25 août 1944
La Libération de Paris
Le vendredi 25 août 1944, à 15h 30, le général Philippe Leclerc de Hauteclocque (43 ans) reçoit à Paris, devant la gare Montparnasse, la capitulation des troupes d'occupation de la capitale.
Le document est signé par le général Dietrich von Choltitz, commandant du 84e corps d'armée. Il est aussi contresigné par le colonel Henri Rol-Tanguy, chef régional des FTP-FFI (Francs-tireurs et partisans des Forces Françaises de l'Intérieur).
Une heure plus tard, le général Charles de Gaulle lui-même arrive à la gare et se voit remettre par Leclerc l'acte de capitulation (il fait la moue en voyant la signature de Rol-Tanguy, représentant de la résistance intérieure, communiste de surcroît).
On le voit ci-dessus face aux généraux Philippe Leclerc, Alphonse Juin et Jacques Chaban-Delmas (de dos).
Peu après, cependant, il consent à tendre la main à la résistance intérieure. C'est ainsi qu'il se rend à l'Hôtel de Ville où il est reçu par Georges Bidault, président du Conseil national de la Résistance. Comme celui-ci lui demande de proclamer le rétablissement de la République, de Gaulle rétorque qu'elle n'a jamais cessé d'exister.
Sur le perron, devant une foule enthousiaste et joyeuse, sous un beau soleil estival, il célèbre en des termes flamboyants la Libération de Paris : «Paris martyrisé ! mais Paris libéré !...». Son discours improvisé est aussitôt retransmis à la radio.
Le soir, de Gaulle s'installe au ministère de la Guerre en qualité de chef du gouvernement provisoire de la République française et le lendemain, 26 août 1944, le chef de la France libre descend en triomphe les Champs-Élysées, suivi de Leclerc et de ses fidèles de la première heure auxquels il a recommandé de se tenir derrière lui.
Dans une joyeuse pagaille, acclamé par deux millions de Parisiens, il arrive à la Concorde. Là éclatent des coups de feu sporadiques. Puis le général gagne Notre-Dame pour un Te Deum passionné.
De Gaulle et Leclerc sur les Champs Elysées, le 26 août 1944
S'insurger ou attendre ?
La Libération de Paris a débuté le 10 août. Ce jour-là, les cheminots se mettent en grève. Ils sont suivis cinq jours plus tard par les policiers et les employés du métro, enfin par les postiers le 18 août. Dans le même temps, les troupes allemandes de la capitale commencent à plier bagage en prévision de l'arrivée prochaine des troupes alliées.
Celles-ci ont débarqué en Normandie deux mois plus tôt et progressent avec quelques difficultés vers l'est et l'Allemagne. Ils est à noter que leurs chefs, les généraux américains Eisenhower et Bradley, n'envisagent pas un seul instant d'entrer à Paris. Ils ne veulent pas disperser leurs forces ni perdre du temps, encore moins prendre en charge 3 à 4 millions de Parisiens plus ou moins démunis. Ils préfèrent contourner l'agglomération et l'encercler.
Le général Pierre Koenig, chef d'état-major des Forces Françaises de l'Intérieur, souhaite qu'un soulèvement populaire précède l'arrivée des troupes alliées dans la capitale. Koenig ainsi que de Gaulle et le Comité national de la Résistance veulent de la sorte éviter une administration alliée, affirmer la souveraineté du peuple français et prouver que la résistance n'est pas un mythe.
Le soulèvement n'est pas sans risques. Quelques jours plus tôt, le 1er août, les résistants de Varsovie ayant fait le même choix ont subi une répression d'une extrême violence. D'autre part, le risque existe d'un affrontement entre gaullistes et communistes. C'est à ces derniers, sous les ordres de Rol-Tanguy, que revient l'initiative du soulèvement proprement dit. Dès le 18 août, Paris se couvre d'affiches appelant la population à s'insurger.
Le 19 août, des combats sporadiques éclatent un peu partout. 3.000 policiers de Paris sont invités en secret à rejoindre la Préfecture de police de l'île de la Cité, au coeur de la capitale, en tenue civile et avec leur arme de service. Le drapeau tricolore est hissé au sommet de l'édifice au nez et à la barbe des Allemands. Mais les Alliés n'étant pas attendus dans la capitale avant le 1er septembre, les gaullistes jugent l'insurrection prématurée. Ils le font savoir à Rol-Tanguy par le biais d'une note transmise par l'intermédiaire de Jacques Chaban-Delmas (29 ans), délégué militaire national.
Au terme d'une violente discussion, les représentants du Comité national de la Résistance conviennent de négocier une trêve par l'intermédiaire du consul général de Suède, Raoul Nordling. Celui-ci a déjà obtenu du gouverneur militaire de Paris, von Choltitz, qu'il libère des prisonniers, dont 1482 juifs détenus dans le camp de Drancy, au nord de Paris.
Dans les faits, la trêve ne sera appliquée que de façon sporadique puis plus du tout. À l'aube du 20 août, un groupe de maquisards, sous les ordres du futur journaliste Roger Stéphane, occupent l'Hôtel de ville et arrêtent le président du conseil municipal, Pierre Taittinger, auquel on reproche ses compromissions avec l'occupant.
Le colonel Rol-Tanguy coordonne tant bien que mal les opérations à partir de son quartier général installé dans les catacombes de la place Denfert-Rochereau, en utilisant le réseau téléphonique du métro. Opposé à la trêve, il lance l'ordre de constituer partout des barricades. La population, aussitôt, se met avec frénésie à la tâche. On dépave les rues et l'on coupe des arbres pour dresser un total de plus de 400 barricades comme au temps de la Commune ou des Journées de juin 1848.
Au nombre de plusieurs dizaines de milliers mais manquant d'armes lourdes et de munitions, les insurgés doivent faire face aux 16.000 soldats allemands, nerveux et lourdement armés, qui sillonnent la capitale à bord de 80 chars et d'autres véhicules blindés, le doigt sur la détente.
De la légende à la réalité
Dietrich Von Choltitz (48 ans), général de la vieille école, hésite sur la conduite à tenir. Il a prouvé en Russie, en rasant la ville de Sébastopol, qu'il était capable du pire. Maintenant, il est conscient que la défaite allemande est proche. Le consul Raoul Nordling lui signifie qu'il aura à répondre de ses actes devant les Alliés. Mais par ailleurs, sa femme et ses enfants sont à Nuremberg et répondent de sa loyauté au Führer. Lui-même a le souci de protéger la vie de ses hommes et de limiter les dégâts.
Comme il est habituel aux militaires en pareil cas, le général allemand fait miner les ponts de Paris en vue de ralentir les troupes alliées si elles venaient à pénétrer dans la ville. Ses artificiers commencent également à miner certains édifices (Palais-Bourbon et palais du Luxembourg).
On dit qu'il aurait reçu de Hitler, dès sa prise de fonctions le 7 août, l'ordre de détruire complètement Paris. L'ordre aurait été réitéré par un télégramme comminatoire du Führer. Paris a-t-il vraiment été menacé de destruction ? Cette rumeur a été entretenue par le livre de Dominique Lapierre et Larry Collins, Paris brûle-t-il ? (1964) et le film à grand spectacle qui en a été tiré deux ans plus tard. Mais elle repose seulement sur les témoignages de von Choltitz lui-même et de quelques interlocuteurs soucieux comme lui de se donner belle figure.
Le 22 août, les événements se précipitent. Un chef FFI, le commandant Gallois, adjoint de Rol-Tanguy, traverse les lignes, rejoint le général Leclerc et lui fait part de la situation désespérée des insurgés parisiens.
Le même jour, de Gaulle et Koenig parviennent à convaincre le général Eisenhower d'intervenir. Ils obtiennent de celui-ci qu'il autorise le général Leclerc à faire un crochet vers la capitale. De Gaulle insiste auprès du généralissime américain pour que l'honneur de libérer la capitale revienne à un détachement français.
Ultimes combats
À la tête des 15.000 hommes et femmes de sa 2e division blindée, sous uniforme et sous commandement américains, Leclerc se lance en avant. De Laval, il a 200 km à parcourir avant d'atteindre son but. Il contourne la banlieue ouest où le dispositif allemand est encore menaçant et contourne l'agglomération par le sud. Le jeudi 24 août, il envoie un avion au-dessus de Paris. Celui-ci largue un message d'encouragement aux insurgés de la Préfecture de police, sur l'île de la Cité : «Tenez bon, nous arrivons».
Après de rudes combats, ses hommes arrivent exténués à une cinquantaine de kilomètres de la capitale. À la Croix-de-Berny, pendant que les troupes prennent quelques heures de repos, Leclerc demande au capitaine Raymond Dronne de prendre les devants et d'entrer à Paris dès le soir à la tête de sa 9e compagnie.
Le jeudi 24 août, vers 20h30, ce rude baroudeur a l'honneur insigne d'être le premier Français libre à entrer dans la capitale par la porte d'Italie. Il conduit un détachement de 150 hommes, dont 120 vétérans espagnols de la guerre d'Espagne, et trois chars (Montmirail, Champaubert, Romilly). Il se rend à l'Hôtel de Ville et se met en position de résister aux tirs des Allemands qui tiennent encore solidement la ville.
Le char Romilly, premier char entré dans Paris, le 24 août 1944
Le reste de la 2e DB entre dans Paris le lendemain matin dès 9h, par les portes d'Italie, d'Orléans et d'Ivry. Les colonnes blindées doivent lutter partout contre les poches de résistance allemandes.
Le général Leclerc, qui est entré par la porte d'Orléans, gagne immédiatement la gare Montparnasse où il établit son quartier général.
Dans la rue de Rivoli, les 200 hommes qui défendent l'Hôtel Meurice, siège du commandement militaire allemand, se rendent vers 14h30 après une résistance de principe. Von Choltitz lui-même se rend à un soldat de Leclerc, un ancien républicain espagnol, qui l'amène aussitôt au QG de la gare Montparnasse.
Lourd bilan
En quelques jours, la libération de Paris aura causé la mort de 76 soldats de la 2e division blindée ainsi que de 901 résistants des FFI et de 3.200 Allemands (12.800 soldats allemands sont aussi faits prisonniers).
Parmi les drames les plus désolants, gardons en mémoire le souvenir de 35 garçons et filles qui avaient maladroitement confié à un agent double leur désir de combattre. Dans la nuit du 16 au 17 août, celui-ci les livre à la Gestapo (police allemande) qui les fusille sans délai près de la cascade du bois de Boulogne.
André Larané.
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« Feindre d’ignorer ce qu’on sait, de savoir tout ce que l’on ignore... voilà toute la politique. »
de Pierre-Augustin Caron Beaumarchais