L'enchaînement des trois récentes catastrophes ferroviaires survenues en Europe n'est pas aussi improbable qu'on le pense du point de vue des mathématiques.
En moins de 20 jours, trois catastrophes ferroviaires ont endeuillé l'Europe coup sur coup. D'abord à Brétigny-sur-Orge, en France, le 12 juillet, puis à Saint-Jacques-de-Compostelle, en Espagne, le 25, et enfin à Granges-près-Marnand, en Suisse, le 29. Le train est pourtant, avec l'avion, le mode de transport le plus sûr au monde (2 morts tous les 100 millions de passagers-heure). Comment expliquer alors une telle série noire? Nul besoin de théories du complot ou de raisonnements fantaisistes: les mathématiques du hasard suffisent amplement à décrypter ce phénomène.
Deux mathématiciens de l'université de Rouen, Elise Janvresse et Thierry de la Rue, l'expliquent dans leur ouvrage La Loi des séries, hasard ou fatalité? Ils prennent l'exemple d'une série de cinq crashes aériens survenus entre le 2 et le 23 août 2005, une période qui a vu s'envoler environ 440.000 avions de ligne. Les statistiques mondiales ne font en moyenne état que d'un accident tous les 500.000 vols environ. Ce taux d'accidents cinq fois supérieur à la normale conduisit à l'époque à s'interroger sur une éventuelle baisse du niveau de sécurité du transport aérien.
La probabilité d'une telle série noire est pourtant bien plus grande qu'on ne l'imagine. La loi mathématique de Poisson permet de décrire la répartition des événements rares sur un certain laps de temps. Elle évalue par exemple à une chance sur 500 la probabilité qu'au moins 5 avions se crashent sur une période de 22 jours. En utilisant des statistiques dites de balayage, les auteurs montrent que sur une année, il y a même plus d'une chance sur 10 pour que 5 avions au moins se crashent en 22 jours. La probabilité de voir trois catastrophes ferroviaires s'enchaîner en trois semaines en 2013 ne doit pas être moins grande...
Ces calculs montrent plus généralement que le hasard aime bien former des petits paquets d'événements similaires. L'incrédulité du grand public révèle au contraire la difficulté que nous avons à appréhender le hasard. Frédéric Schütz, mathématicien à l'université de Lausanne, l'expérimente systématiquement avec ses étudiants. «Quand je leur montre des séries de lancers de pile ou face générées au hasard par ordinateur, et des séries soigneusement préparés par des êtres humains pour donner une illusion de désordre, les étudiants pensent naturellement que ce sont les secondes qui ont été élaborées au hasard.»
La «loi des séries» n'existe pas
L'être humain est en fait une machine très performante pour déceler des motifs réguliers et leur donner du sens. Même lorsqu'ils n'en ont aucun. Il est ainsi courant que des cas d'une même maladie rare surviennent en même temps, au même endroit. Des milliers de ces «agrégats de cas» sont signalés chaque année aux États-Unis. La plupart du temps, il est impossible de trouver une explication rationnelle au phénomène. Et pour cause: il n'y en a probablement pas.
Ces coïncidences affectent pourtant notre jugement. Nous croyons ainsi à tort à une «loi des séries», une sorte de «jamais deux sans trois» généralisé qui aurait un fondement mathématique. Or il n'en est rien. Si les séries d'événements indépendants mais similaires ne sont pas si rares, elles restent néanmoins parfaitement aléatoires et donc totalement imprévisibles.
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