Hiroshima, première victime de la Guerre froide ?
Les bombardements d'Hiroshima et Nagasaki en août 1945 ont précipité la fin de la Seconde Guerre mondiale. Depuis quarante ans, des historiens américains n'en critiquent pas moins l'utilisation de la bombe atomique contre le Japon. Elle avait pour motivation première, selon eux, d'impressionner l'URSS, dont l'influence se précisait en Europe et dont l'expansionnisme menaçait en Asie. "
Le dilemme concernant l’utilisation de la bombe atomique contre Hiroshima et Nagasaki hante l’humanité depuis 1945 : la préservation de dizaines de milliers de vies de soldats américains justifiait-elle le sacrifice d’au moins 200 000 civils japonais ? Depuis les années soixante, certains historiens américains font une lecture particulièrement critique de la tragédie, dans laquelle ils décèlent la première manifestation de l’affrontement à distance entre les États-Unis et l’URSS.
Soutou mentionne les thèses "révisionnistes" qui, présentées par des historiens américains travaillés par la propagande soviétique, tentent de présenter la guerre froide comme un conflit dont les USA ont systématiquement allumé chaque mèche :
Indiquons au passage que l’interprétation de Yalta a été l’un des chevaux de bataille de l’historiographie américaine « révisionniste » dans les années 70, dans le contexte politique de la guerre du Vietnam et de la new left, où de nombreux historiens américains faisaient retomber les responsabilités de la guerre froide sur les États-Unis et, au départ, sur Truman. Plus que sur le plan scientifique – l’inanité des thèses révisionnistes a été immédiatement démontrée pour qui voulait se donner la peine d’étudier le dossier –, ces interprétations ont été importantes sur le plan politique, dans la mesure où elles ont donné un fondement intellectuel à la remise en cause, à l’occasion de la guerre du Vietnam, du consensus en matière de politique extérieure établi entre les partis politiques américains depuis 1947. (Georges-Henri Soutou, La guerre de Cinquante Ans, 72-73)
À l’extrême fin de sa vie Roosevelt commençait à nourrir des doutes envers Staline (à cause de sa politique en Pologne et en Roumanie) même s’il voulait poursuivre la coopération avec l’URSS. Truman, lui, fut dans l’ensemble plus souple au début, pendant tout le printemps 1945. Ce qui infirme la thèse des Soviétiques à l’époque, celle des historiens américains révisionnistes dans les années 1970, selon laquelle Truman aurait été responsable de la Guerre froide, car il aurait rompu dès son arrivée au pouvoir avec la politique de Roosevelt. En fait, pas encore au courant des affaires, Truman débutant a été plutôt plus accommodant envers l’URSS que Roosevelt finissant. (Georges-Henri Soutou, , 87)
Une invasion terrestre de l’archipel n’aurait pas tué, selon certaines estimations, plus de 50 000 GI ; Eisenhower lui-même pensait que la bombe était inutile pour vaincre ; dès 1946, un rapport de la United States Strategic Bombing Survey va dans ce sens, suivi par l’historien anglais P.M.S. Blackett en 1948 ; c’est la question qui entretient, aujourd’hui encore, les plus vives polémiques aux Etats-Unis ;
Après coup et avec le recul des années, peut-être, mais :
1. Les USA sortaient de la bataille d'Iwo Jima qui, avec 80.000 hommes contre 20.000 Japonais, perdit 26.504 Américains (6.821 tués, 19.189 blessés et 494 disparus) pour 21 km² conquis ; il restait bien un million de soldats et des dizaines de millions de civils japonais et les Américains n'avaient pas 4 millions de soldats à leur opposer pour conquérir le reste du Japon ; c'est toute la guerre du Pacifique qui imprégnait en 1945 les porjections du gouvernement et des états-majors américains ;
2. Les USA ne sont pas comptables des vies japonaises mais des seules vies américaines ; à ce titre, même une vie américaine perdue pour conquérir le reste du Japon peut être considérée comme trop cher payé.
Des ouvertures diplomatiques japonaises en direction des États-Unis lors de la conférence de Potsdam n’auraient pas été prises en considération ; pourtant, la défaite nippone étant acquise à terme depuis la reddition allemande et l’engagement de Staline à intervenir en Asie, il aurait suffi aux Américains d’assortir leur demande de capitulation d’une garantie maintenant l’empereur dans ses fonctions ;
L'argument n'est pas recevable : les Alliés s'étaient promis de n'accepter que des redditions communes et sans condition, tandis que le gouvernement japonais tentait encore de négocier des conditions et avec les seuls USA. Les USA ont tenu leurs engagements envers les Alliés.
Dans tous les cas, Washington aurait très bien pu envoyer un dernier avertissement à Tokyo, en révélant à la face du monde l’efficacité de la bombe lors d’un tir de démonstration ; en outre, rien n’obligeait, trois jours après Hiroshima, à bombarder Nagasaki (9 août), si ce n’est l’entrée en guerre de l’URSS la veille (8 août).
Les bombardements atomiques constituaient précisément des avertissements et des tirs de démonstration.
Ca a marché.
Elles ont beaucoup moins tué que les bombardements aériens classiques alliés au Japon (> 500.000 morts) ou en Allemagne (mêmes estimations moyennes), sans compter les économies de vies alliées, d'avions, de carburants, etc.
La Grande Alliance commence à se défaire, mais la bipolarisation du monde n’est pas encore une réalité tangible. L’URSS, allié inestimable contre les Nazis, ne se transforme pas du jour au
lendemain en ennemi mortel.
Les archives diplomatiques soviétiques et l'ensemble des archives officielles américaines démontrent que si Staline préparait sournoisement son glacis soviétique en trahison totale des accords passés avec les Alliés, Truman ne l'accepta qu'en 1946 en dépit des dénonciations britanniques, européennes, turques et iraniennes. Ce n'est qu'à la fin de 1946 que les USA deviennent hostiles envers les menaces soviétiques. Soutou le présente très bien sur plusieurs chapitres.
Du reste, une hypothétique “ diplomatie atomique ” en direction de Moscou se serait avérée particulièrement inefficace. À Potsdam, Staline, averti par ses services de renseignement, ne montre aucun étonnement lorsque Truman lui parle d’une arme nouvelle, et n’assouplit en rien ses positions. Ensuite, Hiroshima n’empêche pas l’URSS d’entrer en guerre contre le Japon deux jours plus tard, selon le calendrier prévu à Yalta, et permet finalement à Moscou de récolter les territoires promis dans un temps record, presque sans combattre. Enfin, au cours des mois suivant, l’autorité avec laquelle l’URSS affermit sa domination à l’est du rideau de fer n’est pas la manifestation d’un État intimidé, alors que la dissymétrie avec les États-Unis ne disparaîtra qu’en 1949 avec la mise au point de la bombe soviétique.
Voilà qui rééquilibre la thèse initiale, mais G. Delon n'a pas encore épluché les travaux d'historiens qui reviennent sur cette idée reçue, sur leurs auteurs dits "révisionnistes" et leurs motivations idéologiques inspirées par le KGB.
Cet article me semble assez bien résumer la controverse historique à ce sujet.
Oui, mais il en omet la conclusion historienne, à savoir qu'elle est infirmée par l'étude des archives officielles américaines, toutes déclassées depuis la parution des travaux d'universitaires américains gauchistes dans les années 1960-1970. Le souci d'épargner des vies américaines et de mettre le Japon à genou le plus rapidement et le plus économiquement possible primait bien alors.
Je crois même que si les études postérieures démontrant que la conquête du Japon n'aurait tué 50.000 GI avait été conclues avant Hiroshima, c'était 50.000 morts de trop et trop de mois de guerre supplémentaires à attendre.
Ce bombardement est parfaitement cohérent avec la politique internationale américaine mise en place par Roosevelt et toujours actuelle, à savoir l'ouverture du monde au libre-échange américain via un développement du libéralisme et la protection de ce développement.
Le seul regret américain concerne les radiations nucléaires. Ce regret inspire en Occident la terreur politique du bombardement nucléaire et une efficace littérature de science-fiction dans les années 1950. Des scientifiques soviétiques tarderont à faire partager cet effroi au Soviet suprême vers la fin de cette décennie.
Il semble que seuls quelques djihadistes n'ont pas encore compris les complications d'un bombardement nucléaire, notamment de représailles sur La Mecque et Médine ou leurs propres pays.