En l'An Mille, la mainmise séculière sur les monastères est complète. L'habitude de prendre ou de donner un monastère comme véritable propriété est devenue courante. Par exemple, Hughes est abbé séculier de presque toutes les riches abbayes de ses domaines et c'est actuellement de cette charge abbatiale qu'il tire son nom de Capet, porteur de la chape. On pouvait parfaitement être abbé et avoir la charge du gouvernement des moines, voire de l'office et de la vie spirituelle, tout en étant un affreux soudard. Et ce n'est pas tout, il faut encore descendre sur le chemin de la déchéance. Ces titres et ces fonctions sacrées, l'habitude s'en généralisait d'en faire négoce. La célèbre "simonie" était florissante. Pour désigner un évêque ou un abbé, voire même un modeste curé, les seigneurs qui exerçaient le contrôle exigeaient de l'argent. Mais à leur tour les prêtres qui avaient donné de l'argent pour obtenir une dignité se faisaient payer pour les actes de leur ministère. Des plus hauts princes au dernier des curés, en passant par les évêques, c'était une chaîne infernale de complicité dans les abus.
D'une façon ou d'une autre,tout l'appareil clérical avait partie liée avec le régime féodal. Les terres ecclésiastiques négociées ou données comme les autres, les prêtres, les évêques et les moines astreints à se battre ou à fournir des troupes pour les incessantes guerres du temps, il semble que l'absorption de l'Eglise par la société même qu'elle devait évangéliser, ce danger qui pesait sur elle depuis des siècles, qui, d'une autre façon, a été celui du lendemain des invasions, soit sur le point de s'effectuer. Entre la caste guerrière, maîtresse de la force, du pouvoir et de l'argent, , et la caste religieuse, gardienne des valeurs suprêmes de la civilisation, l'antagonisme paraît sur le point de se résoudre en la plus défavorable des fusions. On peut donc se demander si le monde féodal allait contaminer le christianisme comme le monde barbare a failli le faire. Mais il n'en sera rien. C'est là le fait le plus surprenant de cette époque obscure. La crise du 10ème siècle va être infiniment grave pour le monde chrétien d'Occident, mais elle ne sera pas mortelle.
En fait, alors que, pour l'Etat, l'anarchie féodale ira jusqu'à la totale destruction, sur l'Eglise, son action restera superficielle. C'est là que l'on voit la différence fondamentale entre l'Orient et l'Occident. L'effort des évêques, depuis la mort de Charlemagne, n'a pas été vain, ni celui des moines, qui ont travaillé pour la liberté de l'esprit. Un idéal d'indépendance spirituelle restait vivace en certaines âmes. Et c'est lui qui, en définitive, permettra à l'Eglise de se redresser elle-même et à la fois préparer l'aube d'un renouveau.