On peut relater d'autres faits pour équilibrer un peu les choses:
René Bousquet négocie en juillet 1942 avec les responsables de la police allemande un accord (connu sous le nom d'accords Bousquet-Oberg), officialisé par une déclaration d'Oberg, le 8 août 1942, devant tous les préfets régionaux17. Le chef des SS reconnaissait, alors théoriquement, l'« indépendance » de la police et de la gendarmerie nationales, qui, ne devaient plus être obligées de fournir des otages, ni des personnes arrêtées par les Français. Or, trois jours plus tard, à la suite de l'assassinat de huit Allemands, la police française dut livrer soixante-dix otages français, que les occupants exécutèrent (dont cinquante-sept arrêtés par les Français pour des délits d'opinion : distribution de tracts, aide aux évadés, suspicion de communisme…).
Camp de Drancy, août 1941.
Les accords Bousquet-Oberg aboutissent à ce qu'en 1942, ce soit la police française, toute seule, qui prenne en charge les rafles de Juifs parqués avant la déportation vers les camps de la mort. Ce sont également les gendarmes français ainsi que les douanes qui prennent en charge, avec zèle, la garde du camp de Drancy. Les volontaires qui gardent les camps bénéficient d'ailleurs de toutes sortes de dédommagements et de privilèges18. Selon le rapport Theodor Dannecker (du nom du chef de la Gestapo à Paris, représentant d'Adolf Eichmann en France), le « fichier Tulard », qui recense les Juifs, est obligeamment fourni par la préfecture de police de Paris au service IV J de la Gestapo, chargée de la question juive. Ce fichier a permis par la suite nombre de rafles et d'arrestations, dont celles d'août 1941 dans le XIe arrondissement de Paris. Outre le « fichier Tulard », les nazis ont bénéficié, grâce à la préfecture de police, « d'archives, voire de fichiers datant de 1938, quand après les décrets-lois Daladier, les commerçants et artisans étrangers avaient été recensés par types d'activité. Quelques années plus tard, écrit ainsi l'historien Maurice Rajsfus, il était facile de déceler d'éventuels Israélites dans certaines professions comme l'ameublement ou la confection, pour ne prendre que ces deux exemples. L'emploi des archives de la République au service des nazis ne fait là aucun doute ».
L'organisation du transport des Juifs étant décidée depuis Berlin (avec notamment Adolf Eichmann, le « spécialiste », qui s'occupe de cette logistique), il faut garder constamment plein les camps de concentration français afin de pouvoir remplir à tout moment les trains réquisitionnés. Ainsi, le SS Rötkhe veut accélérer les rafles fin août 1942, car si le ministère des Transports du Reich lui a mis à disposition treize trains, aucun convoi ne pourra être mis en route de novembre 1942 à janvier 1943 à cause du manque de moyens de transport. Fin août 1942, ce sont donc 7 000 Juifs étrangers qui ont été raflés et livrés aux Allemands en zone « libre », chiffre qui n'inclut pas les milliers de Juifs internés. Ainsi, la France fut le seul pays d'Europe dans lequel des Juifs séjournant dans un territoire non occupé par les Allemands ont été déportés. Sous l'autorité de la Gestapo, la police française, des pompiers et la troupe ont participé aux rafles de la fin août24.