'ici masquées par "l'ennemi extérieur", par la politique de guerre, de conquête et de colonisation, politique permise par la supériorité militaire d'Israël, le soutien économique et diplomatique des USA et l'avance économique et technique sur les pays voisins.
Israël est un petit pays, tant par sa superficie, que par sa population (les deux étant liés, dans la mesure où, Israël a une densité de population élevée de 344 habitants au km², et compte tenu des problèmes écologiques que cela soulève, notamment celui de l'accès à l'eau douce). Israël (au sens du partage de 1967), a une superficie de 22 000 km². Israël compte au 30 juin 2010, 7 619 600 habitants. Si cela lui assure un bon rapport de force auprès de ses "petits voisins" (Liban : 4 millions d'habitants en 2009 pour 10 000 km², Jordanie : 6 millions d'habitants pour 89 000 km²), c'est tout à fait insuffisant au niveau de l'aire géopolitique régionale. La Syrie, avec laquelle Israël a un important différent territorial, compte en 2009 21 millions d'habitants, l'Egypte 83 millions, la Turquie, 75 millions, l'Iraq, 31 millions, l'Arabie dite "Saoudite", 25 millions. Ces 7 pays de l'aire arabo-turque proche orientale compte donc au total une population de 246 millions d'habitants.
Israël ne peut donc prétendre être une puissance régionale sans les atouts complémentaires que sont son alliance stratégique avec les USA et une importante avance économique, technologique et militaire sur ses voisins.
Pourquoi la situation géopolitique est-elle en train de changer rapidement ?
D'abord, parce que la place économique des pays de cette aire arabo-musulmane est elle-même en train de changer. Ces pays s'urbanisent et développe des industries exportatrices, acquièrent des technologies. La rente pétrolière est au plus haut.
Par exemple, la production électrique de l'Egypte est passée entre 1990 et 2009 de 42 milliards de kWh à 131 milliards. Celle de la Jordanie de 3,6 milliards à 13 milliards. Celle de la Turquie de 57 milliards à 198 milliards. Soit une multiplication par 3 pour l'Egypte à près de 4 pour les autres. Celle d'Israël, dans la même période passait de 21 à 56, soit environ un facteur 2,5.
Autre exemple, les exportations de marchandises, entre 1990 et 2008 :
pour Israël, elles passent de 19 milliards de dollars à 48 milliards (x 2,5).
pour l'Egypte, elles passent de 3 milliards de dollars à 23 milliards (x 8),
pour la Jordanie, de 1,7 milliards à 6,4 (x 3,5),
pour la Turquie, de 21 à 102 milliards (x 5).
Enfin, ce développement économique des principaux pays arabes proche-orientaux, est soutenu par le développement de la rente pétrolière dont bénéficie plusieurs pays arabes. Ainsi, face aux menaces de blocage de l'aide américaine pour l'Autorité Palestinienne suite à la demande d'adhésion à l'ONU, la Ligue Arabe s'est engagée à fournir un "filet de sécurité" de 100 millions de dollars.
Deuxième aspect, les "révolutions arabes" ont renversé les régimes autoritaires, mis en place des démocraties capitalistes, et dans le cadre de ces processus démocratiques, des gouvernements islamistes sont parvenus au pouvoir dans une majorité de pays. Auparavent, les gouvernements autoritaires nationalistes se divisaient entre ceux qui, comme l'Egypte, avait fini par se rallier au camp occidental et ceux qui, comme la Syrie ou la Libye, maintenaient au moins un discours anti-américain virulent, et soutenaient plus ou moins nettement un certain nombre d'opérations subversives. Il résultait de cette situation une division et une incapacité des pays arabes à peser sur la situation géopolitique. Les gouvernements islamistes, tout en se situant clairement dans le camp de la démocratie capitaliste, ont réussi à exprimer une diplomatie indépendante relativement ferme, dont l'exemple le plus frappant est probablement la tentative par une flotille turque pacifique de briser le blocus Israëlien sur Gaza. La dynamique des révolutions arabes a considérablement renforcé l'autorité politique et diplomatique de ces pays qui forment désormais une alternative d'alliance crédible à Israël sur le plan international.
Une prise de conscience qui émerge en Israël même
La campagne en cours pour les élections générales de janvier semble ouvrir également une situation nouvelle en Israël même. Après Ithzak Rabin, initiateur des accords d'Oslo, mais assassiné, après Ariel Sharon, qui avait procédé aux premières évacuations de colonies pour rendre la bande de Gaza, c'est Ehud Olmert qui vient de briser un tabou en apportant son soutien à la demande de reconnaissance par l'ONU d'un état Palestinien. Il déclare notamment : "la demande palestinienne est conforme au concept d'une solution à deux Etats. De ce fait, je ne vois aucune raison de s'y opposer". Et ajoute : "nous, en Israël, devront nous engager sérieusement dans un processus de négociations, afin de nous entendre sur des frontières spécifiques sur la base des frontières de 1967 et résoudre les autres questions".
L'isolement d'Israël, après le vote de l'ONU pour l'adhésion de la Palestine comme état observateur non membre, est en effet manifeste. Seul 8 pays ont suivi Israël dans un vote négatif, alors que 138 états ont adoptés le projet présenté par Mahmoud Abbas. La liste des 9 pays ayant voté contre est particulièrement éloquente : Israël, les USA, le Canada, la République Tchèque, le Panama, la Micronésie, Nauru, Palau et les Iles Marshall ...