J’ai toujours trouvé l’expression « péché de chair » impropre. Disons mieux : sournoise ; insinuant, sans y toucher ( !), que la chair pèche toute seule. Saint Paul s’est déjà heurté à ce problème, donnant à l’occasion un cours magistral d’hypocrisie :
Nous savons, en effet, que la Loi est spirituelle; mais moi, je suis charnel, vendu au péché.
Car je ne sais pas ce que je fais: je ne fais pas ce que je veux, et je fais ce que je hais.
Or, si je fais ce que je ne voudrais pas, je reconnais par là que la Loi est bonne.
Mais alors ce n'est plus moi qui le fais, c'est le péché qui habite en moi.
Car je sais que le bien n'habite pas en moi, c'est-à-dire dans ma chair; le vouloir est à ma portée, mais non le pouvoir de l'accomplir.
Car je ne fais pas le bien que je veux, et je fais le mal que je ne veux pas.
Or, si je fais ce que je ne veux pas, ce n'est plus moi qui le fais, c'est le péché qui habite en moi.
Je trouve donc cette loi en moi: quand je veux faire le bien, le mal est près de moi.
Car je prends plaisir à la loi de Dieu, selon l'homme intérieur;
mais je vois dans mes membres une autre loi qui lutte contre la loi de ma raison, et qui me rend captif de la loi du péché qui est dans mes membres.
Malheureux que je suis! Qui me délivrera de ce corps de mort?
Grâces soient rendues à Dieu par Jésus-Christ Notre-Seigneur! Ainsi donc moi-même, par l'esprit, je suis l'esclave de la loi de Dieu, et par la chair l'esclave de la loi du péché.
Il y a quelques années, commentant ce passage, j’écrivais ceci : « Dans son épître aux Romains (VII – 14, 25), saint Paul semble dire qu’il obéit à Dieu selon l’esprit, mais qu’il est condamné à pécher selon la chair… Or, la chair ne pèche pas toute seule… On pèche par la chair… La chair est l’occasion du péché auquel l’âme consent. Ce que je trouve logique : si les désirs du corps trouvaient dans le corps leur foyer, on ne voit pas comment ils viendraient à le détruire. Il faut qu’ils viennent d’ailleurs – de l’âme – puis qu’ils s’exercent dans le corps… Alors que saint Paul, si je le comprends bien, n’est pas loin de dire que son esprit veut le bien, tandis que sa chair veut le mal… Mais comment la chair voudrait-t-elle quelque chose ?
― Ne croyez-vous pas que la chair puisse s’exciter et prendre le pas sur l’esprit ? Dans ce cas, l’esprit ne contrôle plus la chair qui se met, en quelque sorte, en pilotage automatique. Ces embardées de la chair, c’est peut-être cela que saint Paul a voulu exprimer ? »
Aujourd’hui, j’ajouterai que la chair n’a d’exigence qu’en tant qu’elle est liée à l’âme, composant ainsi la plénitude de notre nature humaine – et de là tirant sa noblesse.
Notre corps est précieux tant, justement, qu’il est lié à notre âme. Et il est des exigences qui ne sont pas « que » de l’âme, pas plus qu’elles ne sont « que » du corps. Ce sont des exigences qui touchent ce point de jonction entre notre âme et notre corps et font tout le charme de l’humain – et la magnificence de l’Incarnation.
Les fameuses « embardées » de la chair ne sont rendues possibles que par le lien qui l’unit à l’âme.
Toute la doctrine manichéenne et le jansénisme s’effondrent ainsi devant la réalité. Devant la création. Devant la foi.
Mais comme c’est pratique : « J’ai envie de jouir, c’est à cause de mon corps ! »… Oh, le coquin ! Mais le corps ne réclame la jouissance que par ce qui le lie à l’âme et le rend vivant. En d’autres termes : le corps exige ce que l’âme veut.
Cela étant dit, reste à déterminer comment on pèche par la chair.
Nos exigences charnelles concernent le plaisir physique, la jouissance : notre corps donne du plaisir et nous permet d’en prendre. La chair sert à donner et à recevoir : elle est échange, et ainsi à la ressemblance du Dieu trinité qui est don, jouissance, échange et plaisir éternel.
Or, si l’on est amené à donner son corps sans en éprouver du plaisir, c’est une faute contre soi-même, car il s’agit d’un irrespect de notre corps créé par Dieu. De même, si l’on prend du plaisir par le corps de l’autre sans se préoccuper de lui en donner – de faire don de soi, alors on pèche par égoïsme, car il faut faire à notre prochain ce que l’on aimerait qu’il nous fasse. Aimer l’autre comme soi-même, c’est cela.
Il faut bien comprendre que le plaisir de l’autre doit être le garant du nôtre – tout comme, justement, la trinité est garante de l’unité divine.
Je jouis tout autant de ce que je te prends et de ce que je te donne. Et ce que je te prends, c’est ce que tu offres, et non ce que je te dérobe.
Lorsque les demandes et les désirs de chacun sont anticipés par l’autre sans besoin de concertation, alors on sait que ces êtres sont « compatibles ». Sexuellement faits l’un pour l’autre.
Quant à ce qui explique pourquoi deux êtres qui s’aiment ne trouvent pas forcément leur plaisir au lit, je n’en sais rien… Mais j’ai déjà entendu ceci : « Mon mariage tient, je ne m’imagine pas partager les tâches quotidiennes et l’éducation des enfants avec quelqu’un d’autre, mais je ne lui donne mon corps qu’une fois tous les six mois, parce que cela lui fait plaisir. Pour rendre service. Et je simule, bien sûr… En fait, si mon mariage tient, c’est parce que j’aime mon mari, mais aussi et surtout parce que j’ai un amant. »
Que redire à cela ? Selon moi, absolument rien. Sauf mon principe fétiche, qui se vérifie une fois encore :
Il est dommage que les gens qu’on aime et ceux avec qui l’on couche soient rarement les mêmes…
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