Le nationalisme contre les nations d'Europe
Deux événements notables ce week-end, un petit et un grand… Ils soulignent une nouvelle fois la puissance des forces ameutées contre l’Union européenne, qui dépasse de loin celle des partis nationalistes en lice dans cette élection.
Le premier est la venue à Paris de Steve Bannon, idéologue identitaire descendu dans un grand hôtel parisien pour porter la bonne parole xénophobe auprès du peuple souffrant. Ce gilet jaune du Bristol, redoutable communicant pro-Trump qui dépense chaque jour le salaire mensuel de ceux qu’il prétend défendre, est volontiers consulté par les mouvements anti-européens et travaille activement à leur réunion au sein du Parlement de Strasbourg. Affaire apparemment anecdotique – ces partis ont le droit de recevoir des conseils – en fait symbolique : avec Trump et Bannon, c’est bien le courant idéologique au pouvoir aux Etats-Unis qui travaille tout entier à l’éclatement de l’Union. Par proximité politique, certes, mais aussi dans un but très clair : éliminer de la scène mondiale ce vaste ensemble démographique et économique qui pourrait faire pièce aux intérêts commerciaux américains en limitant le pouvoir des multinationales ou en imposant à l’échelle planétaire des normes environnementales qui déplairaient aux industriels américains. Le slogan de Trump, Make America Great Again, a un corollaire : Make Europe Small Again. Pour rendre sa grandeur à l’Amérique, il faut rapetisser l’Europe. Les partis nationalistes du continent dans cette stratégie sont de parfaits chevaux de Troie.
L’autre événement est bien plus considérable. C’est la publication d’une vidéo pirate qui montre le chef du parti d’extrême droite autrichien FPÖ, Heinz-Christian Strache, également vice-chancelier de son pays, négocier, avec celle qu’il croit être la nièce d’un oligarque russe, le financement illégal de son parti et le rachat d’un quotidien populaire par des intérêts poutiniens. La véracité de la scène a été confirmée par l’intéressé, qui a démissionné de son poste, tandis que le gouvernement décidait de provoquer des élections législatives anticipées. Scénario digne de House of Cards : une conversation nocturne au bord d’une piscine à Ibiza, filmée à l’insu des protagonistes, provoque un séisme politique en Autriche et en Europe. Il est vrai qu’elle n’est pas anodine : ainsi ce leader nationaliste trouve utile, normal, logique, de faire financer subrepticement son courant politique par un oligarque russe. En l’occurrence, la Russie n’y est pour rien : le chef du FPÖ est victime d’un montage et il n’y a pas d’oligarque impliqué. Tout démontre, en revanche, dans cette affaire extraordinaire, la solidarité naturelle entre une grande partie de l’extrême droite et les intérêts russes.
Nul complot dans cette collusion des nationalistes avec Trump et Poutine : l’essentiel se passe au grand jour. Les deux chefs d’Etat ne font pas mystère de leur hostilité à l’Union ; Marine Le Pen est officiellement financée par un emprunt russe et ne cesse d’argumenter publiquement en faveur d’une bonne entente avec la Russie, tout comme les leaders de l’extrême droite entretiennent très officiellement des liens avec Bannon. Ainsi ceux qui n’ont que l’intérêt national à la bouche conspirent au grand jour pour affaiblir leurs pays respectifs en les divisant, comme les Curiaces face à Horace. Ainsi l’enjeu de cette élection européenne n’est pas seulement moral et politique. Il est géopolitique : le nationalisme qui veut défendre la nation, cherche à ruiner l’influence des nations assemblées dans l’Union. Pervers paradoxe.