La lecture et l’écoute du moindre média, la capture d’une quelconque conversation, les commentaires du G20 de Cannes, tout ici et maintenant nous permet de constater qu’il faut remonter très loin sans doute pour trouver une telle hostilité au libéralisme.
Hommes politiques de tous bords, intellectuels, acteurs, chanteurs, ecclésiastiques, tous et chacun se croient obligés d’imputer au libéralisme tous les maux de la terre. La seule chose qui réunit en un même ensemble Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon, les altermondialistes et les partisans du statu quo, les partisans de l’Etat, les conservateurs et les progressistes est d’attribuer au libéralisme la crise, son cortège de misères, mais aussi encore la percée de la drogue, le supposé dérèglement des mœurs, le tout résumé par l’interjection : « Tout fout le camp ».
Les réflexions qui suivent s’attacheront à résoudre ce puissant paradoxe : comment se fait-il que le système qui nous a affranchi sur le plan politique des interdits multiples empêchant d’exprimer une pensée libre puisse être vilipendé avec autant de constance ? Mais le libéralisme politique est relativement bien traité par rapport au libéralisme économique dont l’acceptation des propositions principales a provoqué la révolution industrielle qui a permis, pour la première fois, de lutter victorieusement contre la rareté. Ce sont dans les seuls pays qui ont adopté les institutions du capitalisme que pour la première fois dans l’histoire de l’humanité, les richesses ont crû beaucoup plus rapidement que la population, permettant ainsi de nourrir de mieux en mieux un nombre croissant d’individus.
Faut-il rappeler que le progrès technique a été une conséquence et non une cause de la révolution industrielle dont l’origine se trouve tout entière dans la percée de la liberté ? Nous sommes alors confrontés à ce puissant paradoxe évoqué à l’instant : ce sont les deux faces d’une même doctrine, le libéralisme, qui ont affranchi et libéré l’homme d’une part de carcans idéologiques et, d’autre part, de l’idée d’une fatalité de la pauvreté. Or, cette doctrine de la liberté et de la méfiance envers tous les pouvoirs, et en particulier l’Etat, est non point attaquée, ce qui serait un débat bien admissible, mais déformée et diffamée. Il nous apparaît quatre raisons qui font de cette doctrine l’éternelle mal-aimée du marché des idées.
D’abord, elle heurte la morale commune médiane de la plupart des individus. En effet, le stimulant du libéralisme économique est la poursuite de l’intérêt personnel, de la réalisation de ses desseins, de l’esprit de lucre. C’est parce que chacun recherche à maximiser ses propres intérêts que tous s’en trouvent enrichis. Or, en économie de marché, pour optimiser son gain, la seule solution consiste à servir le mieux possible les autres qui sont autant de clients potentiels, des dons et des efforts déployés.
On le comprend aisément pour le boulanger et le boucher, mais n’oublions pas aussi le client de son propre travail, c’est-à-dire le patron qui achète vos qualités sur le marché du travail. Un système adossé sur l’épanouissement de l’intérêt personnel n’aura jamais les faveurs de ceux qui imaginent un monde rêvé dans la fraternité où nous travaillons pour le bonheur et la gloire de quelque entité abstraite.
La deuxième raison de l’impopularité du libéralisme est qu’il est difficile à un esprit qui s’arrête à la surface des choses d’accepter l’idée selon laquelle l’ordre spontané est supérieur à un ordre idéal imaginé par quelques esprits soit disant supérieurs. Cela heurte d’imaginer que l’harmonie puisse régner grâce à la coordination des institutions, dont le marché, sans qu’aucune autorité centrale n’intervienne.
La troisième raison est que les effets à court terme de certaines des préconisations du libéralisme peuvent être dommageables pour certains alors qu’à long terme, elles seront bénéfiques pour tous.
Par exemple : plus le progrès technique s’accélère et plus il supprime des emplois dans le mode ancien de consommer. Avant que le téléphone cellulaire ne crée des emplois, des emplois dans le téléphone filaire furent supprimés. Avant que des emplois n’apparaissent dans le pétrole, ceux dans le charbon ont disparu. Un autre exemple : des exportateurs de Chine vont nous offrir des sous-vêtements pour bien moins cher que les producteurs locaux. En retour, au bout de quelques années, ces pays enrichis sont des eldorados pour nos constructeurs d’avions et de téléphones portables. Mais ceux qui avaient leur emploi dans le textile dans le Nord ou les Vosges ne voient pas les choses de la même façon.
Et puis enfin et peut-être surtout, le libéralisme est détesté par la totalité de la classe politique et la presque totalité des intellectuels. La chose est aisée à comprendre. Le libéralisme préconise un Etat réduit à sa taille minimale. Voilà qui ne comble guère tous ceux qui, pour obtenir des voix, promettent des extensions et interventions accrues de l’Etat. Quant aux intellectuels, croyez-vous qu’ils sont en sympathie avec des préconisations selon lesquelles le prince ayant peu à faire, n’aurait besoin ni d’experts ni de conseillers ? Dire aux intellectuels : « Votre métier est dans les bibliothèques », c’est dire adieu aux missions, prébendes, médiatisations, gloire et pouvoir. Que préfère-t-on si l’on est B.H.L. ? Enseigner dans un lycée de province, – ce qui serait normal puisqu’il est agrégé de philosophie -, ou parader à côté du chef de l’Etat ?
La coalition des moralisateurs, des ignorants, des victimes à court terme et de ceux qui ne seraient rien si le libéralisme était appliqué, explique évidemment les raisons pour lesquelles hier, aujourd’hui et demain le libéralisme ne sera jamais accepté, dans le meilleur des cas que par la raison et dans bien peu de cas par l’enthousiasme du cœur.
Serge Schweitzer
http://www.newsofmarseille.com/limpopularite-du-liberalisme-pourquoi/