Origines et création de la Belgique
En 1515, le futur empereur Charles Quint, descendant des ducs de Bourgogne, hérite des Dix-sept provinces, dont il renforce l'union par la Pragmatique Sanction de 1549, tout en appesantissant son pouvoir sur la Principauté de Liège qui conserve une indépendance interne sous ses princes-évèques 24. Mais l'unité des Pays-Bas sera brève, dès lors que les guerres de religion et les appétits politiques la feront voler en éclats. La guerre de Quatre-Vingts Ans, de 1568 à 1648, finira par diviser le territoire en deux : une république fédérale au nord, les Provinces Unies (Belgica Foederata), protestantes, et, au sud, les Pays-Bas méridionaux (Belgica Regia), catholiques, toujours dirigés par la couronne des Habsbourg espagnols. Sous Charles-Quint, le pouvoir reste dévolu à ce que l'on peut considérer comme un gouvernement local hérité de l'époque des ducs de Bourgogne et qui s'appelle le Conseil d'État. Il est composé de seigneurs et présidé par des gouverneurs, dont, notamment, la "gouvernante" Marie de Hongrie. La défense des droits locaux face à l'autorité étrangère était une des principales préoccupations d'une partie de la noblesse qui, en cela, rencontrait l'approbation du peuple qui avait lui-même bénéficié, au long des siècles, de la conquête des droits arrachés par les cités contre les pouvoirs féodaux. La manifestation la plus importante en fut le « compromis des Nobles » qui dressa la noblesse des Pays-Bas du Nord et du Sud contre les abus du fils de Charles-Quint, Philippe II. Celui-ci, après avoir assisté à Bruxelles à l'abdication de son père, résida toute sa vie en Espagne, s'efforçant de réduire les droits de ces sujets du nord. Il en résulta des persécutions, dont l'exécution sur la Grand-Place de Bruxelles des comtes d'Egmont et de Hornes, les principaux meneurs du Compromis des Nobles dans la défense de ce que l'on appelait les « privilèges » le mot recouvrant les divers droits qui avaient été conquis au long des siècles contre les abus du pouvoir. À cela se mêlait une guerre de religion entre les catholiques et les protestants. La persécution des Espagnols catholiques contre les protestants et leurs abus de pouvoir contre tout le monde entraînèrent des alliances de circonstance entre protestants et catholiques contre l'Espagne. Il en résulta une longue suite de ravages et d'exécutions dus à une longue guerre contre le pouvoir espagnol sous l'autorité du prince Guillaume d'Orange-Nassau, dit le Taciturne, un catholique qui avait été un des proches de Charles-Quint mais qui finit par passer dans le camp protestant lorsqu'il dut se résigner à se retirer dans les Pays-Bas du Nord (Belgica Foederata). Les Pays-Bas du Nord parvinrent finalement à l'indépendance après ce que l'on a appelé « le siècle de malheur », ceux du Sud représentant la future Belgique restant sous l'autorité espagnole. Cette partie comprend à peu près tout le territoire de la Belgique moderne, à l'exception de la Principauté de Liège, mais en incluant le nord de la France pas encore conquis mais convoité par la monarchie française. Le pays finit par passer dans l'apanage des Habsbourg d'Autriche, sans que cela change fondamentalement les rapports avec le pouvoir impérial. La découverte, à Bruxelles, d'anciennes chartes insuffla une vigueur nouvelle aux revendications, ce qui fit dire à un ministre autrichien « Ce pays perdra ses privilèges ou ces privilèges le perdront ».
En plus des luttes contre l'autorité des souverains étrangers qui affirmaient, de longue date, avoir des droits sur le pays hérités de l'époque féodale, il fallait compter avec les souverains français, et notamment Louis XIV qui affirmait des prétentions totalement infondées sur la possession des Pays-Bas. Le pays fut donc le théâtre de beaucoup de batailles des guerres franco-espagnoles et franco-autrichiennes auxquelles étaient mêlées les populations comme victimes ou acteurs, de nombreux généraux étant issus de la noblesse locale, tels Bernard de Fontane ou Tilly (qui gagna, en Europe centrale, la bataille de la Montagne Blanche). Venant après les malheurs du XVIIe siècle, ceux du XVIIIe siècle valurent au pays de porter le surnom de « champ de bataille de l'Europe » (une réputation qui sera renforcée par les deux guerres mondiales).
Les révolutions brabançonne et liégeoise de 1789 et l'annexion française
La Révolution liégeoise débute en 1789 en l'absence du prince-évèque, les mouvements révolutionnaires éclatent alors presque simultanément à Paris et à Liège. En 1789-1790, éclate une nouvelle révolution, cette fois contre les abus de l'absolutisme autrichien, c'est la Révolution brabançonne. L'armée autrichienne est battue à Turnhout et les révolutionnaires proclament les États-Belgiques-Unis. Les chefs de Bruxelles et de Liège tentent de s'entendre, mais aucune des deux révolutions ne peut se maintenir longtemps du fait des luttes intestines à Bruxelles entre Statistes (les conservateurs) et Vonckistes (les libéraux) et par le retour du prince-évèque à Liège appuyé par la Prusse. Les Autrichiens reviennent en force et se réinstallent, mais pas pour longtemps. Ils vont être bientôt chassés par les forces armées françaises25.
En France, l'abolition de la royauté est proclamée en septembre 1792 aboutissant à la naissance de la Première République française. Les citoyens de Liège votent alors le rattachement à la République Française en 1793 dans l'élan de la révolution liégeoise. Après les campagnes militaires de 1794 de la Révolution française, les Pays-Bas autrichiens sont également annexés par la Première République française, mettant définitivement fin au long règne hispano-autrichien. La Révolution liégeoise, progressiste et influencée par la philosophie des Lumières se distingue alors de la Révolution brabançonne plutôt conservatrice qui est même parfois appelé « contre-révolution ». Cette distinction se remarque également dans l'attitude vis à vis de la République Française, si dans le cas de Liège le rattachement à la France est largement plébiscité par la population, celui des Pays-Bas autrichiens est en revanche marqué par une très forte abstention. * Les guerres napoléoniennes entraînant une conscription militaire de plus en plus lourde, il en résulte une opposition qui aboutit à une guerre des paysans dans la partie wallonne. En 1814, l'empire français est tenu en échec et renversé par la Sixième Coalition, puis en 1815 par la Septième Coalition. Les grandes puissances victorieuses décident alors de le démembrer et réunifient les Pays-Bas afin d'en faire un état tampon. Cette construction politique, le Royaume-Uni des Pays-Bas, ne durera pas et aboutira à la révolution belge de 1830.
* C'est d'ailleurs pour cela qu'on fête à Liège le 14 juillet plus que le 21 juillet (fête nationale belge). Autrement dit bien avant la fracture wallon-flamand, il y a historiquement une fracture Liège - reste de la Belgique. Celle-ci à cependant quasi disparue
Départements de France en 1801
La révolution belge de 1830
La réunification ne tient pas. Sous le pouvoir jugé trop « napoléonien » de Guillaume Ier, la restriction des libertés politiques et religieuses, la sous-représentation politique et l'« exploitation fiscale » des provinces méridionales font naître une opposition catholique et libérale qui aboutit à une alliance entre ces deux grands courants d'opinion du sud du pays. Cet unionisme devient « spécifiquement belge et énonce des griefs spécifiquement belges »26. L'autorité du régime périclite alors dans le sud, un climat pré-révolutionnaire règne, le roi ne pouvant se maintenir en Belgique que par l'usage de la force27.
À sa création en 1830, la Belgique était peuplée en majorité de néerlandophones mais était dirigée par des francophones, dont de nombreux Flamands : en effet, toute la bourgeoisie et la noblesse flamande parlait français. La Cour, la classe politique, la magistrature, les milieux d'affaires s'exprimaient en français. Les Flamands se sont d'abord battus pour être reconnus en tant que tels. La lutte fut longue : ce n'est qu'en 1898 que le néerlandais est devenu une langue officielle.
La révolution belge de 1830 entraîne la défaite de l'armée hollandaise. Malgré une courte tentative de retour offensif, les Hollandais doivent renoncer à la Belgique avec l'accord des grandes puissances qui veulent éteindre au plus vite un foyer de sédition comme l'était Bruxelles, où grouillaient des réfugiés politiques de toute l'Europe: nostalgiques de la république et de l'empire français, intrigants appartenant à des sectes politiques comme la Charbonnerie, les derniers partisans de Babeuf, ainsi que Buonarotti et des polonais rescapés de la répression tsariste et même des exilés sud-américains.
Les événements de Bruxelles suscitent les appétits des puissances. Le ministre français des Affaires Étrangères Talleyrand se propose d'annexer presque toute la Wallonie et Bruxelles, laissant Liège (pourtant une ville francophile) aux mains de la Prusse, tout en s'attirant la complicité de la Grande-Bretagne en lui abandonnant la Flandre jusqu'à l'Escaut, y compris Anvers. La réponse belge exprimée par Alexandre Gendebien, membre influent du gouvernement provisoire de Bruxelles le 6 janvier 1831 est nette : la Belgique menace d'un soulèvement général les puissances qui tenteraient de dépecer le pays comme l'avaient fait les monarchies sous l'ancien régime28. Dans le climat d'agitation populaire que connaît l'Europe, c'est la perspective de voir les événements belges contaminer d'autres pays, alors que les suites du soulèvement polonais contre les Russes et leurs échos en Allemagne ne sont pas éteints, pas plus que l'agitation ouvrière en France où les révolutionnaires des journées de juillet supportent mal la récupération du pouvoir par une nouvelle monarchie.
Cette seconde indépendance belge en moins de cinquante ans aboutit à la reconnaissance par les puissances, à la conférence de Londres de janvier 1831, d'un État neutre sous l'autorité d'un gouvernement provisoire et d'un congrès national. Avec l'installation de Léopold de Saxe-Cobourg-Gotha comme premier roi des Belges, la Belgique devient une monarchie constitutionnelle et une démocratie parlementaire.