Chanson d'automne

Voici venir l'automne aux averses moroses

Noyant l'été banal béni des amoureux

Qui stupides et lents vont par les chemins creux

Complotant l'héritier de leurs sales névroses.

Adieu lilas, blés d'or, poussière, robes roses.

Dans le spleen désolé des orgues douloureux,

Prés du feu tisonnant aux regrets des jours heureux,

Nous sauvons la tristesse incurable des choses...

Jouir ! Gloire immortelle ! - O temps !

Spleen ! Gloire ! Amour, argent.

Des clairons éclatants,

Des héros nus et beaux

A l'assaut de l'olympe ardent de l'Iliade !

Oh ! Pourquoi suis-je né dans ce siècle si triste,

Pourquoi suis-je ici bas !

L'Univers le sait-il?

Oh ! Si j'avais un but !

Aimer ! Vivre ! Jouir !

Ma vie est-elle un rêve?

J'existe !- Est-ce bien vrai?

Gloire ! Aimer ! Epuiser ma vie unique !

Jules Laforgue

Paroisse

Des femmes sont assises dans l'hiver

Le long de la radio, sur un dernier travail

C'est tard la nuit, il est déjà dans les dix heures

Depuis longtemps dorment dans les chambres glacées

Des enfants protégés du mal par un signe de croix

Des femmes sont assises dans l'hiver. Il fait grand froid.

A la gare on attend encore le train de Combourg et Dol

Dans la prairie les gitans guettent le sommeil des chevaux

Ils ont plié le cirque dérisoire et ils s'en vont. Demain

Les maçons ne travailleront pas sans doute à cause du gel

Demain il y a messe pour la jeune fille qui est en deuil

De Nantes vient le givre avec ses cuivres. Il fait grand froid.

Paroisse de l'année soixante. O périphérie de la paix

Femme posée comme une lampe à huile dans le silence

Rassemble dans cet écrin-là tous tes enfants. Emporte-les

Vers le bon dieu et qu'on ne nous sépare pas

Demande-lui si c'est bien demain que le payeur passe

Et quand va-t-on enfin goudronner la rue. Tu as froid.

Tu fermes la radio. Tu montes en faisant attention

Vers un endroit que je t'ai préparé dans ma mémoire

Et qui s'est détaché de moi pour vivre, comme une chanson

Où tu es bien parce qu'on ne nous séparera pas.

Jacques Bertin

Barbara

Rappelle-toi Barbara

Il pleuvait sans cesse sur Brest ce jour-là

Et tu marchais souriante

É panouie ravie ruisselante

Sous la pluie

Rappelle-toi Barbara

Il pleuvait sans cesse sur Brest

Et je t'ai croisée rue de Siam

Tu souriais

Et moi je souriais de même

Rappelle-toi Barbara

Toi que je ne connaissais pas

Toi qui ne me connaissais pas

Rappelle-toi

Rappelle-toi quand même ce jour-là

N'oublie pas

Un homme sous un porche s'abritait

Et il a crié ton nom

Barbara

Et tu as couru vers lui sous la pluie

Ruisselante ravie épanouie

Et tu t'es jetée dans ses bras

Rappelle-toi cela Barbara

Et ne m'en veux pas si je te tutoie

Je dis tu à tous ceux que j'aime

Même si je ne les ai vus qu'une seule fois

Je dis tu à tous ceux qui s'aiment

Même si je ne les connais pas

Rappelle-toi Barbara

N'oublie pas

Cette pluie sage et heureuse

Sur ton visage heureux

Sur cette ville heureuse

Cette pluie sur la mer

Sur l'arsenal

Sur le bateau d'Ouessant

Oh Barbara

Quelle connerie la guerre

Qu'es-tu devenue maintenant

Sous cette pluie de fer

De feu d'acier de sang

Et celui qui te serrait dans ses bras

Amoureusement

Est-il mort disparu ou bien encore vivant

Oh Barbara

Il pleut sans cesse sur Brest

Comme il pleuvait avant

Mais ce n'est plus pareil et tout est abimé

C'est une pluie de deuil terrible et désolée

Ce n'est même plus l'orage

De fer d'acier de sang

Tout simplement des nuages

Qui crèvent comme des chiens

Des chiens qui disparaissent

Au fil de l'eau sur Brest

Et vont pourrir au loin

Au loin très loin de Brest

Dont il ne reste rien.

Jacques Prévert, Paroles

Ma poésie préférée ...

Les séparés (N'écris pas...)

N'écris pas. Je suis triste, et je voudrais m'éteindre.

Les beaux étés sans toi, c'est la nuit sans flambeau.

J'ai refermé mes bras qui ne peuvent t'atteindre,

Et frapper à mon coeur, c'est frapper au tombeau.

N'écris pas !

N'écris pas. N'apprenons qu'à mourir à nous-mêmes.

Ne demande qu'à Dieu... qu'à toi, si je t'aimais !

Au fond de ton absence écouter que tu m'aimes,

C'est entendre le ciel sans y monter jamais.

N'écris pas !

N'écris pas. Je te crains ; j'ai peur de ma mémoire ;

Elle a gardé ta voix qui m'appelle souvent.

Ne montre pas l'eau vive à qui ne peut la boire.

Une chère écriture est un portrait vivant.

N'écris pas !

N'écris pas ces doux mots que je n'ose plus lire :

Il semble que ta voix les répand sur mon coeur ;

Que je les vois brûler à travers ton sourire ;

Il semble qu'un baiser les empreint sur mon coeur.

N'écris pas !

Marceline DESBORDES-VALMORE

Oufff quelle tristesse dans ce poème !!

je la préfère dans ces créations si sensuelles ...

Merci de cette découverte.

Poètes à venir

Poètes à venir! orateurs, chanteurs, musiciens à venir!

Ce n’est pas aujourd’hui à me justifier et répondre qui je suis,

Mais vous, une nouvelle génération, pure, puissante, continentale,

plus grande qu’on ait jamais vu, Levez-vous! Car vous devez me justifier.

Moi, je n’écris qu’un ou deux mots indicatifs pour l’avenir;

Moi, j’avance un instant et seulement pour tourner et courir arrière dans les ténèbres.

Je suis un homme qui flânant le long, sans bien s’arrêter, tourne par

hasard un regard vers vous et puis se détourne.

Vous laissant le soin de l’examiner et de le définir,

En attendant de vous le principal.

Walt Whitman,

Funeral blues

Stop all the clocks, cut off the telephone,

Prevent the dog from barking with a juicy bone,

Silence the pianos and with muffled drum

Bring out the coffin, let the mourners come.

Let aeroplanes circle moaning overhead

Scribbling on the sky the message He Is Dead,

Put crepe bows round the white necks of the public doves,

Let the traffic policemen wear black cotton gloves.

He was my North, my South, my East and West,

My working week and my Sunday rest,

My noon, my midnight, my talk, my song;

I thought that love would last for ever: I was wrong.

The stars are not wanted now: put out every one;

Pack up the moon and dismantle the sun;

Pour away the ocean and sweep up the wood.

For nothing now can ever come to any good.

W.H Auden

Je mets en lien un site où plusieurs traductions sont proposées.

http://www.frenchpeterpan.com/article-2710914.html

Anne, où es-tu ? Réponds-moi, même si tu n'entends pas mon cri.

Anne !

Je te parle d'un monde où l'aube n'a pas étendu son manteau de rosée.

Je te parle d'un monde désolé, pris dans l'étau du silence.

La nuit est tombée mais les rues sont encore claires

J'aborde un estaminet pour consommer un verre

Mais ma gorge se noue, j'ai de la peine à m'exprimer

La serveuse me d'mande : "Ca va ?" , j' ai envie de l'étrangler

Je bois ...

Tous ces gens à côté me transpercent de leurs regards

La sueur sur mon front, je me retrouve sur le trottoir

L'cadastre de la ville, dans lequel je tourne en rond

Il n'y a qu'un seul couloir et il se trouve une grille au fond

Je sais ...

Mes rêves ! Mes châteaux ! Mes pays magiques ! Mes animaux !

Je sais que s'y briseront mes os

Perçant aux rayons x, je m'en peins d'ici le tableau

Enfermé dans un aquarium sans le secret des larmes

J'attaque le sens du monde et la paresse est mon arme

Et je me gave

Et je me gave de toutes les drogues de la solitude

Je considère les actes humains comme un ensemble de turpitudes

J'voudrais qu'il y ait un dieu pour lui cracher à la face

La mémoire fait mal quand le délire s'efface

La mémoire fait peur quand elle me cloue sur mon lit

Le délire s'éteint quand la mémoire vomit

Seul, caché dans mon arbre, je considère leur danse

J'me moque de leurs sourires, j'souris de leurs amours

De leurs projets, de leur santé, de leurs spectacles, de leurs "toujours"

Et je m'envole ... vole petit oiseau

Vole sur la terre et vole sur les flots

Vole dessus les monts et vole dessus les êtres

Vole dessus les actes, dessus les paraître

Ils m'ont repris ... et de nouveau je déambule

Entre les blouses blanches et les seringues et les pilules

Les interrogations, tous ces traitements sans trêve

Ils contrôlent mon esprit et ils ont volé mes rêves

Francis Giauque

(Extrait de "Syllogisme Amen")

L'oiseau bleu

Il y a dans mon coeur un oiseau bleu qui

veut sortir

mais je suis trop coriace pour lui,

je lui dis, reste là, je ne veux pas

qu’on te

voie.

Il y a dans mon coeur un oiseau bleu qui

veut sortir

mais je verse du whisky dessus et inhale

une bouffée de cigarette

et les tapins et les barmen

et les employés d’épicerie

ne savent pas

qu’il est

là.

Il y a dans mon coeur un oiseau bleu qui

veut sortir

mais je suis trop coriace pour lui,

je lui dis,

tiens-toi tranquille, tu veux me fourrer dans le

pétrin ?

tu veux foutre en l’air mon

boulot ?

tu veux faire chuter les ventes de mes livres en

Europe ?

Il y a dans mon coeur un oiseau bleu qui

veut sortir

mais je suis trop malin, je ne le laisse sortir

que de temps en temps la nuit

quand tout le monde dort

je lui dis, je sais que tu es là,

alors ne sois pas

triste.

Puis je le remets,

mais il chante un peu

là-dedans, je ne le laisse pas tout à fait

mourir

et on dort ensemble comme

ça

liés par notre

pacte secret

et c’est assez beau

pour faire

pleurer un homme, mais

je ne pleure pas,

et vous ?

Charles Bukowski

(Extrait de "Last Night of the Earth Poems")

XXVIII

Tout homme a deux

combats à livrer :

en songe il se bat avec Dieu

puis éveillé avec la mer.

XXIX

Voyageur, le chemin

sont les traces de tes pas

c'est tout ; voyageur

il n'y a pas de chemin,

le chemin se fait en marchant.

Le chemin se fait en marchant

et quand on tourne les yeux en arrière

on voit le sentier que jamais

on ne doit à nouveau fouler.

Voyageur, il n'est pas de chemin,

rien que des sillages sur la mer.

XXX

Qui espère désespère

dit la voix populaire.

Qu'elle est vraie cette vérité !

La vérité est ce qui est vrai

et reste vrai même

si on la pense à l'envers.

XLIV

Tout passe et tout demeure,

mais notre affaire est de passer,

de passer en traçant des chemins

des chemins sur la mer.

édité par respect pour l'auteur .... Antonio Machado

merci à Garance pour son aide précieuse ....

Bonjour Laps.

Ce poème est une "compilation" aléatoire, voire un étrange saucissonnage de "Proverbes et chansons", extraits de "Champs de Castille". Ainsi, on peut y retrouver la chanson I, accolée à la chanson XV, ainsi qu'à la chanson XXIX, et à la XLIV, alors que Machado en a écrit LIV. ;)

Bien que j'imagine que vous n'en soyez pas responsable, ce bidouillage de l'oeuvre de Machado me heurte.

Last et no (laps)

XXX

Qui espère désespère

dit la voix populaire.

Qu'elle est vraie cette vérité !

La vérité est ce qui est vrai

et reste vrai même

si on la pense à l'envers.

merci .... je n'ai pas le livre en ma possession "Proverbes et chansons", .... mais si vous vous en sentez le courage, je suis preneuse .. d'une remise à l'endroit (d'une classification plus orthodoxe, de ce qui s'avère être une "compil " de ce délicieux poète )

Bonsoir Last.

C'est avec plaisir que je vous communiquerai les "chansons" de Machado dans le respect de leur chronologie, mais plutôt par MP, afin de ne pas envahir et plomber ce fil, car un certain nombre de celles-ci viendront s'intercaler entre les chansons que vous avez déposées. ;)

Fenêtre

Fenêtre -

une joue pour l’ombre,

une pour le soleil.

La nuit ne traîne ses branches

afin de les étaler comme lit pour ses passions

que si elles se mélangent aux pavots de champs

labourés par la lune.

Telle est la maxime initiale qu’énonce

la bouche de la fenêtre.

Aucun pouvoir ne le domine -

est-ce pour cela que sa tête fourmille de fenêtres?

Non, les fenêtres ne sont pas muettes,

mais seule peut les entendre

l’oreille du silence.

Peut-être ses blessures sont-elles

les plus belles fenêtres

entre lui et le monde.

Fenêtre -

école pour éduquer l’horizon.

Jours -

caravanes de poussière

qui éternellement s’en vont et reviennent

dans le désert des fenêtres.

Adonis

6 jours plus tard

Sauvons nous du soleil

Sauvons-nous du soleil, la nuit tombe si vite

En ces bois obscurs que même le loup évite.

Cachons-nous sous une pierre, dans un ruisseau,

Inventons un tilleul pour cacher l'arbrisseau

Sauvons-nous du soleil, la pluie s'abat sur nous.

Un faon lève les yeux vers le ciel, à genoux ;

Cachons-nous avec lui, bercés par l'herbe haute

Et chantons le tonnerre aux oiseaux de la côte.

Sauvons-nous du soleil, la lune nous observe ;

Vois comme son oeil vitreux ce soir est en verve !

Cachons-nous derrière un sapin, veilleur tordu ;

Fuyons vers l'ouest. Embrassons-nous, siècles perdus !

Sauvons-nous du soleil, le vent glacé nous mord,

Pareil à la griffe ensanglantée du remords.

Cachons-nous dans les vagues courant sur la plage

Soophie Lemay

Ma Par coeur préférée

Recueillement

Sois sage, ô ma Douleur, et tiens-toi plus tranquille.

Tu réclamais le Soir; il descend; le voici:

Une atmosphère obscure enveloppe la ville,

Aux uns portant la paix, aux autres le souci.

Pendant que des mortels la multitude vile,

Sous le fouet du Plaisir, ce bourreau sans merci,

Va cueillir des remords dans la fête servile,

Ma douleur, donne-moi la main; viens par ici,

Loin d'eux. Vois se pencher les défuntes Années,

Sur les balcons du ciel, en robes surannées;

Surgir du fond des eaux le Regret souriant;

Le Soleil moribond s'endormir sous une arche,

Et, comme un long linceul traînant à l'Orient,

Entends, ma chère, entends la douce Nuit qui marche.

Charles Baudelaire

Que veux-tu? Mon bien

Que dois-tu? Savoir

Prévoir et pouvoir

Qui ne sert de rien

Que craint-tu? Vouloir

Qui es-tu? Mais rien!

Oû vas-tu? A mort

Qu'y faire? Finir

Ne plus revenir/ Au coquin de sort/ Oû vas-tu?

Finir/Que faire? Le mort.

Paul Valéry

''Chanson à part""

Merci à toi de faire référence à la bibliographie de ce poète, Jack 3 D. ;) Cette démarche respectueuse de l'oeuvre d'un poète étant assez exceptionnelle, je me permets de la souligner.

Dans le temps dans la nuit

Je te parlerai

Dans le temps dans la nuit je pourrai répondre à voix basse

Le seul moment que la vie m'a volé

Dans le temps dans la nuit je retrouverai ton visage

Et la forme de mon visage

Je te parlerai dans le temps je te parlerai dans la nuit

J'écarterai enfin l'affreuse douleur de mon silence

J'écarterai enfin les jours mortels

Je te parlerai hors du temps je te parlerai dans la nuit

J'effacerai les traces amères de l'attente

J'effacerai les traces amères de l'oubli

Dans mes deux mains ouvertes je prendrai ton visage

Ton seul visage d'un seul instant mortel

Je te parlerai hors du temps j'écarterai la nuit

Je reprendrai les mots absolus

Pour te les dire enfin avec ma voix pareille

A la lumière.

Jacques Prevel

(Extrait de "Poèmes", in "En compagnie d'Antonin Artaud", Ed Flammarion)

Merci à toi de faire référence à la bibliographie de ce poète, Jack 3 D. ;) Cette démarche respectueuse étant assez exceptionnelle, je me permets de la souligner.

Dans le temps dans la nuit

Je te parlerai

Dans le temps dans la nuit je pourrai répondre à voix basse

Le seul moment que la vie m'a volé

Dans le temps dans la nuit je retrouverai ton visage

Et la forme de mon visage

Je te parlerai dans le temps je te parlerai dans la nuit

J'écarterai enfin l'affreuse douleur de mon silence

J'écarterai enfin les jours mortels

Je te parlerai hors du temps je te parlerai dans la nuit

J'effacerai les traces amères de l'attente

J'effacerai les traces amères de l'oubli

Dans mes deux mains ouvertes je prendrai ton visage

Ton seul visage d'un seul instant mortel

Je te parlerai hors du temps j'écarterai la nuit

Je reprendrai les mots absolus

Pour te les dire enfin avec ma voix pareille

A la lumière.

(Extrait de "Poèmes", in "En compagnie d'Antonin Artaud", Ed Flammarion)

Mais de rien, ce n’est pas moi, qu’il faut remercier, je n’y suis absolument pour rien. ;)

Il dort. Quoique le sort fût pour lui bien étrange,

Il vivait. Il mourut quand il n'eut plus son ange ;

La chose simplement d'elle-même arriva,

Comme la nuit se fait lorsque le jour s'en va.

Victor Hugo

Les Misérables