L'usage que fait Benoist de la notion d'intellectuel est piégé, peu clair, et donne lieu, dans son texte, à des glissements. Ainsi, l'idée d'un intellectuel forcément "de gauche" parce que la droite ne pense pas.
Commençons par une définition à peu près acceptée partout de ce qu'est un "intellectuel" : on appelle ainsi un écrivain, un artiste ou un scientifique qui, ne se contentant pas de rester dans son domaine de compétence, intervient dans la vie de la cité. Il utilise son prestige, sa célébrité, acquis dans les arts et les sciences, pour servir une cause sociale ou politique. Ainsi, Hugo peut être considéré comme un intellectuel, mais pas Baudelaire, Einstein mais pas Max Planck. Ce n'est pas que les seconds ne pensent pas ou pensent moins, mais ils n'ont pas utilisé leur notoriété pour livrer un combazt politique ou social explicite, intervenir dans les affaires de la Cité. L'intellectuel est à distinguer de l'expert : c'est un type qui sort de son domaine pour intervenir sur des questions où sa compétence n'est plus. Hugo pouvait donner sans doute de très bons conseils de versification et Einstein expliquer la mécanique quantique, mais ces compétences ne les mettent en rien en position d'avoir une opinion politique plus articulée que celle de n'importe quel clampin.
Le terme même, dans cette acception, est apparu à la fin du 19ème siècle (Affaire Dreyfus, disons), dans une usage essentiellement péjoratif, et pour viser en effet la gauche. (Comme souvent, le terme visant péjorativement une catégorie, a ensuite été repris à son compte et revendiqué de manière positive par ceux qu'il visait).
Il y a eu de grands intellectuels de droite. On peut considérer par exemple que la grande figure intellectuelle de l'entre-deux guerres est Charles Maurras. Comme Barrès fut celle de la fin du 19ème siècle : dans toute cette période, ils sont les figures dominantes.La notoriété et la surface, l'influence sur la jeunesse et les élites pensantes, d'un Jaurès, par exemple, ou même de Zola, ne faisaient pas le poids, à côté.
Donc le terme a été utilisé par la droite pour dézinguer les intellectuels de gauche, mais cela ne signifie pas qu'il n'y ait réellement eu que des intellectuels de gauche, pas du tout.
Ce qui est vrai en revanche, c'est que les intellectuels de droite (et qui étaient bien des intellectuels, hein, pas des plombiers-chauffagistes) ont explicitement renié leur propre intellectualité. Non seulement ils n'ont jamais utilisé ce terme pour décrire leur propre action, mais leur idéologie les conduisait en effet à dénoncer toute intellectualité, de se faire en particulier les adorateurs des valeurs irrationnelles, des instincts, etc. Benda a décrit cela longuement dans La Trahison des clercs, comme une forme de haine de soi de l'intellectuel fasciné par tout ce qui peut être stupide, immédiat, biologique, etc.
Je dis les intellectuels de droite, s'agissant de Benda pour lequel la "trahison des clercs" est loin de ne concerner que la droite, mais ceci ne leur est pas spécifique : il n'a pas manqué d'artistes ou d'écrivain hyperfins pour s'extasier devant les pensums de Staline ou les citations les plus débiles du Petit Livre Rouge. Et l'on a lu Althusser expliquant qu'un ouvrier de chez Renault était beaucoup plus à même de lire et comprendre le Capital qu'un agrégé de philosophie...