Dashwood L'oeuvre et sa visée. Il manque quelque chose d'essentiel: la réception. Entre l'intention et le résultat, parfois, on trouve un précipice.
Vous voyez déjà que vous ne vous émancipez que dans une certaine mesure de ce que vous appelez le formalisme. Je le dis sans porter de jugement de valeur : sans dire si c'est bien ou mal. Doit-on considérer le jugement des hommes lorsque l'on produit une œuvre ? Vous postulez que oui, opinion très largement partagée aujourd'hui, je sais.
Une autre démarche me semble plus valable : chercher la vérité en matière de beau, la trouver dans une certaine mesure, en tirer toutes les conséquences, et l'appliquer en produisant, sans considération de l'opinion du temps.
@Dashwood#345590 Non. Plutôt : je fais différemment. Je me nourris. Je digère. Je propose. Je transforme.
Il aurait été plus juste de ma part de le résumer ainsi : "je fais ce que je veux indépendamment des normes, donc de la théorie ou conception en vigueur". La théorie est pour vous un carcan ; pour moi, elle serait plutôt l'instrument qui permet l'expression.
Complétons la démarche précédemment évoquée : étudier la conception de l'époque si elle semble sensée, s'y soumettre si on la juge la plus vraie possible ; si elle semble insensée en premier lieu, ou fausse dans un second temps, la rejeter, poursuivre l'étude.
Dashwood Nous avons tous, en nous, intimement, une histoire esthétique, faite de fréquentations d'oeuvres: nous héritons tous d'un patrimoine culturel et artistique qui fait notre sensibilité esthétique, tout autant que d'un patrimoine génétique qui dit ce que l'on est. Je ne crois pas qu'il s'agisse d'une théorie...
Développons l'idée d'acquis. La théorie est jugement de celui qui sait, ou pense savoir ; l'opinion est jugement établi à partir de l'expérience. Le premier a étudié, cherché le beau, l'idée qui lui semble correspondre le plus aux réalités, s'il est bon philosophe ; le second se contente des apparences. Si le premier se soumet à ses jugements ou dogmes, une fois qu'il les a trouvés, le second se soumet à l'opinion, ce qui l'a façonnée. Le premier reste plus libre, car au moins, il dispose de quelques bases ou connaissances pour réinterpréter la théorie qu'il connaît, ou en changer ; tandis que le second n'est qu'esclave de son érudition, ou des idées en vogue de son temps.
Concernant l'inné, je n'ai pas spécialement de réponse à apporter. J'admets bien évidemment les différences individuelles : qu'il y a de meilleures dispositions chez les uns que chez les autres.
J'attire enfin votre attention sur la question suivante : comment former en art ? J'imagine qu'il est très important de disposer d'une érudition, de la matière qui sert le raisonnement : la connaissance des mouvements, et des œuvres. Mais il ne faut pas négliger la formation du jugement, que l'on acquiert par l'étude de l'esthétique comme branche de la philosophie, et par une formation pratique, même pour le simple critique d'art : l'expérience en plus de la science, si je résume mon programme.
Dashwood Le beau est lié à l'histoire qu'on se construit du beau. Je parlais de sensation de beau.
Si le beau est sensation, il ne peut résulter d'une opinion, car elle est jugement. D'un côté vous nous dites qu'il est sensation, de l'autre vous nous expliquez comment se forme l'opinion, le jugement en question. Il y a donc une contradiction dans votre propos.
Je préfère personnellement à l'opinion, qui n'est qu'un moyen terme entre le savoir et l'ignorance, la formation par l'étude, comme dit précédemment. Je rajoute cependant que cette étude peut tout aussi bien former que déformer : l'art, et le non-art. Au risque de choquer, je n'ai pas spécialement compris en quoi le chinois précédemment nommé est génial, en quoi son tableau relève de l'art.
Dashwood Une tragédie joue sur le ressort de la terreur cathartique, par exemple. C'est expliqué dans la Poétique d'Aristote.
Un argument possible en faveur de la tragédie comme meilleur genre ? Acceptez-vous une hiérarchie dans les genres littéraires ? Si oui, laquelle ? Je me contenterai de votre réponse à ce sujet, si vous souhaitez développer, car je ne suis pas en mesure de juger, dans l'état actuel de mes connaissances.
Dashwood S'il existait une réponse définitive, eh bien tout le monde "usinerait" du beau. Il n'y aurait plus que de la banalité.
Je reconnais la cohérence de votre propos. Si l'on réduit le beau à la sensation, on le mesure alors à l'effet qu'il produit sur les hommes. Plus l'effet produit est important, plus il transcende ou ajoute au beau. Je parlais de Burke précédemment : cela me rappelle par exemple le sublime.
Sans me répéter à propos du beau, cela me pose un autre problème : votre conception transforme l'art en spectacle, comme en témoigne, le terme « banal ». Vous attendez du beau soit qu'il suscite une émotion forte, soit qu'il soit original, qu'il vous émerveille, qu'il terrorise, au moins qu'il vous surprenne. Pourquoi le beau devrait-il produire ces sensations ?
Vous portez déjà une opinion du beau, ce me semble, qui se rapporte à une conception, comme je le disais précédemment. Pour l'identifier exactement, il faudrait que je sois bien plus connaisseur. Mais disons a minima que je vous imagine plus romantique que classique ou néo-classique. Je me trompe ?
Pour répondre maintenant à la première partie du propos, je vous accorde qu'il serait très étonnant qu'il existe une réponse définitive. J'aime rappeler que l'homme connaît toujours en partie, que par ses théories il ne comprend la vérité, dont le beau ne se distingue pas, que dans une certaine mesure. S'il s'agit d'un mal, d'une déficience, cela explique deux phénomènes : 1- les théories se répondent toujours, incessamment, vous dites vrai ; 2- l'érudit en art que vous êtes y trouve son compte, le plaisir de constater les diverses expressions des théories esthétiques dans les œuvres produites, tandis que cela frustre le spéculatif, philosophe de bac à sable que je suis.