Depuis son retour au Kremlin en mai 2012, Vladimir Poutine a brutalement durci la ligne à l'égard de tout embryon de contestation. Arrestations, procès, manœuvres pour réduire au silence certaines ONG, inculpations pour le simple de fait de participer à des manifestations, intimidations, lois contre «le blasphème» et «la propagande en faveur de l’homosexualité»... Une chape de plomb semble être revenue sur la Russie après le vent de constestation qui avait suivi les législatives de 2011. Outre Alexei Navalny, opposant condamné ce jeudi à cinq ans de camp d'internement pour une affaire de détournement qu'il nie, plusieurs figures font les frais de cette répression.
Sergueï Oudaltsov
Le leader du Front de gauche, l'un des courants les plus structurés de l'opposition russe, encourt dix ans de camp pour «préparation à l’organisation de troubles massifs» dans le cadre des heurts qui ont suivi la manifestation le 6 mai 2012 à Moscou. Ce rassemblement, à la veille de l’investiture au Kremlin de Vladimir Poutine, avait dégénéré. Plusieurs des dizaines de manifestants interpellés ce jour-là sont encore sous le coup de pousuites.
Oudaltsov rejette en bloc ces accusations. Il est assigné à résidence à son domicile à Moscou depuis février et ses deux compagnons sont en détention provisoire. Il a interdiction de sortir, d’utiliser le téléphone ou Internet. Autrement dit, le Kremlin l'a mis hors d'état de nuire.
Evgueni Ourlachov
Maire d’opposition de la ville de Iaroslavl, à 300 km au nord-est de Moscou, cet élu de 46 ans a été arrêté dans la nuit du 3 juillet avec plusieurs adjoints. Les autorités lui reprochent d’avoir extorqué 325 000 euros à un entrepreneur de la ville. Il sera maintenu en détention jusqu’à l'issue de son procès début septembre. Ce mardi, il a été transféré de Iaroslavl vers un centre de détention de Moscou. Il risque plusieurs années de prison.
Ancien membre du parti au pouvoir Russie unie passé au parti d'opposition Plate-forme civile fondé par le milliardaire Mikhaïl Prokhorov, Evgueni Ourlachov rejette les accusations contre lui et dénonce des pressions à l’approche des élections au parlement local, auxquelles il comptait se présenter en septembre. Dans une lettre publiée dans la presse, il dénonce «un règlement de comptes purement politique». «Les cas comme le mien sont très fréquents : des gens montent de toutes pièces des affaires contre leurs adversaires – maires, gouverneurs, responsables politiques.»
Mikhaïl Khodorkovski
Après deux procès, l'ex-PDG du géant pétrolier Ioukos, qui a tenu tête au Kremlin et financé l’opposition, croupit toujours dans une cellule de Carélie. Emprisonné depuis 2003 pour vol de pétrole et blanchiment d’argent, il devrait sortir en octobre 2014. Aux yeux des libéraux, Mikhaïl Khodorkovski et son adjoint Platon Lebedev, également emprisonné, sont les victimes d’un procès monté par le pouvoir pour s’emparer des actifs de Ioukos. Khodorkovski a toujours rejeté les accusations portées contre lui. Il estime, comme beaucoup, que les tribunaux sont «soumis au Président». Les avocats des deux hommes considèrent que ce jugement reflète la poursuite de la «farce judiciaire» qui dure depuis bientôt dix ans, les juges ayant refusé de reconnaître l’illégalité des jugements précédents.
Garry Kasparov
L’ex-champion d’échecs et opposant exilé a annoncé en juin qu’il ne rentrerait pas à Moscou par peur de représailles. «Si je reviens à Moscou, je doute sérieusement que j’aurais encore la possibilité de sortir du pays», a déclaré Kasparov, à Genève, où il recevait un prix récompensant son engagement pour les droits de l’homme. Le fondateur de l’Autre Russie, première coalition d’opposition à l’autoritarisme du régime russe, avait été brièvement détenu l’été dernier après une manifestation de soutien aux Pussy Riot. Un policier était allé jusqu’à accuser le champion d’échecs de l’avoir mordu, mais la justice n’avait pas suivi.
«N’importe quel militant politique peut désormais être traduit devant les tribunaux comme agent au service des puissances étrangères, expliquait-il à Libération en novembre 2012. La question n’est pas de savoir si Poutine donnera un jour l’ordre de tirer; il est prêt à tout. La question est de savoir s’il aura assez d’exécutants prêts à suivre ses ordres.»
Sergueï Gouriev
Tout comme Kasparov, le recteur de la prestigieuse Nouvelle école d’économie à Moscou, exilé en France depuis fin avril, a annoncé en juin qu’il ne retournait pas en Russie par crainte d’être arrêté. Sergueï Gouriev, qui avait discrètement manifesté son soutien à Alexeï Navalny, a été interrogé à plusieurs reprises ces derniers mois et fait l’objet d’une perquisition dans le cadre d’un dossier concernant Mikhaïl Khodorkovski. Il avait fait partie d’un groupe d’experts mandaté par les autorités pour étudier le bien-fondé de la deuxième condamnation de Khodorkovski qui avait conclu que cette condamnation (qui le maintient en détention jusqu’en 2014) était infondée.
Depuis le retour de Poutine au Kremlin, «l’état de la liberté d’expression s’est détérioré. Beaucoup de lois étranges ont été votées et m’ont déplu, at-il expliqué dans une interview au Monde début juin. Mais mon cas est lié à celui de Khodorkovski. En 2011, à la demande du président Medvedev, j’ai exprimé mon opinion. En 2013, on me poursuit pour cette opinion et on me prive de mes droits.»
Navalny l’ennemi numéro un de Poutine condamné à cinq ans de camp
L’opposant russe numéro un, Alexeï Navalny, a été condamné jeudi à cinq ans de camp dans un procès pour détournement, ce qui devrait écarter de la scène politique l’un des critiques les plus féroces du président Vladimir Poutine.
Le juge Sergueï Blinov a condamné Navalny à «cinq ans de camp» compte tenu de la «gravité du crime» et du «danger qu’il représente pour la société» ainsi qu’à une amende de 500.000 roubles (12.000 euros).
L’opposant a été aussitôt menotté et arrêté dans la salle du tribunal de Kirov à 900 km à l’est de Moscou.
Jugé depuis le 17 avril, M. Navalny, 37 ans et père de deux enfants, est accusé d’avoir organisé en 2009 le détournement de quelque 400.000 euros au détriment d’une exploitation forestière, Kirovles, alors qu’il était consultant du gouverneur libéral de la région.
«Sa culpabilité est entièrement prouvée. Aucune preuve ne confirme les affirmations de Navalny selon lesquelles il est poursuivi pour des raisons politiques», a déclaré le juge en lisant le jugement avec un débit très rapide et d’une voix monotone.
Le parquet avait requis contre lui six ans de camp.
«Ne vous laissez pas aller, ne restez pas inactifs», a réagi l’opposant connu pour ses enquêtes sur la corruption, dans un dernier message sur son compte Twitter avant d’être menotté.
Habillé comme d’habitude d’un jean et d’une chemise à manche retroussée, il semblait ne pas écouter très attentivement le juge pendant l’énoncé du jugement, buvant de l’eau et écrivant sur son smartphone.
Son coaccusé Piotr Ofitserov, directeur d’un groupe commercial auquel la société publique Kirovles a vendu du bois à un prix inférieur à celui du marché, selon l’accusation, a été condamné à quatre ans de camp.
Contrairement au directeur de Kirovles Viatcheslav Opalev, condamné précédemment à quatre ans avec sursis après avoir passé un accord avec les enquêteurs, Ofitserov a refusé de collaborer.
«J’ai cinq enfants. Ils ont aujourd’hui besoin de moi. Mais si j’accepte un accord avec les enquêteurs ils me demanderont quand ils seront grands: «Papa, qu’est-ce que tu as fait?», avait-il expliqué dans sa dernière déclaration au tribunal.
Navalny et Ofitserov ont embrassé leurs épouses présentes dans la salle du tribunal.
«Nous devons travailler et montrer notre solidarité avec Alexeï et Piotr. Tout ira bien», a déclaré Ioulia Navalnaïa, l’épouse d’Alexeï.
Plusieurs opposants se sont rendus à Kirov pour soutenir Navalny.
Boris Nemtsov, ex-vice-Premier ministre de Boris Eltsine a dénoncé une affaire «fabriquée du début à la fin».
La journaliste et militante pour les droits des prisonniers Olga Romanova portait un T-shirt sur lequel on pouvait lire: «Liberté pour Navalny, Poutine voleur!», slogan préféré de l’opposant.
L’ambassadeur américain en Russie Michael McFaul a écrit à Navalny sur Twitter qu’il regardait la retransmission en direct organisée par l’agence publique d’informations judiciaires RAPSI disponible sur internet.
Alexandre Tcherkassov, un responsable de l’ONG russe Memorial a déclaré que Navalny pouvait être considéré comme un «prisonnier politique».
L’Union européenne a réagi en exprimant sa «préoccupation» après cette condamnation qui soulève «de nombreuses questions sur l’Etat de droit en Russie».
La défense de l’opposant a promis de faire appel du jugement.
Navalny a qualifié tout au long du procès les accusations formulées contre lui d'«absurdes», la quasi-totalité de la somme ayant, selon lui, été versée à l’entreprise et le reste constituant la marge de la société -- dont il n’était d’ailleurs pas bénéficiaire -- ayant effectué les transactions.
L’opposant, qui a été mercredi officiellement enregistré comme candidat à l’élection du maire de Moscou le 8 septembre, et a déclaré son intention de briguer la présidentielle de 2018, ne sera plus éligible à partir du moment où sa peine aura été confirmée en appel.
Au cours du procès, l’opposant a affirmé n’avoir «aucun doute» sur le fait que M. Poutine «donnait personnellement des instructions aux enquêteurs».
Orateur efficace, devenu l’une des figures de proue de la contestation née fin 2011, Navalny a dénoncé une «vengeance politique» du Kremlin pour ses révélations sur la corruption, ainsi que pour la campagne menée contre le parti au pouvoir Russie unie et la réélection de Vladimir Poutine à la présidence en 2012.
Ses démêlés judiciaires ne s’arrêtent pas à l’affaire Kirovles, il est également inculpé dans plusieurs autres affaires pour escroquerie.
L’opposition envisage d’organiser un rassemblement jeudi soir place du Manège à Moscou, à deux pas du Kremlin. La mairie a indiqué qu’une telle manifestation n’était pas autorisée et que les manifestants risquaient d’être poursuivis.
«Je vais aller place du Manège parce que le système politique russe vient de faire un bond vers le totalitarisme», a déclaré Sergueï Mitrokhine, leader du parti d’opposition Iabloko, lui aussi candidat à la mairie de Moscou
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