C’est à la mode ces temps-ci chez les dirigeants occidentaux de saluer l'Indonésie comme un modèle de démocratie musulmane. La Secrétaire d'État Hillary Rodham Clinton a déclaré : «Si vous voulez savoir si l'islam, la démocratie, la modernité et les droits de la femme peuvent coexister, allez voir l’Indonésie." Et le mois dernier le premier ministre britannique David Cameron a loué l'Indonésie pour montrer que « la religion et la démocratie ne doivent pas être en conflit. »
Allez raconter cela à Asia Lumbantoruan, un pasteur dont la congrégation située en périphérie de Jakarta a récemment vu deux de ses églises en construction incendiées par des militants islamistes. Il a été poignardé par ces extrémistes en tentant de défendre une troisième église lors d’une attaque en septembre 2010.
Cette semaine à Genève, l'Organisation des Nations Unies procède à l'examen de l’état des Droits de l’Homme en Indonésie. Elle ferait bien d’appeler le président Susilo Bambang Yudhoyono à sévir contre les extrémistes et à protéger les minorités. Même si l'Indonésie a fait de grands progrès dans la consolidation d'un gouvernement démocratique stable après cinquante ans de dictature, le pays n'est pas un bastion de la tolérance. Les droits des minorités religieuses et ethniques y sont systématiquement bafoués. La Constitution indonésienne protège la liberté de religion mais des lois contre le blasphème et le prosélytisme sont couramment utilisées pour persécuter les athées, les bahaïs, les chrétiens, les chiites, les soufis et les membres de la foi Ahmadiyya (une secte musulmane déclarée hérétique dans de nombreux pays islamiques). En 2010, l'Indonésie comptait plus de 150 lois et règlements d'inspiration religieuse qui restreignent les droits des minorités.
En 2006, M. Yudhoyono, dans un nouveau décret sur "l'harmonie religieuse" a restreint les critères pour la construction d'un lieu de culte. Ce décret ne s’applique qu’aux minorités non musulmanes, depuis les islamistes font pression sur les responsables locaux pour qu’ils n’autorisent pas la construction d'églises ou harcèlent et menacent les chrétiens qui se réunissent dans les églises «illégales» qui n'ont pas d'enregistrement officiel. Plus de 400 de ces églises ont été fermées depuis que M. Yudhoyono a pris ses fonctions en 2004.
Bien que le gouvernement ait réprimé la Jemaah Islamiyah, une filiale Al-Qaïda qui a posé des bombes dans des hôtels, des bars et des ambassades, il ne fait rien contre d'autres militants islamistes qui commettent régulièrement des crimes moins médiatisés contre les minorités religieuses. Le gouvernement de M. Yudhoyono est réticent à s’en prendre à eux car il gouverne l'Indonésie avec une coalition de partis politiques islamistes intolérants.
M. Yudhoyono ne se contente pas de fermer les yeux, il courtise les éléments conservateurs islamistes et s'appuie sur eux pour maintenir sa majorité au Parlement en leur accordant des postes ministériels clés. Cette complaisance envoie un message à la population de l'Indonésie et encourage les extrémistes islamistes à employer la violence contre les minorités.
En août 2011, par exemple, des militants musulmans ont incendié trois églises à Sumatra. Personne n'a été inculpé et les fonctionnaires empêchent depuis les congrégations de reconstruire leurs églises. Et à la périphérie de Jakarta, deux municipalités ont refusé d'obéir à des décisions de la Cour suprême autorisant la réouverture de deux églises qu’elles avaient fermées, M. Yudhoyono affirme qu'il n'a aucune autorité pour intervenir.
Les Chrétiens ne sont pas les seules cibles. En juin 2008, l'administration Yudhoyono a publié un décret obligeant la secte Ahmadiyya à "mettre fin à la diffusion de ses interprétations et activités qui s'écartent des enseignements principaux de l'Islam», y compris sa croyance fondamentale qu'il y a eu un prophète après Mahomet. Le gouvernement a déclaré que ce décret était nécessaire pour prévenir la violence contre la secte. Mais les gouvernements provinciaux et locaux se servent de ce décret pour instaurer des réglementations encore plus sévères. Des militants musulmans, qui considèrent les ahmadis comme des hérétiques, ont depuis fermé de force plus de 30 mosquées Ahmadiyya.
L’attaque la plus meurtrière a eu lieu à l'ouest de Java en février 2011, trois ahmadiyyas ont été tués. Un caméraman a filmé les violences et posté son film sur YouTube. Un tribunal indonésien a finalement inculpé 12 militants de ce crime mais les a condamnés à des peines dérisoires d’à peine quatre à six mois. M. Yudhoyono ne protège pas non plus les minorités ethniques qui demandent pacifiquement leur indépendance en Papouasie et dans les îles Moluques. Au cours de manifestations en Papouasie le 1er mai, un manifestant a été tué et 13 autres arrêtés. Et en octobre dernier, le gouvernement a brutalement réprimé un rassemblement du peuple papou, des dizaines de personnes ont été brutalisées et il y a eu trois tués. Alors que les manifestants ont été emprisonnés et accusés de trahison, le chef de la police en charge de la sécurité ce jour-là a été promu.
Près de 100 personnes sont toujours en ce moment en prison pour avoir manifesté pacifiquement. Des dizaines y sont tombées malades, mais le gouvernement leur refuse un traitement médical approprié, affirmant qu'il n'a pas d'argent. Même la dictature de Suharto permettait au Comité international de la Croix-Rouge de visiter les prisonniers politiques, mais le gouvernement Yudhoyono a interdit au CICR de travailler en Papouasie.
Au lieu de louer l'Indonésie, les pays qui soutiennent la tolérance et la liberté d'expression devraient exiger publiquement que l’Indonésie respecte la liberté de religion, libère les prisonniers politiques et lève les restrictions sur les médias et les groupes de défense des droits des Papous.
Ce que M. Yudhoyono doit faire c’est abroger les lois discriminatoires, exiger de ses partenaires de la coalition qu’ils respectent la liberté de religion de toutes les minorités, en paroles et en actes, et appliquent les dispositions de la constitution qui protègent la liberté de culte. Il doit également dire clairement que les islamistes purs et durs qui commettent ou incitent à la violence et les policiers qui ne veulent pas protéger les victimes seront punis. Ce n'est qu’alors que l'Indonésie sera digne des louanges de M. Cameron et de Mme Clinton.
Par ANDREAS HARSONO
Source : http://www.nytimes.com/2012/05/22/opini ... .html?_r=3
Traduction : caius