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L'islam condamne l'excision.
L’excision est-elle un problème islamique?
Au départ, non. L’excision est antérieure à l’Islam, elle existe dans différents milieux culturels et religieux et elle est motivée par différentes raisons. Mais seule l’une de ces raisons, aujourd’hui, gagne de l’importance. Toutes les autres causes (ignorance, superstition, attachement à des traditions arriérées) reculent avec l’avance de la civilisation, de la connaissance. Mais les gens qui excisent parce que le prophète Mahomet l’a (est censé l’avoir) expressément permis sont de plus en plus nombreux à pouvoir se référer aux écritures islamiques à mesure que progresse l’alphabétisation et avec elle la connaissance de ces écritures. Ainsi, les mutilations génitales féminines sont chaque jour davantage un problème spécifiquement islamique.
L’excision est-elle un problème islamique?
par Thomas von der Osten-Sacken et Thomas Uwer
Middle East Quarterly, Hiver 2007
VO: http://www.meforum.org/article/1629
La lutte contre les mutilations génitales féminines (MGF) est un objectif majeur de nombreux activistes sociaux et féministes. Également appelée excision, la MGF consiste en l’incision ou l’ablation du clitoris des fillettes en vue de restreindre leur désir sexuel et de préserver leur honneur avant le mariage. Cette pratique courante dans certains pays musulmans a un coût immense: de nombreuses enfants meurent d’hémorragie ou d’infection. La plupart restent traumatisées. Celles qui survivent peuvent subir des troubles de la santé pendant le mariage et la grossesse. De nouvelles informations recueillies au Kurdistan irakien indiquent que le problème pourrait être plus répandu au Moyen-Orient qu’on ne le pensait jusqu’à présent et que les MGF sont beaucoup plus fortement liées à la religion que de nombreux universitaires et activistes occidentaux ne l’admettent.
Un grand nombre de Musulmans et d’universitaires occidentaux affirment avec insistance que cette pratique n’est pas ancrée dans la religion mais dans la culture. «Lorsqu’on observe que la pratique n’est pas répandue et même qu’elle est condamnée dans des pays comme l’Arabie Saoudite, le centre du monde islamique, il devient évident que la notion selon laquelle il s’agirait d’une pratique islamique est erronée», écrivit ainsi Haseena Lockhat, une psychologue hospitalière pour enfant du North Warwickshire Primary Care Trust. Il est vrai que les MGF sont pratiquées dans des sociétés non musulmanes d’Afrique. Et dans des États arabes tels que l’Égypte, où l’on estime que peut-être 97% des filles sont excisées, tant les Coptes chrétiens que les Musulmans s’en font les complices.
Mais au niveau du village, ceux qui commettent ces actes les croient ordonnés par la religion. La religion y est non seulement théologie, mais également pratique. Et la pratique en est répandue dans l’ensemble du Moyen-Orient. De nombreux diplomates, membres d’organisations internationales et arabistes affirment que le problème est limité à l’Afrique du Nord ou à l’Afrique sub-saharienne, mais ils ont tort. Le problème est bien présent dans tout le Levant, dans le Croissant fertile et sur la péninsule arabique, de même que parmi de nombreux immigrants de ces pays en Occident. Le silence entourant cette question reflète moins l’absence du problème que le manque de possibilités de l’aborder par les féministes et les autres membres de la société civile indépendante.
Dépistage des mutilations génitales féminines
On peut comprendre que de nombreux diplomates et universitaires ne discernent pas l’ampleur du problème. Un chercheur qui souhaiterait comprendre les habitudes sexuelles des Occidentaux aurait la tâche facile. Il pourrait collecter des petites annonces personnelles, regarder des débats télévisés et lire des magazines expliquant ouvertement les meilleurs moyens d’optimiser l’expérience sexuelle, sans parler des nombreuses publications scientifiques consacrées au sexe et aux relations entre les sexes. La connaissance publique de questions communes, voire pénibles, est inhérente à la culture occidentale. La multitude des pratiques sexuelles et des relations entre les sexes constitue un élément vital de la vie occidentale, au même titre, à peu de choses près, que l’économie, la politique, le sport et la culture.
Mais, si le même chercheur souhaite étudier les relations et les pratiques sexuelles dans les sociétés du Moyen-Orient, il aura de la peine à en trouver des traces dans l’espace public. La presque totalité de la vie sexuelle et des relations personnelles y est cachée dans la sphère privée. On n’y trouve pratiquement aucun ouvrage de conseil sur les pratiques sexuelles au-delà des règles et des interdits très complets de la loi islamique ou, dans les sociétés chiites, des questions et des réponses traitées par des ayatollahs. L’éducation sexuelle n’est pas enseignée à l’université, ni bien sûr dans les lycées. La psychologie reste une discipline fantôme, quasiment inexistante à l’est du Moyen-Orient et seulement légèrement plus connue en Afrique du nord, où plus d’un siècle de présence française lui a donné plus d’occasions de s’implanter. La bibliothèque de la British Psychoanalytical Society, par exemple, ne connaît qu’un seul journal sur la psychothérapie ou la psychanalyse en arabe. Le psychanalyste arabe Jihad Mazarweh donna une interview à l’hebdomadaire allemand Die Zeit dans laquelle il déclara: «Pour la plupart des gens, il est presque impensable de parler de la sexualité, comme cela peut se faire dans le cadre d’une psychanalyse.» Ce serait donc une erreur d’interpréter le manque de débat public sur les questions sexuelles au Moyen-Orient comme une indication de l’absence de problèmes. Ce silence illustre en fait plutôt la vigueur du tabou qui entoure ces questions.
Les mutilations génitales féminines sont l’une des premières priorités des agences des Nations unies et des organisations non gouvernementales (ONG) depuis près de trois décennies. En 1952 déjà, la Commission des droits de l’homme des Nations unies adopta une résolution condamnant cette pratique. L’opposition internationale aux MGF prit de l’ampleur en 1958, lorsque le Conseil économique et social invita l’Organisation mondiale de la santé à étudier la persistance de coutumes revêtant la forme d’opérations chirurgicales rituelles sur des fillettes. Le Conseil répéta son appel trois ans plus tard. En 1979, la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes dénonça la pratique à son tour et, en 1989, la Convention relative aux droits de l’enfant désigna les MGF comme étant des pratiques traditionnelles nuisibles. Selon le Demographic and Health Surveys Program, un projet financé par l’Agence des États-Unis pour le développement international destiné à soutenir la réalisation d’enquêtes médicales sur la santé et la natalité, les MGF affectent 130 millions de femmes dans 28 pays africains. Loin de diminuer avec l’arrivée de la modernité, les mutilations génitales féminines se répandent davantage encore.
Les anthropologistes et les activistes identifient trois principaux types de GMF. L’infibulation, ou «excision pharaonique», désigne l’ablation du clitoris entier ainsi que des petites lèvres et de la partie médiane des grandes lèvres suivie de la suture de l’organe, ne laissant qu’un minuscule orifice. L’excision, ou clitoridectomie, est l’ablation du clitoris entier et de certaines parties des petites lèvres. L’excision «sunna», la plus commune dans le monde islamique, prévoit l’ablation du prépuce du clitoris.
Mutilations génitales: un phénomène africain?
De nombreux auteurs estiment que la mutilation génitale féminine est une pratique africaine. Près de la moitié des cas de MGF répertoriés dans les statistiques officielles se déroulent en Égypte et en Éthiopie; le Soudan aussi affiche une forte présence de la pratique. Il est vrai que l’Égypte fait partie du continent africain, mais d’un point de vue culturel, historique et politique, l’Égypte a des liens plus étroits avec le Moyen-Orient arabe qu’avec l’Afrique sub-saharienne. L’Égypte est l’un des membres fondateurs de la Ligue arabe et le président égyptien Gamal Abdel Nasser incarna même le nationalisme arabe entre 1952 et sa mort en 1970. Le fait que les MGF soient si répandus en Égypte devrait faire suspecter la présence de ces pratiques ailleurs dans le monde arabe, surtout compte tenu de la fragilité des droits des femmes dans les sociétés arabes. Mais la majorité des experts écartent le lien entre cette pratique et l’Islam et préfèrent la dire générée par la pauvreté, le manque d’éducation et la superstition.
Peu d’enquêtes font état de l’existence de MGF ailleurs au Moyen-Orient, ou juste en passant. Par exemple, un rapport de l’UNICEF sur la question se concentre sur l’Afrique et ne fait qu’une brève mention de «quelques communautés des rives yéménites de la Mer Rouge». L’UNICEF cite ensuite des rapports, mais aucuns faits, selon lesquels la pratique est connue aussi, dans une mesure limitée, en Jordanie, à Gaza et au Kurdistan irakien. L’agence d’aide semi-gouvernementale allemande Gesellschaft für Technische Zusammenarbeit relate que les MGF sont répandus dans 28 pays africains, mais uniquement au sein de petites communautés «dans quelques pays arabes et asiatiques» (par exemple le Yémen, quelques groupes ethniques à Oman, en Indonésie et en Malaisie). Certains universitaires ont affirmé que la pratique n’existe pas du tout dans les pays situés à l’est du canal de Suez. Cela est faux. Les MGF sont communes au moins dans des régions de ces pays.
Les derniers résultats de recherches menées au nord de l’Irak indiquent que les MGF sont largement répandues hors d’Afrique. Le Kurdistan irakien est un exemple instructif. Traditionnellement, la société irakienne est agraire. Une large part de la population y vit hors des agglomérations. Les femmes subissent un double désavantage: elles sont parfois privées mêmes des services publics les plus élémentaires et sont sujettes à un ensemble de règles patriarcales. Ainsi, les femmes vivent dans de mauvaises conditions. Un grand nombre des libertés et des droits instaurés par les leaders politiques au Kurdistan irakien après l’établissement de l’espace humanitaire en 1991 restent très théoriques pour beaucoup de femmes.
Au début de 2003, WADI, une ONG austro-allemande qui se consacre aux problèmes de femmes, commença à travailler avec des équipes mobiles chargées de fournir une aide médicale et un soutien social aux femmes des régions périphériques du Kurdistan telles que celle de Garmian, dans le Kurdistan irakien. Ces équipes composées uniquement de femmes et comportant un médecin, une infirmière et une travailleuse sociale parvinrent à créer la confiance et à ouvrir des portes au sein de communautés sinon totalement fermées aux gens de l’extérieur. Après plus d’un an de travaux dans la région, les femmes commencèrent à parler des MGF. Les Kurdes de la région pratiquent l’excision «sunna». Les sages-femmes effectuent l’intervention à l’aide d’instruments non stérilisés, voire de simples débris de verre, et sans anesthésie, sur des enfants de quatre à douze ans. L’étendue de la mutilation dépend de l’expérience de la sage-femme et de la bonne fortune de l’enfant. La plaie est ensuite recouverte de cendres ou de boue et l’enfant est forcée à s’asseoir dans un seau d’eau glacée. De nombreuses enfants kurdes en meurent et d’autres en gardent des douleurs chroniques, sont sujettes à des infections, deviennent infertiles. De nombreuses voix les disent affligées de symptômes correspondant à ceux du syndrome de stress post-traumatique.
Des recherches ultérieures ont établi que 907 des 1544 femmes interrogées avaient subi une excision, ce qui représente un taux de presque 60%. D’autres enquêtes menées dans les gouvernorats de Irbil et Kirkuk indiquent des taux d’excision proches de ceux constatés à Garmian. Pratiquement toutes les femmes interrogées qualifient les MGF de pratiques «normales». La majorité des femmes les considèrent à la fois comme une tradition et une obligation religieuse. Lorsqu’on leur demande pourquoi elles soumettent leurs filles à cette intervention, de nombreuses femmes répondent qu’«il en a toujours été ainsi». Le clitoris étant considéré comme «sale» (haram, c’est-à-dire interdit par la religion), les femmes craignent de ne pas trouver de maris pour leurs filles si elles n’ont pas été excisées. Beaucoup d’entre elles croient que les hommes préfèrent avoir des relations sexuelles avec une femme excisée. D’autres insistent sur la nécessité religieuse des MGF, bien que la loi islamique ne soit pas claire à cet égard. Les experts occidentaux peuvent bien douter des origines religieuses de la pratique, mais ce qui compte ici, en réalité, c’est que de nombreux religieux islamiques du nord de l’Irak disent aux femmes de pratiquer les MGF. Si une femme souhaite renoncer à cette pratique, elle doit se préparer à lutter contre une mauvaise réputation publique. Les hommes refusent généralement de dire clairement s’ils considèrent les MGF comme de bonnes pratiques ou pas et en parlent plutôt comme d’une pratique féminine dans laquelle les hommes ne doivent pas intervenir. Aucun des hommes interrogés ne déclara qu’il avait déjà parlé de cette question avec sa femme.
La réaction sur place aux résultats des enquêtes a été instructive. Confrontées aux enseignements des études, seules quelques femmes activistes de la ville kurde irakienne de Sulaimaniya se dirent surprises, bien que la plupart d’entre elles avouèrent qu’elles ne soupçonnaient pas la proportion de femmes touchées. Une chercheuse et activiste des droits humains locale, Ronak Faraj, avait déjà publié une étude sur l’excision à Sulaimaniya en 2004, mais le fait qu’une ONG internationale ait pris conscience du problème éveilla l’attention du public. De nombreuses autorités kurdes se montrèrent d’abord réticentes à traiter du problème, par crainte de faire apparaître la région kurde arriérée, mais aujourd’hui elles reconnaissent le problème et s’efforcent de le maîtriser tant par des campagnes de sensibilisation que par des efforts législatifs. Mais certains membres d’organisations islamiques et arabes influentes de la diaspora, firent un scandale, accusèrent WADI de tenter d’insulter l’Islam et de répandre de la propagande anti-islamique. Tarafa Baghajati et Omar al-Rawi, tous deux membres de l’Initiative des Autrichiens musulmans, qualifièrent les travaux de «campagne islamophobique» et déclarèrent qu’il ‘y a pas de MGF en Irak. Le fait que des organisations islamiques et arabes d’Autriche, par exemple, émettent de telles affirmations illustre bien le problème des informations sur les MGF: ces groupes estiment que l’absence de campagnes ou d’études anti-MGF leur permettent d’éviter un problème embarrassant.
Et de telles campagnes prennent du temps. En Égypte, les campagnes d’éducation anti-MGF entamées au milieu des années 1990 commencent à peine à porter des fruits. Il est faux de croire que des pratiques bien ancrées ne peuvent pas être changées. Pendant des siècles, les femmes chinoises furent handicapées par la coutume de bandage des pieds. Une association luttant contre cette pratique n’apparu qu’en 1874, mais les activistes parvinrent à faire reculer, puis, finalement, à éliminer cet usage. Dans les sociétés occidentales aussi, la sexualité ne put devenir un sujet de débat public qu’à la suite de luttes persévérantes, face à une forte opposition. Les vives réactions provoquées par le Rapport Kinsey en 1948 – et la partie consacrée à la sexualité féminine publiée en 1953 – en sont un bon exemple.
À quel point les MGF sont-elles répandues?
La découverte de MGF fort répandues au Kurdistan irakien indique qu’il est faux de supposer que l’excision soit un phénomène essentiellement africain avec de rares occurrences dans l’est du monde islamique. Si les MGF sont présentes chez près de 60% des femmes kurdes irakiennes, quel taux faut-il s’attendre à constater en Syrie voisine, où les conditions de vie et les pratiques culturelles et religieuses sont comparables? À en croire Fran Hosken, la fondatrice du Women’s International Network News et l’auteure de recherches révolutionnaires sur les MGF en 1975, «il ne fait que peu de doute que des pratiques similaires – excisions, mariages d’enfants, insertion de sel gemme dans le vagin des femmes après l’accouchement – existent dans d’autres régions de la péninsule arabique et autour du Golfe Persique». Le fait qu’aucuns rapports médicaux directs ne soient disponibles ni pour l’Arabie Saoudite, ni pour un quelconque autre pays de cette région ne signifie pas que les MGF y sont absentes, mais seulement que ces sociétés ne sont pas assez libres pour permettre l’étude de tels problèmes sociétaux. Et le fait que des diplomates et des membres d’organisations d’entraide internationales ne constatent pas la présence de MGF dans d’autres sociétés ne devrait pas convaincre que le problème n’y existe pas. Après tout, les MGF étaient largement répandues au Kurdistan irakien, pendant des années, sans y être détectées par l’Organisation mondiale de la santé, UNICEF et de nombreuses autres ONG internationales actives dans la région. Le facteur peut-être le plus important qui a permis à des ONG de découvrir les MGF au Kurdistan irakien a été l’existence de structures de société civile et une demande populaire de droits individuels. Or ces conditions n’existent tout simplement pas en Syrie, en Arabie Saoudite, ni même en Cisjordanie et à Gaza, où les autorités locales luttent pour restreindre les libertés individuelles plutôt que pour les promouvoir.
Mais le problème ne se limite pas au fait que les régimes autocratiques tendent à camoufler la vérité. Il faut aussi que des gens effectuent les études sur place. Avant la libération de l’Irak, il était impossible d’y mener des enquêtes sur des sujets tels que la malnutrition et la mortalité infantile. Le régime de Saddam Hussein préférait fournir des données aux Nations Unies plutôt que de permettre à d’autres de mener des enquêtes dont les résultats auraient pu ne pas soutenir les conclusions que le régime baasiste souhaitait afficher. Ainsi, l’étude souvent citée de l’UNICEF selon laquelle les sanctions des N.U. auraient causé la mort de 500.000 enfants était basée sur des chiffres fournis par le régime de Saddam Hussein, et non sur une enquête indépendante. Les Nations unies ne réalisèrent leurs premiers travaux statistiques sur les conditions de vie en Irak qu’après la libération. Les autorités syriennes, saoudiennes et iraniennes ne permettent tout simplement pas aux ONG d’opérer sans restrictions, surtout lorsqu’il s’agit de traiter de questions sociales sensibles.
Le tabou – non pas social, mais politique – constitue un autre facteur entravant les recherches sur les MGF dans les pays arabes. De nombreux universitaires et membres d’ONG travaillant dans la région estiment qu’il est déplacé d’en critiquer les cultures musulmanes ou arabes prédominantes. Ils se mettront en quatre pour éviter la notion que les MGF pourraient être ancrées dans les cultures arabes ou musulmanes, bien que personne ne prétende que les MGF soient un problème exclusivement arabe ou musulman. Des données statistiques provenant des pays africains n’indiquent aucune relation claire entre les MGF et une religion spécifique. Mais cela ne signifie pas que les causes des MGF ne varient pas selon les régions et que la religion n’y joue aucune rôle. Comme l’a expliqué l’anthropologue de l’Université de Californie Ellen Gruenbaum, «les gens ont des raisons différentes et toujours multiples . Pour certains, c’est un rite de passage. Pour d’autres, non. Certains les considèrent esthétiques. Pour d’autres, c’est une pratique liée essentiellement à la moralité ou à la sexualité.» Hanny Lightfoot-Klein, une experte des MGF de renommée internationale, qui a passé des années au Kenya, en Égypte et au Soudan, explique que «la croyance est largement répandue au Soudan que le clitoris, s’il n’est pas coupé, va grandir jusqu’à atteindre la longueur du cou d’une oie et pendre entre les jambes, rivalisant ainsi avec le pénis des hommes».
La plupart des études perlent de «justifications» et de «rationalisations» des MGF, mais évitent d’en évoquer les causes, car cela pourrait impliquer les règles islamiques en relation avec les femmes et la moralité sexuelle. L’Islam est alors considéré comme une «justification» erronée, souvent avec une citation selon laquelle le Coran n’exige pas l’excision. Le fait que beaucoup de femmes du nord de l’Irak – et sans doute d’Égypte – croient que la pratique est ancrée dans la religion est passé sous silence par les universités occidentales et les organisations internationales.
Les savants islamiques à propos des mutilations génitales féminines
Les savants musulmans sont en désaccord à propos des MGF: certains disent qu’il n’existe aucune règle obligatoire alors que d’autres se réfèrent à une mention de l’excision dans les hadiths. Ainsi, selon Sami A. Aldeeb Abu Sahlieh, un expert de loi islamique suisse d’origine palestinienne:
La narration la plus fréquemment citée relate un débat entre Mahomet et Um Habibah (ou Um Atiyyah). Cette femme, connue pour pratiquer l’excision de femmes esclaves, était l’une des femmes qui avait émigré avec Mahomet. La voyant, Mahomet lui demanda si elle continuait de pratiquer sa profession. Elle répondit par l’affirmative et ajouta: «à moins que ce ne soit interdit et que tu ne m’ordonnes de cesser.» Mahomet répondit: «Oui, c’est autorisé. Viens plus près de moi, que je puisse t’instruire – si tu coupes, ne coupe pas trop, car cela donne plus de rayonnement au visage et c’est plus plaisant pour le mari.»
Abu Sahlieh cite encore Mahomet: «La circoncision est une sunna (tradition, ou pratique) pour les hommes et une makruma (acte honorable) pour les femmes.»
Certains savants affirment que l’excision n’est pas obligatoire, mais d’autres disent le contraire. «L’Islam tolère l’excision sunna L’interdiction porte sur l’excision pharaonique», explique un leader religieux. D’autres, tels que feu le recteur de l’université Al-Azhar, Sheikh Gad al-Haq, disait que si le prophète n’avait pas interdit l’excision, c’est qu’elle était permise et qu’à tout le moins elle ne pouvait pas être interdite.
Bref, certains savants condamne les MGF comme étant une pratique archaïque, d’autres la tolèrent et d’autres encore la croient obligatoire. Il appartient aux religieux d’interpréter la littérature religieuse – pas aux chercheurs sur les MGF et aux activistes. Il y a une certaine tendance à confondre une interprétation libérale de l’Islam avec la réalité à laquelle les femmes sont confrontées dans de nombreuses régions à majorité musulmane. Pour lutter contre les MGF en tant que pratiques, il faut accepter le fait que l’Islam est davantage qu’une série d’écritures. Ce n’est pas le livre qui coupe les clitoris, mais ses interprétations soutiennent et encouragent les mutilations.
Conclusions
Des indices donnent à penser que les MGF pourraient constituer un phénomène de proportions épidémiques dans le Moyen-Orient arabe. Hosken, par exemple, relève que selon la tradition, toutes les femmes de la région du Golfe Persique étaient mutilées. Les gouvernements arabes refusent d’aborder le problème. Ils préfèrent croire que l’absence de statistiques permettra aux organisations internationales de conclure que le problème n’existe pas dans leurs juridictions. Il ne suffit pas d’interroger des religieux islamiques pour apprendre ce qu’il en est des mutilations de jeunes filles dans les sociétés islamiques – c’est un peu comme de demander au cuisinier si les hôtes apprécient les plats. Les agences des N.U. opérant dans la région ignorent les statistiques des MGF et affirment n’avoir aucun mandat valable les chargeant de collecter de tels renseignements. Hosken décrit la situation comme un cartel du silence: les gens des pays où les MGF sont pratiquées «jouissent d’une grande influence aux Nations unies» et ne manifestent aucun intérêt à résoudre des problèmes sociaux pourtant urgents.
Pour résoudre le problème, les pays occidentaux et les organisations de défense des droits de l’homme doivent continuer de briser le mur de silence et d’autocratie qui étouffe le Moyen-Orient arabe et de mieux promouvoir la notion de droits individuels. Ils devraient aussi éviter d’exprimer des conclusions sur l’étendue des MGF de même que des problèmes sociaux et des attitudes politiques avant d’avoir pu conduire des recherches indépendantes sur place.
Thomas von der Osten-Sacken et Thomas Uwer sont, respectivement, directeur général et membre du conseil de WADI.