REPORTAGEMarat, 40 ans, a travaillé pendant deux mois, avec des centaines d’autres Russes, pour une agence chargée de diffuser à grande échelle la propagande pro-Poutine sur Internet.
En Russie, les trolls existent vraiment. Il s’agit d’une multitude de cybersoldats au service de la propagande du Kremlin, qui s’affairent comme des fourmis venimeuses sur les réseaux sociaux et les forums russes, mais aussi sur les sites de la presse étrangère comme CNN ou The Guardian. Leur mission : tenir des blogs et inonder les discussions en ligne de commentaires célébrant Vladimir Poutine et sa politique et dénigrant l’Occident.
«La journée commence à 9 heures pile. Le moindre retard est sanctionné d’une amende», raconte Marat, un instituteur de 40 ans qui vient de passer deux mois embedded avec les trolls, de décembre à février, dans l’un de leurs QG. Un bâtiment quelconque, sans enseigne, dans une banlieue de Saint-Pétersbourg, enregistré auprès des autorités sous le nom insipide d’Agence d’investigation de l’Internet. Cette fabrique de trolls emploie des centaines de blogueurs, payés entre 40 000 et 65 000 roubles par mois (745 et 1 200 euros). Dans une atmosphère impersonnelle et méfiante - le rire est interdit et passible d’amende, le copinage n’est pas bienvenu -, ils passent une douzaine d’heures, de jour comme de nuit, à rédiger des commentaires et alimenter des discussions sur tous les thèmes qui surgissent dans l’actualité russe.
Consignes.«Le seul critère de sélection à l’embauche, c’est la rapidité d’écriture. Ta culture politique n’intéresse personne, à condition que tu fasses l’éloge de la Russie et critiques tout ce qui est occidental», se souvient Marat. Affecté au département des forums régionaux, il devait traiter quatre à cinq sujets par jour, en suivant des consignes très strictes : «Utilisation impérative de certains mots-clés dans le titre du post»,«utilisation impérative d’images ou de vidéos trouvées sur YouTube sur le thème du post»,«le post ne doit pas contenir moins de 700 signes pour l’équipe de jour, pas moins de 1 000 pour l’équipe de nuit».
Par exemple, sur la tuerie de Charlie Hebdo, l’une des tâches était formulée ainsi : exprimer «un rapport négatif vis-à-vis des terroristes qui ont fusillé des gens à Paris, ainsi que vis-à-vis des autorités françaises qui n’ont pas accordé assez d’importance aux menaces terroristes». Puis une liste de «liens utiles», toujours vers des sites d’information pro-Kremlin, comme Russia Today ou Pravda.ru. Enfin, la conclusion qui doit surgir de la «discussion» : les caricatures du journal satirique ont provoqué l’indignation des islamistes, les autorités françaises n’ont rien fait pour prévenir la tragédie. Mots-clés : UE, Etat islamique, attentat terroriste. L’important est de faire remonter les textes prorusses dans les moteurs de recherche. 1