La crise qui s'est déclenchée fin juillet 2007 et dont le monde commence à peine à sortir a favorisé la publication de livres plus ou moins "définitifs" remettant en cause radicalement le monde d'avant.
Tout le monde a bien compris que la crise venait des Etats-unis et que la politique de puissance menée avec le billet vert entraînait le monde vers des crises répétées et toujours plus graves. Montrer à quel point la politiquefinancière et monétaire des Etats unis était intenable est une œuvre salutaire. Alerter sur le fait que les Etats Unis eux-mêmes in fine pourraient en être la victime la plus durement touchée ne peut que faire du bien.
On n'en est plus au temps de la crise de 98, crise typique des changes flottants et du dollar fou de Greenspan, qui était "expliquée" par la faute des pays émergents et des "cronies" qui étaient censés, au dire des anglo saxons, fausser l'économie du monde.
On n'en est plus non plus au temps où les grands économistes qui dénonçaient le caractère foncièrement dangereux des institutions et des pratiques imposées en matière monétaire par les Etats-Unis étaient sommés de se taire (comme Jacques Rueff) et se retrouvaient marginalisés s'ils ne le faisaient pas (comme Maurice Allais). La désinformation en matière monétaire et financière a été extrêmement forte pendant des décennies et il est bon qu'on puisse désormais briser la langue de bois qui a été imposée dans la presse et l'édition pendant si longtemps.
De ce point de vue là des livres sont à lire et à recommander. Ils reprennent d'ailleurs des chiffres que nous nous sommes pas privés de donner depuis 15 ans, comme la perte de valeur du dollar calculée en or (près de 98% désormais en attendant mieux), et que la presse quotidienne en France par exemple s'interdit bien de publier. Nous ne pouvons que trouver cela sympathique.
Les limites du livre tiennent à ce qu'il veut trop prouver et qu'il manque un peu de fond dès qu'on en arrive aux explications. C'est un livre de journaliste avec les avantages et les inconvénients du genre. Il brasse bien l'air du temps. Il passe à côté des aspects techniques essentiels.
Une critique possible est de souligner la dénonciation d'un certain "conspirationnisme" anglo saxon. Bien sûr il a la volonté du puissance des Etats Unis, nous l'avons-nous même souvent affirmé. Bien entendu il y a l'espèce de colonisation des esprits en matière économique en provenance des Etats unis. Mais nous sommes plus dans le domaine de l'erreur que dans celui du complot. Les théories américano centrées qui dominent depuis la fin de la guerre de 40 et qui se sont exaltées après 1971 conviennent à "l'impérialisme américain". Mais ce n'est pas un calcul qui les fonde. Simplement la facilité. On est dans l'opportunisme de bas étage, pas dans le complot.
La défaillance américaine est intellectuelle ; il se trouve que pendant des décennies elle allait dans le sens de la puissance américaine. On se trouve un peu dans la même situation du colonialisme français dans les années 50 : tout le corpus intellectuel français condamnait le colonialisme incompatible avec les principes du droit des peuples à disposer d'eux même. Mais qu'il est dur de renoncer à un empire et à accepter les difficultés de la décolonisation ! Alors avait développé tout un corpus de raisonnements biaiseux pour justifier l'injustifiable, corpus qui s'est évaporé depuis.
Les Etats-Unis se sont trouvés bien d'une pente de pratiques monétaires et financières aventurées parce que cela leur évitait de regarder la réalité en face : leur habitude de facilité les conduisaient à une fuite en avant dans tous les domaines qui ne pouvait déboucher que sur de sérieux revers.
Sortir de la situation suppose que les économistes américains eux-mêmes et pas seulement les plus gauchistes, dénoncent l'erreur intellectuelle commises et que les réalités finissent pas border le chemin suffisamment pour amener les corrections d'attitudes nécessaires. L'aspect géopolitique est important ; l'aspect intellectuel l'est plus encore. La politique menée par les Etats Unis était erronée et l'est encore. Elle n'était pas nécessairement mal intentionnée. Greenspan et ses amis Rubin et Paulson n'ont pas voulu "faire le mal pour le mal". Ils croyaient dur comme fer dans leur vision. Greenspan est réellement "détruit" selon ses propres mots par le constat qu'il s'est trompé et que les faits lui ont donné tort.