Le christianisme a introduit le monothéisme en Europe.
Dès l'apparition des pensées présocratiques, les intellectuels grecs rejettent la théologie poétique et populaire pour leur substituer des modèles philosophiques de leur cru. Héraclite et Platon sont parmi les plus virulents à dénoncer les épopées homériques comme propagatrices d'une mauvaise perception de la divinité (les personnages de l'aède étant trop humains, insuffisamment vertueux, etc.) La tendance est d'affirmer que la nature tire son principe d'un unique élément naturel (l'eau, le feu, la terre...) puis, dans les dialogues de Platon, du Bien et de l'Un comme degrés suprême de l'être. Aristote formule plus clairement et systématiquement ce monothéisme dans sa métaphysique : toute la nature (ciel et terre), tout mouvement tire son origine et son existence de l'action permanente d'une cause première consciente qui est le degré suprême de la vie.
Les diverses sectes essaimant par la suite dans l'empire gréco-romain vont se positionner différemment par rapport à cet héritage mais la tendance est au monothéisme chez certains platoniciens, les aristotéliciens et les stoïciens. Pour la partie latine de l'empire, c'est surtout Cicéron qui répand ces notions à travers ses oeuvres spéculatives commentant et citant les auteurs grecs ; et la mise en place du culte impérial et la popularité du culte solaire vont renforcer la diffusion de l'idée monothéiste. On peut raisonnablement supposer qu'à partir des Ier-IIème siècles ap JC, les classes supérieures de la société impériale sont majoritairement monothéistes et que cette tendance ne fait que s'affirmer jusqu'au triomphe du christianisme.
Cela ne va pas à l'encontre de la religiosité traditionnelle, essentiellement ritualiste et non dogmatique.
Les sacrifices continuent d'être pratiqués comme moyen de maintenir la relation entre l'humanité et la (ou les) divinité (s) et les sages justifient volontiers la théologie poétique, la pratique des cultes publics et à mystères comme le meilleur moyen de rendre la masse soucieuse de la religion (entendue dans le monde antique comme pratique des rites, respect de l'orthopraxie et du sacré) et de la pratique de la vertu. L'une des meilleures formulations de cette approche monothéiste ouverte des opinions religieuses est celle du stoïcien Sénèque :
Qu’est-ce que la Nature, si ce n’est Dieu, si ce n’est cette intelligence céleste répandue dans l’ensemble et dans toutes les parties de l’univers ? Pour peu que vous le vouliez, il y a bien d’autres noms à donner à ce grand auteur de tout ce qui est à notre usage. Vous pouvez l’appeler Jupiter stator parce qu’il donne la stabilité à toutes choses ; nommez-le Destin, car le destin est l’enchaînement compliqué de toutes les causes et lui-même la première cause, celle de qui toutes les autres dérivent. Tout nom que vous lui donnerez lui conviendra à merveille, dès que ce nom caractérisera quelque attribut, quelque effet de la puissance céleste ; Dieu peut avoir autant de noms qu’il est de bienfaits émanant de lui. C’est pour cela que ceux de notre secte le confondent avec Bacchus, Hercule, Mercure.
Bienfaits, livre IV
Cela n'est pas nouveau, comme je le disais la religion traditionnelle n'est en rien dogmatique et l'identité et les attributs de chaque divinité ne sont définis que par une tradition dont les artistes et écrivains s'émancipent volontiers sans choquer personne, l'Ancien dissociant le rite qu'il faut respecter de la réalité religieuse que l'on place derrière lui et qui est du ressort de chacun. Ce sont les chrétiens qui ont agrégé et compris tout cela en un culte de "Zeus", de "Mars", etc. comme autant de réalités, d'entités individuelles prises pour les démons de leur culture biblique.
Cela s'exprime déjà dans la Grèce classique, ainsi Eschyle peut-il faire dire à l'un de ses personnages :
Zeus est l’éther, Zeus est la terre, Zeus est le ciel, oui, Zeus est tout ce qu’il y a au-dessus de tout.
Fragment d'une tragédie perdue, Les Hétiades.
tout en parlant ailleurs de Zeus tel qu'il est présenté par Homère et Hésiode.
Pour l'empereur Auguste, cultivé et grand pontife, chaque épiclèse d'une divinité est une entité à part entière. Suétone rapporte ce rêve dans la Vie qu'il lui consacre :
Lorsqu'il fréquentait assidûment le temple de Jupiter Tonnant, il rêva que Jupiter Capitolin se plaignait qu'on écartât de lui ses adorateurs, et qu'il lui répondait que c'était la faute de Jupiter Tonnant qui lui servait de portier.
Vie d'Auguste, §CXI.
Un Plutarque, énumérant les différents syncrétismes entre mythologie égyptienne et gréco-romaine dans la partie orientale de l'empire, écorchera la tradition populaire pour affirmer la croyance en un dieu unique :
Jupiter n’est pas né en Crète. Principe et cause de son éternelle existence, il a toujours été, il sera toujours. En lui sont le commencement et la fin, la mesure et la destinée de chaque chose.
Traité d'Isis et Osiris
Macrobe, l'un des derniers auteurs païens soucieux de réhabiliter sa religion, n'affirme pas de "polythéisme" mais s'inscrit dans cette tradition qui ne s'attache pas aux noms et n'est pas naïve vis-à-vis des différents mythes :
Il est d’usage, dans la célébration des mystères, que le Soleil, alors qu’il parcourt l’hémisphère supérieur ou diurne, soit invoqué sous le nom d'Apollon, et sous celui de Dionysos, qui est le même que Bacchus, alors qu’il parcourt l’hémisphère inférieur ou nocturne.
Saturnales, livre I
Ce que le christianisme va introduire dans ce monde qui, on le voit, est foncièrement monothéiste tout en continuant de puiser ses thèmes dans la tradition poétique d'une manière très libérale et hétérogène, c'est la référence systématique à un Livre, à des Écritures contenant la vérité révélée par la divinité sur laquelle s'appuie une théologie qui exclura désormais de puiser son inspiration dans des documents profanes et liés à un monde antique très largement condamné pour son "immoralité" foncière. Il unira en un seul système sa "mythologie" (les livres les plus anciens de la Bible équivalents des théogonies poétiques païennes), son discours théologique rationnel sur l'être et le surnaturel (équivalent de la philosophie des Anciens, à tendance monothéiste dès son origine comme nous l'avons vu) et sa morale (qui était plurielle et puisait chez les païens dans la tradition commune et diverses sectes philosophiques) dont l'ascétisme et l'introspection sont les caractéristiques premières. Dans ce contexte les hérésies (nom donné aux différentes écoles philosophiques sans connotation péjorative dans le monde ancien) qui ne se conforment pas à ce système deviennent toutes condamnables. Le rapport à Dieu devient également individuel (prière, communion) et non plus collectif (interdiction des sacrifices sous peine de mort à plusieurs reprises aux IVème et Vème siècles.) Enfin l'idée de création du monde, de fin des temps, de résurrection et de jugement post-mortem deviennent des vérités religieuses indiscutables.