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Depuis 1986, plus de 90 salles, ou centres d’injections supervisées (CIS), ont ouvert dans huit pays, dont la Suisse, l’Espagne, l’Allemagne, les Pays-Bas, l’Australie et le Canada. Les usagers s’y injectent le produit qu’ils apportent dans des conditions hygiéniques satisfaisantes, en présence de personnel médical. «Tu viens avec ton matos, tu fais ton fix. Si tu veux des conseils, tu peux. Les gens te posent des questions, tu réponds mais t’es pas obligé», explique Serge (1), un routard toulousain de 26 ans, qui en a fréquenté en Suisse et en Espagne. Cheveux rouge et orange, grand sourire, Ben abonde : «Se shooter, ce n’est pas bien, mais autant le faire le mieux possible. Dans un endroit propre plutôt qu’au coin d’une rue où tu vas choper un abcès.» A 31 ans, dont sept de shoots, Ben vit dans la rue à Pau. «Les salles, ce n’est pas de l’incitation à la consommation, c’est de l’incitation à mieux faire, dit-il. Ça arrive que la "matière" soit trop bonne ou trop mauvaise. Si quelqu’un est là pour t’aider, c’est mieux.»
«Je ne fais presque plus d’abcès»
Dans les pays où elles existent, ces salles assurent un progrès incontestable. Selon une étude de l’Inserm (Institut national de la santé et de la recherche médicale), datant de 2010, les CIS «apportent des bénéfices aux usagers» - santé améliorée, comportements à risques diminués - et «bénéficient également à la communauté par la réduction de l’usage de drogues en public», puisque le volume des shoots dans la rue diminue. L’Inserm y voyait à l’époque«un investissement potentiellement rentable» et plusieurs villes voulaient les expérimenter. Mais le Premier ministre d’alors, François Fillon, y a mis le holà, Matignon les estimant «ni utiles ni souhaitables».
La France a ainsi perdu deux ans. Depuis, François Hollande a promis, pendant sa campagne, d’autoriser des expérimentations. Le député PS de Paris, Jean-Marie Le Guen, a relancé le débat, le 29 août, exprimant l’impatience des acteurs de la réduction des risques, fatigués par une politique sur les drogues qui a surtout consisté, ces dernières années, à privilégier la répression.
La ministre des Affaires sociales et de la Santé, Marisol Touraine, a dit fin août que son ministère serait prêt «assez rapidement». Plusieurs villes de droite et de gauche (Paris, Marseille, Bordeaux ou Strasbourg) guettent son feu vert. Il sera nécessaire mais pas suffisant : les expériences étrangères montrent en effet que chaque ville doit négocier l’acceptation de la salle par le quartier et les riverains si elle veut que l’expérience réussisse. Et le travail de concertation ne s’avère pas toujours évident. Sans compter la question cruciale du financement.
En attendant de premières ouvertures, espérées au premier trimestre 2013, une expérience discrète et innovante a lieu ces derniers mois dans huit villes de France, avec 200 usagers volontaires. Les participants viennent dans un Caarud (2) s’injecter sous le regard de professionnels. Ces derniers tentent ensuite d’améliorer leurs pratiques «selon un protocole qui pourrait faire penser à l’apprentissage de l’auto-injection diabétique, explique Christian Andreo, de l’association Aides. L’objectif, c’est que la personne se fasse le moins mal possible.»