Assis dans la salle commune, le colonel jette un coup d'œil au programme du lendemain. Aux murs, des peintures de buffles, d'éléphants et de rhinocéros sont accrochées entre plusieurs trophées de chasse. Jooste est un nostalgique, il regrette l'époque révolue de l'apartheid. Aujourd'hui encore, il se considère comme trahi par ses supérieurs qui, alors qu'il luttait pour le régime blanc, négociaient la paix avec Nelson Mandela. Les raisons pour lesquelles Jooste regrette ce système sont aussi claires que racistes: «À part les Aborigènes d'Australie, les Noirs africains sont le peuple le plus sous-développé et barbare sur cette terre.» Et Jooste n'est pas un cas isolé. Depuis 1992, une poignée de Blancs partage son désir de retour vers le passé.
«Qui est votre ennemi? Qui vole, tue et viole? Qui sont ces créatures? Les Noirs!» La voix de Jooste résonne dans la salle remplie de jeunes assis en tailleur sur le sol. Debout devant eux, le colonel s'improvise professeur d'éducation civique, distillant la peur dans l'esprit des adolescents. Car la peur, celle du crime, finit presque toujours par engendrer la haine de l'autre. L'alchimie des deux sentiments ne fait alors pas bon ménage. «Il ne me faut qu'une heure pour réussir à les convaincre, confesse fièrement Jooste. Très vite, ils vont s'apercevoir qu'ils ne font pas partie de la nation arc-en-ciel, mais d'une autre nation, blanche, avec une vraie identité.» Et puis, comme baptême pour ses élèves, il étale sur le sol de l'entrée le drapeau d'Afrique du Sud. «Vous allez essuyer vos bottes boueuses dessus!» Les gamins endoctrinés s'exécutent, riant timidement tout en piétinant le drapeau de leur propre patrie.
À l'instar d'autres groupuscules d'extrême droite, les Kommandokorps insistent sur un point précis, pierre angulaire de leur programme politique: le rejet total de toute intégration et le droit à posséder un territoire indépendant afin que la «nation blanche» puisse survivre. À leurs yeux, se contenter d'un simple retour à l'apartheid ne suffirait pas. Leur crédo: aucune forme de cohabitation avec le peuple noir. Alors, chaque matin, Jooste fait chanter à ses stagiaires l'ancien hymne national, devant le vieux drapeau orange-blanc-bleu orné en son centre des blasons des anciens pays colonisateurs.
«Vous allez apprendre la persévérance!» hurle Jooste tandis que les cadets rampent sur le sol poussiéreux et rocailleux, comme à l'armée, tout en portant une poutre de bois. À l'arrière de la file, un des jeunes est en pleurs. Entouré par les assistants du colonel s'empressant d'immortaliser l'événement avec leurs téléphones portables, le petit E. C. n'arrive pas à soulever la masse qui doit faire plus d'un tiers de son poids. Ses mains sont en sang, la scène relève d'un sadisme terrifiant. «Je n'ai dormi que six heures en trois nuits. Nos sacs de couchage sont détrempés à cause de la pluie. J'ai envie d'abandonner…» gémit-il à la fin de l'exercice. Quant à ses deux amis noirs, les graines semées par Jooste semblent avoir germé: «Je ne sais pas si je pourrai les revoir après le stage.»
Si les Kommandokorps n'entraînent qu'une fraction minime des Blancs en Afrique du Sud, le phénomène reste inquiétant tant il est efficace. En neuf jours, les jeunes ont subi un lavage de cerveau complet. E. C. affirme que son entraînement lui a appris qu'il fallait haïr les Africains: «Ils tuent tous ceux qu'ils croisent. Je ne peux plus être ami avec Thabang et Tshepo.» Riaan, lui, pense désormais qu'il est en guerre contre des Noirs qui veulent le détruire. «Je me sens Afrikaner car c'est dans mon sang. Je ne veux pas être considéré comme un Sud-Africain.» La méthode de Jooste a produit l'effet escompté. «Je ne veux pas les pousser dans une direction particulière, affirme le colonel. Tout ce que je fais, c'est canaliser un sentiment qu'ils possèdent déjà.» L'objectif est atteint. Ils sont arrivés en enfants, innocents et porteurs d'espoir. Ils repartent en hommes, racistes et le cœur rempli de haine. -
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