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L'idée absolue expliquée par Lénine..... Vous voulez que je scan mon livre? Pour que vous l'ayez sous les yeux?
Déjà j'ai fait chié courtial avec ce concept sur l'ancien fopo, ce moment où lénine parle de l'idée absolue.. Mais là jme fait chier avec le matérialisme autiste.
Le passage de l'article qui nous intéresse :
"Dans ses notes sur le premier livre de la Logique, la « Doctrine de l’Être », Lénine fixe son protocole de lecture dans un encadré qui commence par cette exclamation : « sottises sur l’absolu » et se poursuit comme suit : « d’une manière générale, je m’efforce de lire Hegel en matérialiste : Hegel, c’est le matérialisme mis sur la tête (d’après Engels) — c’est-à-dire, j’élimine en grande partie le bon Dieu, l’Absolu, l’Idée pure, etc. » (CP, 102). A la fin de sa lecture de l’ouvrage, et surtout : après avoir consacré des dizaines de pages de notes à ce qu’il s’était précisément engagé à « éliminer » (à savoir la troisième section, « L’Idée », de la « Logique subjective », dont la majeure partie à son troisième et dernier chapitre : « L’Idée absolue » qui occupe pourtant moins du tiers de cette section), Lénine se livre à ces célèbres remarques conclusives : « il est remarquable que tout le chapitre sur l’“Idée absolue” ne dit presque pas un mot de Dieu […] et en outre — ceci NB — ce chapitre ne contient presque aucun idéalisme spécifique, mais il a comme sujet essentiel la méthode dialectique. Le total et le résumé, le dernier mot et l’essence de la Logique de Hegel, c’est la méthode dialectique — ceci est tout à fait remarquable. Et encore ceci : dans cette œuvre de Hegel, la plus idéaliste, il y a le moins d’idéalisme, le plus de matérialisme. « C’est contradictoire », mais c’est un fait ! » (CP, 222) C’est dans ce véritable renversement de perspective que l’on mesure le chemin parcouru par Lénine43. La transformation qui s’opère de la catégorie de « reflet » nous servira de panneau indicateur, signalant les résultats atteints lors de chacune des étapes franchies.
Peu après l’énoncé du protocole de la « lecture matérialiste de Hegel » mentionné auparavant, le reflet reçoit sa première définition : coextensif à la « dialectique » elle-même, il existe en tant qu’il reflète « le processus matériel dans tous ses aspects et dans son unité », devenant ainsi « le juste reflet du développement éternel du monde » (CP, 109). Il y a donc, d’une part, le monde matériel et son « développement éternel », de l’autre le « reflet » dudit monde, et de son développement, dans la « souplesse multiforme et universelle » des catégories proprement dialectiques — souplesse « qui va jusqu’à l’unité des contraires » ajoute Lénine. En conclusion de ses notes sur la première section de la « Doctrine de l’essence », Lénine, ébranlé par les développements consacrés à la catégorie de « réflexion », tente une dernière fois de trouver dans cette modalité de recours au « reflet » la confirmation du « renversement matérialiste de Hegel44 ». Cette confirmation est étroitement liée à la conception de la dialectique comme « tableau de l’univers ». Et c’est la métaphore d’inspiration héraclitéenne du fleuve et de ses gouttes, et des concepts comme autant d’« inventaires » des « aspects particuliers du mouvement » et de leurs composantes, qui lui servira d’illustration (CP, 139). Cette métaphore se situe dans le droit fil du « développement éternel du monde », pour reprendre la formulation déjà citée, i. e. d’un flux ou d’un mouvement fondamentalement extérieurs à l’observateur, qui ne fait que les contempler à partir du rivage. C’est d’un tel mouvement dont il était question dans la définition initiale du « reflet », celle d’un monde assimilé à un « grand tout » duquel l’histoire et la pratique humaines paraissent étrangement absents.
Jusque-là, nous sommes dans la stricte continuité avec le dernier Engels, tout particulièrement du Ludwig Feuerbach, canonisés par l’orthodoxie de la IIe Internationale : distinction entre le « système » (idéaliste et conservateur) et la « méthode », i. e. la dialectique, critique et révolutionnaire, celle-ci étant comprise comme science des « lois générales et universelles du mouvement » et du développement tant de la nature que de l’action humaine. Ces lois ne sont à leur tour que le reflet du mouvement réel et objectifs dans la tête du penseur, et non l’inverse comme le pensait Hegel, pour qui l’Idée absolue s’aliène et par là se dégrade en nature. Ainsi « remise sur ses pieds », la dialectique des concepts est le reflet conscient du mouvement dialectique du monde réel et objectif45.
Pour Lénine, les choses commencent toutefois à se compliquer assez rapidement, et très sérieusement, dès la « Doctrine de l’essence ». Certes, ses notes, assez brèves, sur la « Doctrine de l’être » s’étaient terminées sur les exclamations bien connues sur les « sauts46 » et leur nécessité, donc sur une prise de distance par rapport au gradualisme que l’orthodoxie associait immanquablement à sa conception de la grande totalité organiquement liée d’un l’univers en perpétuel mouvement. Ses remarques sur les préfaces de l’ouvrage lui avaient également fait sentir la difficulté de la dissociation entre « système » et « méthode » dans la mesure où la Logique, selon Hegel, exige des formes qui « soient des gehaltvolle Formen, des formes au contenu réel, vivant, des formes inséparablement unies au contenu » (CP, 90). Mais ce n’est qu’avec la lecture de la doctrine de l’essence que Lénine commence à prendre la mesure du caractère insatisfaisant, à vrai dire naïf et bricolé, de ses dualismes « matérialistes » et à pénétrer dans le plan d’immanence déployé par les catégories de la logique hégélienne.
En tant que « réflexion dans elle-même », l’essence s’identifie au mouvement réfléchissant interne à l’être lui-même. L’apparence extérieure n’est que le reflet de l’essence en-soi, non pas autre chose que l’être, mais l’être qui se pose dans l’extériorité et comme extériorité pour reconnaître que ce mouvement de position de soi procède de lui-même, de son intériorité. Ce « retour sur soi » ne veut pas dire que l’extériorité est simple projection, ou reduplication de l’intériorité, mais bien un déjà-là, un présupposé inscrit dans l’intériorité même et qui permet à la totalité d’engager le mouvement de sa propre détermination. Revenant à la métaphore du fleuve, Lénine comprend que si l’on peut distinguer l’« écume » et les « courants profonds », « l’écume aussi est expression de l’essence » (CP, 124). Pour le dire autrement, l’apparence essentielle, le « reflet », n’est pas plus l’illusion qu’il faudrait réduire (en la ramenant au véritable être matériel dont elle ne serait que le décalque) que l’image projetée d’un mouvement externe. Elle est le premier moment d’un procès d’auto-détermination conduisant au déploiement du réel en tant qu’effectivité (Wirklichkeit). D’où les problèmes de terminologie que Lénine se pose quant à la traduction du terme de « réflexion47 ». D’où aussi son enthousiasme, consécutif à la lecture des pages consacrées aux trois formes du mouvement réfléchissant — formes qu’il trouve par ailleurs « développées très obscurément » (CP, 129) —, lorsqu’il découvre le véritable plan d’immanence déployé par le « mouvement » hégélien. Non pas le flux, l’écoulement de l’univers observé d’une position externe, mais l’automouvement (Selbstbewegung) : « le mouvement et l’“automouvement” (ceci NB ! mouvement autonome (indépendant), spontané, intérieurement nécessaire) », voilà le « fondement » de l’« hégélianisme », « abstrait et abstrus » que Marx et Engels ont précisément découvert, compris, décortiqué, épuré et ainsi sauvé (CP, 133-134).
S’il en est ainsi, c’est alors le concept de « loi » qui doit être dégagé de la « simplification » et de la « fétichisation »48 : il fait l’objet des remarques de la section suivante de la « Doctrine de l’essence », consacrées au « phénomène ». Lénine comprend tout à fait la portée anti-relativiste et anti-subjectiviste de l’analyse hégélienne de l’Erscheinung, du phénomène en tant que reprise de l’être selon sa consistance essentielle, unité de l’apparence et de l’essence (là où le subjectivisme néo-kantien s’acharne à les dissocier). Première expression de l’essence comme fondement, c’est en effet au niveau du phénomène que se situe le concept de loi. Pour Hegel, la loi est « la réflexion du phénomène dans son identité avec soi-même », co-présente de manière immédiate au phénomène en tant que son « image calme ». Lénine approuve : « c’est une définition remarquablement matérialiste et remarquablement juste (par le mot ruhige [calme]). La loi prend ce qui est calme — et par là, la loi, toute loi, est étroite, incomplète, approchée » (CP, 143).
Bien sûr, on peut voir là une simple reprise de la théorie du « reflet », copie approximative, mais toujours plus « fidèle », « proche » de la réalité « objective » « matérielle49 ». Mais cette perception du caractère fondamentalement limité des lois extérieures représente un déplacement considérable par rapport à la thèse cardinale de l’orthodoxie, martelée dans Matérialisme et empiriocriticisme, qui posait, d’un côté, « les lois nécessaires de la nature » comme « l’élément primordial », et, de l’autre, la « volonté et connaissance humaine » comme « l’élément secondaire », « ces dernières devant nécessairement et inéluctablement s’adapter aux premières » (ME, 185 ; je souligne). De cette ontologie, Lénine déduisait l’exigence pour la « conscience sociale et la conscience des classes adaptées de tous les pays capitalistes » de « s’adapter » à la « logique objective de l’évolution économique », logique qui se reflète dans les « lois du développement historique50 ». En réalité, dans la reprise de la conception hégélienne des lois dans les annotations des Cahiers, il y a déjà, aux antipodes du relativisme, une première saisie de la préinscription de la subjectivité, de l’activité de connaissance, au cœur même de l’objectivité, dans le mouvement intérieur de l’essence : « la loi est un rapport. Ceci NB pour les machistes et autres agnostiques et pour les kantiens, etc. Un rapport des essences ou entre essences […] Le commencement de tout peut être considéré comme passif et extérieur. Mais ce qui est intéressant ici, ce n’est pas cela, mais autre chose : le critère de la dialectique qui a échappé par mégarde à Hegel : « tout développement naturel, scientifique et spirituel » : voilà où est le grain de vérité de profonde dans la gangue mystique de l’hégélianisme ? » (CP, 145-146).
Ce n’est que par la suite, dans ses notes consacrées à la « Logique subjective », que Lénine comprendra que ce critère n’a pas « échappé par mégarde » à Hegel, mais qu’il représente ce « côté actif » de l’« activité humaine sensible », « développé de façon unilatérale par l’idéalisme » et non par le matérialisme, dont il était question dans la première thèse de Marx sur Feuerbach. Il reformulera alors le processus de connaissance non comme rapprochement vers le concret, mais, à l’inverse, comme procès d’abstraction croissante (incluant parmi ses résultats les lois naturelles en tant qu’« abstraction scientifique »), procès qui ouvre lui-même à la pratique et, saisi dans son ensemble, à la connaissance de la vérité51. Il n’hésitera pas dès lors à identifier « le sens véritable, la signification et le rôle de la Logique dans Hegel » à la révélation de la puissance de la pensée en tant qu’abstraction, dans la distance donc qui la sépare de l’objet. Distance qui n’est à proprement parler distance du rien, dépourvue d’épaisseur propre et que désigne désormais le « reflet », assimilé au travail de pensée (la « formation de concepts abstraits et les opérations faites avec eux ») en tant processus révélant l’objectivité de la connaissance subjective à même l’auto-déploiement du monde52.)."