Est-il encore possible aujourd’hui de parler de la place de l’islam en France de manière apaisée, sans exacerber les tensions communautaires ou être taxé d'islamophobe ?
Jeannette Bougrab : Il faut rappeler que dans l’affaire de Charlie Hebdo, il ne s’agissait en fait pas de caricatures mais d’une réaction à une actualité : l’assassinat de quatre diplomates américains suite à un film. Ce qu’à fait Charlie Hebdo, c’est ce qu’ils font d’habitude. J’ai regretté l’absence de défense réelle et sans équivoque du Premier ministre, alors que ce qu’a dénoncé Charlie Hebdo, c’était un fondamentalisme qui conduit au meurtre d’innocents. Et ils l’ont fait à leur manière, c’est-à-dire par la caricature.
Je pense qu’il est de plus en plus difficile de parler de la place de l’Islam en France. Il n’y a qu’à voir comment a été accueillie Caroline Fourest à la fête de l’humanité. Caroline Fourest est une femme de gauche, militante féministe, laïque et qui s’est fait injurier alors qu’elle se rendait à la fête de l’humanité pour débattre de l’islam. Ce n’est pas acceptable. Et ce n’est pas tant d’Islam dont il s’agit de parler, il s’agit de parler d’islamisme, de fondamentalisme. Il s’agit de parler de ceux qui instrumentalisent une religion à des visées politiques. Je suis de culture musulmane et je n’ai pas l’impression que l’on parle de moi lorsque l’on me parle des « barbus ».
Michèle Tribalat : Non, car, pour échapper à l’appellation d’islamophobe, il faut dire des choses gentilles, même si on ne les pense pas. Bouffer du curé, tourner en dérision les « cathos » a été un sport national, tout particulièrement à gauche, du temps où l’Eglise représentait encore quelque chose. Il arrive même que l’on remette cela alors qu’elle est en perdition. Quand vient le tour de l’islam, les règles du jeu changent soudainement. Il est curieux que le terme d’islamophobie ait un tel succès alors que c’est précisément le terme choisi par les islamistes pour rendre impossible toute critique de l’islam et de certaines pratiques qui lui sont associées, en somme pour nous rendre muets sur le sujet. Et ça marche assez bien.
L’islam est traité comme s’il n’était qu’une religion, à protéger parce que religion de l’autre par excellence, alors qu’il est aussi pour nombre de musulmans, un projet politique. Maajid Nawaz, ancien membre du Hizb al-Tahrir au Royaume-Uni explique dans son livre Radical comment son mouvement s’est servi de cette confusion pour se développer à l’intérieur de l’Université britannique et ailleurs. Au politiquement correct de politesse, s’ajoute celui lié à la crainte. La jurisprudence Rushdie est là, bien installée, même si on ne l’a pas vue venir. Charlie Hebdo a été critiqué parce qu’il a continué de faire ce qu’il fait toutes les semaines : caricaturer l’actualité. Un grand nombre de déclarations reflétant des faits réels passent pour des « coming out » racistes parce que nous avons pris l’habitude de traiter ces faits par un silence de plomb. À l’aune du politiquement correct, parler de faits réels c’est dénigrer. À ce compte là, on comprend l’émoi que suscitent les caricatures.
http://www.atlantico.fr/decryptage/cisl ... 06112.html