Coupe du monde de football: «Un féminisme à l’américaine se greffe sur l’esprit du sport»
Le discours médiatique et publicitaire sur le football féminin est d’ordre idéologique, déplore la philosophe Bérénice Levet.
LE FIGARO.- Quel est votre sentiment sur cette Coupe du monde féminine?
Bérénice LEVET.-Je tiens à préciser que je ne conçois aucune hostilité envers les joueuses de la Coupe du monde féminine. Elles se félicitent certes de la place qui leur est accordée dans les médias et dans la société, mais enfin, elles ne prétendent pas aux vertus dont on les accable et relaient peu le discours militant qui enveloppe la manifestation. Or c’est bien l’enrôlement de la Coupe du monde féminine dans les combats idéologiques du présent qui est insupportable et déraisonnable.
Il ne s’agit plus de prendre plaisir à assister à un match de football ou à le visionner entre amis, mais de soutenir la cause des femmes. Vous n’êtes plus un simple supporteur, mais un champion des droits de ces créatures, sempiternelles victimes d’un monde patriarcal. Il faut se rendre sur le site de l’Unesco qui, le 4 juin, consacrait une matinée à l’événement: Femmesetfoot#ChangeTheGame. Le discours est édifiant: «La promotion du football féminin peut être un formidable levier pour promouvoir l’autonomisation des femmes et des filles et rendre nos sociétés plus inclusives.» Et de poursuivre: «Cet événement est une belle occasion de se mobiliser contre - et là toutes les cases sont cochées, comme on dit dans la langue managériale - la discrimination, le sexisme, le harcèlement, le plafond de verre et les autres obstacles auxquels sont confrontées les femmes.»
Ce discours vous paraît excessif?
Le féminisme qui triomphe à travers cet événement n’est pas n’importe quel féminisme, c’est un féminisme, importé des États-Unis, que j’appelle identitaire et séparatiste, auquel l’épisode #MeToo a donné des ailes. Les femmes sont exhortées à se penser, se vivre comme groupe séparé, distinct de celui des hommes - quoi de plus parfait à cet égard qu’une équipe de football - et doivent exiger d’être reconnues comme telles. Ce féminisme exaltant les femmes comme femmes est étranger à la tradition française universaliste: en France, les femmes ont acquis des droits au nom de leur commune appartenance à l’humanité, de leur qualité d’êtres douées de raison au même titre que les hommes.
Ne soyons pas dupes toutefois, le moteur de l’opération est en premier lieu économique et commercial. Ce qui confirme la sagacité d’un Jean-Claude Michéa: libéralisme économique et idéologie progressiste marchent main dans la main. À cet égard, la campagne menée par EDF est admirable, l’alliance du capital et du gauchisme culturel s’affiche partout, dans le métro, les journaux. Le fournisseur d’électrique a mobilisé des people femmes. «Bienvenue dans la femme zone. Pour que le football féminin gagnedu terrain», proclament actrices, journalistes, chanteuses.
N’est-ce pas un progrès de l’égalité?
Non, c’est une offensive de plus en faveur de l’indifférenciation des sexes. L’opération est idéologique: être une petite fille libérée, ce serait choisir le football plutôt que la danse. Il s’agit de convaincre chacun que le football est un sport aussi bien masculin que féminin et que s’il ne l’est pas actuellement, ce n’est que par l’intériorisation de «préjugés sexistes» dont la société serait le funeste vecteur. C’est ce raisonnement qui est faux.
Le football est accordé au corps masculin, et c’est la raison pour laquelle les petits garçons s’y destinent, et y sont destinés, plus volontiers que les petites filles. Les activités physiques traditionnellement attribuées à chacun des deux sexes ne le sont pas de manière arbitraire. Cette répartition a un fondement naturel, elle s’accorde à la physionomie de chacun, elle s’inscrit dans la continuité du donné corporel.
Si les petites filles exercent la danse, c’est que celle-ci est l’école de la «grâce», et donc cultive et fortifie une disposition originelle. Si le football est majoritairement pratiqué par les petits garçons, c’est qu’il est à l’unisson de leur constitution. Ce qui n’exclut pas qu’un petit garçon manifeste la volonté d’apprendre la danse, et une petite fille de jouer au rugby, ce qu’on doit leur accorder, mais l’exception ne fait pas la règle. Le corps dicte sa loi à l’esprit, à la volonté, aux aspirations! C’est cela que les tenants du «genre», qui postulent que tout est construit, contestent.
Les propos d’Alain Finkielkraut sur la Coupe du monde féminine ont fait polémique…
Je suis fort reconnaissante à Alain Finkielkraut d’avoir osé briser ce grand concert d’unanimité. J’en ai éprouvé du soulagement tant je me sentais isolée. Alain Finkielkraut ne réclamait qu’une chose: le droit à l’indifférence, le droit de n’être pas intéressé par la Coupe du monde de football féminin. Pressé de se justifier, il a défendu son attachement à la féminité, une féminité que le football n’exalte pas, argue-t-il - ce qu’on ne peut que lui concéder.
L’accusation est tombée sur les réseaux sociaux et dans les médias: l’auteur de La Sagesse de l’amourest jugé coupable de «dérapages sexistes». «Sexiste» doit nous retenir. C’est un véritable piège! Sous couvert de lutter contre les inégalités, ce petit vocable, forgé sur le modèle du mot racisme, vise à criminaliser toute pensée et toute perception de la différence des sexes. Et de fait, Alain Finkielkraut a la faiblesse d’être sensible aux charmes féminins et de se risquer à le dire haut et fort.
Le «sexisme» ne reculera-t-il pas quand on pourra critiquer le football féminin aussi bien que le football masculin?
Permettez-moi de ne pas souscrire à l’implicite de votre question, le sexisme n’est pas un fléau en France. Et l’attachement à la différence des sexes n’est pas synonyme de traitement inégalitaire. Considérer que l’homme et la femme ne sont pas interchangeables ne signifie pas qu’on les hiérarchise, qu’on ennoblisse l’un et avilisse l’autre. Ce qu’il nous faut souhaiter, c’est le jour où le football, masculin comme féminin, sera remis à sa place, celui du divertissement, et je le dis sans mépris.
http://premium.lefigaro.fr/vox/societe/coupe-du-monde-de-football-un-feminisme-a-l-americaine-se-greffe-sur-l-esprit-du-sport-20190621