L’islam en Indonésie
L’islam en Indonésie
L’Indonésie est, par sa population, le plus grand pays musulman du monde. Les attentats du 11 septembre puis la guerre menée en Afghanistan ont révélé un besoin crucial pour les Occidentaux de mieux connaître l’islam, et ainsi jeté une lumière nouvelle sur l’archipel insulindien. Il y a seulement quelques mois, ces îles suscitaient dans l’imaginaire européen des rêves de rizière en terrasse, de plages isolées, de forêts équatoriales encore inexplorées. Nous sommes prompts à échanger une chimère pour une autre. Aujourd’hui, l’Indonésie incarne pour beaucoup la menace d’un islam radicalisé, un islam d’autant plus effrayant qu’il est méconnu. L’extrémisme musulman, s’il ne peut être ignoré, doit être replacé dans son contexte politico-historique, particulier à chaque région du globe, et apprécié à sa juste mesure. Notre engagement à gauche nous invite naturellement à participer à cet effort pour une meilleure compréhension mutuelle.
Des islams en Indonésie
L’Indonésie compte plus de 200 millions d’habitants dont 90% sont musulmans. La conversion de l’archipel au dépens des cultes hindo-bouddhistes est relativement récente, puisqu’elle ne commence qu’au 15e siècle, et très progressive. La transition s’effectue sans heurts majeurs, car la nouvelle religion amené par des marchands chinois et indiens est déjà très syncrétique. Ainsi, beaucoup d’éléments de rite et de croyance traditionnels ont été conservés jusqu’à aujourd’hui, qui donnent un visage très particulier à l’islam indonésien. Des différences notables existent cependant entre les catégories de population et les lieux : les classes moyennes urbaines sont assez " formalistes ", c’est-à-dire proche de l’orthodoxie arabe, tandis que dans les campagnes, la religion pratiquée est plus traditionnelle. Les " îles extérieures ", Sumatra et Célèbes surtout, respectent rigoureusement les préceptes du coran, tandis qu’à Java, le centre politique, économique, et démographique de l’archipel, les pratiques mystiques sont très répandues.
Deux grandes organisations musulmanes incarnent cet antagonisme et structurent la société indonésienne. Le Nadhlatul Ulama représente le monde rural javanais et est l’ardent défenseur des valeurs de l’islam traditionnel. Au contraire, la Muhammadiyah revendique une religion rénovée et épurée de " l’animisme ". Ces deux mouvements ont des structures relativement lâches, il est impossible de compter leurs partisans, rares sont cependant les Indonésiens qui ne sont pas, plus ou moins étroitement, liés aux activités de l’une d’entre elles. En effet, elles animent nombres d’écoles coraniques, d’œuvres charitables, ou de clubs de réflexion. Elles jouent un rôle important dans le domaine des idées et peuvent influer de façon notable sur les opinions publiques. En conséquence, leur présence sur la scène politique est réelle, elles peuvent appeler à voter ou avoir leurs propres candidats, même s’il n’y a pas vraiment en la matière de discipline de parti.
Religion et politique : des liaisons dangereuses ?
Religion et politique n’appartiennent pas en Indonésie à des sphères opaques. Le rapport entre l’Etat républicain et la religion majoritaire, tel qu’il s’est constitué après la déclaration d’indépendance en 1945, est particulier et sujet à polémiques. D’un côté, la neutralité de l’Etat en matière religieuse est indispensable pour assurer l’adhésion à la république unitaire d’ethnies non musulmanes (les Balinais sont hindous, les habitants des Moluques sont protestants, …). D’un autre côté, l’islam constitue à bien des raisons le seul lien solide entre des populations aussi éloignées géographiquement que culturellement : quatre fuseaux horaires séparent Sumatra de la Nouvelle-Guinée occidentale, il y a plus de 300 langues parlées dans l’archipel, mais d’Est en Ouest, du Nord au Sud, la grande majorité est musulmane. Les tendances centrifuges sont l’un des problèmes les plus aigus du pays depuis son indépendance et jouer la carte de l’islam était très tentant. Les nationalistes de 1945 étaient cependant assez attachés à la laïcité de l’Etat. Ils se sont opposés à ce que l’islam devienne une religion d’Etat, mais ont placé au premier rang des principes de la République la croyance en un Dieu unique. Un statut égalitaire est donc reconnu aux cinq principales confessions monothéistes. Les Indonésiens sont libres d’être ou non pratiquants, mais l’athéisme est proscrit car assimilé au communisme, or depuis l’arrivée au pouvoir de Suharto en 1965 l’image de l’homme au couteau est devenu une doctrine nationale.
L’extrémisme religieux, dernier recours des politiques en mal d’idées
Qu’en est-il alors de l’extrémisme musulman en Indonésie? Depuis une dizaine d’années, les groupes radicaux se sont multipliés. Ils réclament l’application de la charia et s’en prennent aux minorités chrétiennes, souvent chinoises, accusées de prosélytisme. Cet extrémisme a semblé recevoir une certaine aura dans la population et on a pu assister à des rassemblements importants de " combattants du Jihad " dans les rues de Jakarta ou de Medan. La poussée de l’islamisme radical en Indonésie a des causes structurelles et conjoncturelles. Tout d’abord, le régime autoritaire de Suharto a brisé toutes les alternatives idéologiques : le communisme a été violemment réprimé (en 1965-1966, 500000 membres du PKI ou sympathisants ont été tués),le nationalisme combatif de Sukarno a été abandonné pour rejoindre le bloc américain, tous les opposants politiques ont été emprisonnés ou ont du s’exiler. " Non au politique, oui à l’économie " est devenu le slogan de l’ " Ordre Nouveau ". Le débat politique étant interdit, les Indonésiens ont de plus en plus utilisés la voie de l’islam pour exprimer leur revendications et leur rejet des pratiques de corruption. A partir du début des années 90, Suharto tente d’instrumentaliser l’islam : il créé l’ICMI, l’association des intellectuels musulmans d’Indonésie, part en pèlerinage à la Mecque, fait construire des mosquées grandioses,… Profitant du mécontentement grandissant, Gus Dur, le dirigeant du NU, fonde le Forum démocratie qui réunit des opposants de diverses tendances. Enfin, en 1998, Amien Raïs est à la tête des manifestations qui obligent Suharto à démissionner. Toutes les forces politiques du pays sont alors liées à l’islam, à l’exception notable du PNI, le parti national de Megawati Sukarnoputri, qui profite de la grande popularité de son père Sukarno. Comment s’étonner dès lors que le radicalisme islamiste se développe : il constitue le seul extrémisme ayant survécu à des années d’anémie politique. De plus, il profite largement de la conjoncture de crise générale que traverse le pays à partir de 1997. Face à la misère accrue et à la multiplication des scandales politico-financiers, la religion est souvent apparue comme le seul recours pour restaurer une moralité politique et exprimer le rejet du tout-libéral. Enfin, les extrémistes ont pu aisément profiter de la pauvreté pour mobiliser les foules, quitte à payer les manifestants ou à leur promettre les gains des échoppes dévastées.
Ainsi, les réponses à l’extrémisme religieux en Indonésie doivent être du même ordre que ses causes : politiques et économiques. Le pluralisme politique se reconstitue progressivement depuis la chute de Suharto, mais la situation économique et sociale reste catastrophique et la crise semble sans issues. L’Etat est totalement désorganisé et impuissant, bloqué entre des régions qui menacent de se détacher et un FMI qui conditionne ses aides au rigorisme budgétaire, incapable de mener une réelle politique de relèvement. L’islamisme radical a encore de beau jours devant lui. Cependant, son assise n’est que très superficielle : il exprime un rejet du système tel qu’il a été vécu pendant des décennies d’autoritarisme et de corruption généralisée, il rallie les déçus et les mécontents, mais rares sont ceux qui souhaitent l’instauration d’un régime fondé sur l’ordre islamiste.
D’ailleurs, l’élection d’une femme, Megawati, comme chef de l’Etat a peut-être été le seul consensus dont le pays ait été capable depuis quelques années.