Voici, pour tous les grincheux gauchistes du forum qui affirment qu'il est "impossible" de devenir riche à la force de son travail, l'histoire d'un self-made-man, Aristide Boucicaut (1810 - 1877), inventeur et créateur du grand-magasin "Le Bon Marché", à Paris.
Aristide-Jacques Boucicaut était né le 14 juillet 1810 à Bellême (Orne) et mourut le 26 décembre 1877 à Paris. Entrepreneur et homme d'affaires français, il fut le créateur, en 1852, à Paris du premier grand magasin, Le Bon Marché. Il est le pionnier du commerce moderne et son exemple sera rapidement copié en France et à l'étranger. Son œuvre sera continuée et développée pendant 10 ans par sa veuve Marguerite, née Guérin (Verjux 1816, Cannes 1887).
1. Des débuts comme simple commis.
Aristide Boucicaut débute sa carrière commerciale comme simple commis chapelier dans la boutique paternelle à Bellême qu’il quitte en 1828 pour suivre comme associé un marchand de bonneterie ambulant. En 1829, il s'installe à Paris et entre en 1834 comme jeune vendeur dans le magasin de nouveautés "au Petit Saint-Thomas", rue du Bac à Paris, première préfiguration du grand magasin parisien, créé en 1830 par Simon Mannoury : doué pour le commerce il devient rapidement second de rayon puis acheteur en chef du rayon châles. En 1835/1836, il fait la connaissance de Marguerite Guérin, montée elle aussi à Paris de sa Bourgogne natale : elle tient à son compte une crémerie-gargote, un « bouillon », dit-on alors, qui sert un plat du jour aux ouvriers et employés du quartier. Les parents d'Aristide s'opposent à son mariage avec une fille déclassée, ce qui conduit le couple à vivre en concubinage : ils se marieront finalement le 5 octobre 1848. Un fils, Anthony-Aristide (appelé parfois Antoine), naîtra en 1839 et Aristide le reconnaîtra en 1845.
Cette même année, la fermeture du Petit saint Thomas laisse Aristide qui était devenu chef de rayon sans emploi : il rencontre alors les frères Videaux qui viennent de créer dans le même quartier, à l’angle de la rue de Sèvres et de la rue du Bac, leur mercerie nommée « Au Bon Marché ». Il y est embauché et séduit ses employeurs en partageant avec eux le goût du commerce moderne avec entrée libre, affichage des prix, faible marge bénéficiaire, vente par correspondance, soldes..., et en 1852 une association est décidée entre eux, Boucicaut y mettant toutes ses économies et la vente d'un héritage percheron, soit 50 000 francs. Le 1er juin 1853, une nouvelle société est constituée (quatre rayons, une douzaine d'employés, chiffre d'affaires de 450 000 francs) : la SNC « Videau frères et Aristide Boucicaut » dont l'objet est « l’exploitation de la maison de nouveautés Au Bon Marché – Adresse : 22-24 rue de Sèvres au Capital de 441 120 F » avec pour principe de fonctionnement le réinvestissement de tous les bénéfices dans l'affaire.
2. Le « nouveau » Bon Marché
Soutenu par sa femme Marguerite (née Guérin), Aristide Boucicaut se montre entrepreneur et novateur : il ambitionne de créer un vaste magasin moderne où tout doit favoriser la consommation féminine : invitation de la clientèle féminine à sortir de chez elle pour venir passer quelque temps au magasin, marchandises à profusion disposées sur des comptoirs permettant le « libre toucher », L'idée d'un vaste lieu organisé de manière quasi-théâtrale pour multiplier les tentations d'achat, vendeurs ou vendeuses formées pour conseiller le client... L'idée lui serait venue -dit-on- alors qu'il visitait l’Exposition universelle de 1855 et qu'il s'était perdu au milieu des stands. La concrétisation de cette intuition va ouvrir la voie vers une société de consommation et contribuer à créer et à diffuser l'image de la « Parisienne moderne et élégante ».
La rencontre avec Henri Maillard, un pâtissier né à Mortagne-au-Perche non loin du pays natal d'Aristide Boucicaut et qui a fait fortune aux États-Unis, va permettre à Boucicaut de financer et de concrétiser son projet. Le 31 janvier 1863, Boucicaut rachète les parts de ses associés pour 1 million et demi de francs. La transformation et l'extension du Bon Marché se poursuivent avec d'importantes acquisitions foncières.
En 1869, le couple Boucicaut entreprend, sur des plans de l'architecte Louis-Charles Boileau secondé par l'ingénieur Gustave Eiffel, la construction des bâtiments qui existent encore aujourd’hui, et dont la première pierre est posée par Marguerite Boucicaut le 9 septembre 1869. Retardés par la guerre de 1870, les travaux se réalisent jusqu'en 1887 par tranches successives en même temps que se multiplient les acquisitions foncières : la surface finale du magasin atteindra 52 800 m28.
La maison Boucicaut continue à développer une stratégie commerciale moderne innovante :
- entrée libre et affichage des prix,
- périodes dédiées aux fortes ventes (jouets en décembre)
- périodes de soldes comme le mois du « Blanc » en janvier (alors qu'il neige et que ses rayons sont relativement vides après les fêtes de fin d'année, Boucicaut a l'idée de remplir ses rayons en soldant ses stocks de linge blanc) ,
- échange et reprise des marchandises,
- vente par catalogue dans le monde entier (4000 ex diffusés) que permet le développement du chemin de fer,
- construction de l'hôtel Lutétia pour accueillir les riches clients étrangers...
Le fils Anthony-Aristide est associé à la direction du grand magasin, le nom de l'entreprise devenant « MM.A. BOUCICAUT et fils ». Le chiffre d'affaires s'accroît de manière très importante au fil des années : 7 millions en 1862, 21 millions en 1869, en 1877 le Bon Marché réalise 72 millions de chiffre d'affaires et emploi 1788 personnes.
La transformation du magasin est un énorme succès et le Bon Marché devient une véritable institution commerciale et un modèle international. Émile Zola s'en inspirera pour son roman "Au Bonheur des Dames" (1883) dont le titre résume parfaitement la teneur du projet de Boucicaut : le romancier accumulera une importante documentation en visitant le grand magasin emblématique de la seconde moitié du XIXe siècle (le roman est d'ailleurs situé sous le Second Empire).
3. La succession
À la mort d'Aristide Boucicaut survenue brutalement le 26 décembre 1877 (il est inhumé le 29/12 dans la 18e section du cimetière Montparnasse), son fils, gravement malade depuis quelque temps déjà, assura la direction du Bon Marché mais ne lui survécut guère (il mourut d'une longue « maladie de poitrine » le 18 octobre 1879 sans avoir d'enfant).
Marguerite Boucicaut, veuve et sans descendant, dirige alors l'entreprise pendant dix ans, avec l'assistance des anciens collaborateurs de son mari.
Par son testament du 16 décembre 1886, Marguerite Boucicaut, veuve et sans héritier proche, désigne l'Assistance Publique des Hôpitaux de Paris comme légataire universelle, chargée d’exécuter ses volontés testamentaires. Elle prévoit de nombreux legs et demande que soit construit un hôpital sur la rive gauche de la Seine ; ce sera l'Hôpital Boucicaut.
Le couple Boucicaut avait fait construire une villa à Fontenay-aux-Roses, à côté de Paris : Aristide a été longtemps conseiller municipal de la ville. Il fut même élu maire en 1871. Cependant, il refusa ce poste, et préféra rester conseiller municipal. Elle fut transformée en vertu des dispositions testamentaires de Madame Boucicaut en maison de retraite pour les employés du Bon Marché, comme la villa qu'Aristide Boucicaut avait également fait construire et décorer à Bellême, dans sa Normandie natale. Attaché à son village d'origine, il avait également fait procéder à l'aménagement d'une chapelle funéraire dédiée à sa mère dans l'église de son village natal. Bellême honore encore la mémoire de son plus célèbre fils par un monument.
Les Boucicaut possédaient une autre résidence à Cannes, la Villa Soligny qu'ils avaient fait construire en 1868 en porphyre rose de l'Estérel par l'architecte Rimbault. Madame Boucicaut devait y mourir le 8 décembre 1887, dix ans après son mari.
Pour attirer sa clientèle féminine, Boucicaut crée les premières toilettes pour femmes, un salon de lecture pour leurs maris le temps qu'elles fassent leurs emplettes, poste plus de 6 millions de catalogues de mode (accompagnés d'échantillons de tissus découpés par 150 jeunes femmes uniquement dédiées à ce travail) dans le monde entier au début du XXe siècle, parallèlement au développement du service de livraison à domicile et de la vente par correspondance franco de port. Il développe la publicité (affiches, calendriers, réclames, agendas annonçant des évènements quotidiens). Après les épouses, il cible les mères en distribuant des boissons, ballons rouges ou des séries d'images pédagogiques en « Chromos » pour leurs enfants, organisant aussi des promenades à dos d'âne. Les bourgeoises peuvent s'échapper du logis où la société les cloître et passer plus de douze heures dans le magasin à essayer les produits, notamment des vêtements autrefois faits sur mesure et désormais aux tailles standardisées. Certaines d'entre elles s'endettent ou deviennent cleptomanes, d'autres sont troublées à l'idée de se faire effleurer par des vendeurs qui leur enfilent gants ou chapeaux. La respectabilité du magasin étant remise en cause, Aristide Boucicaut fait engager des vendeuses qu'il fait loger dans les étages supérieurs du magasin et qui représentent la moitié du personnel dans les années 1880. En uniforme noir strict, elles sont licenciables et corvéables à merci mais peuvent bénéficier de la promotion interne (second, chef de comptoir puis gérant selon une progression non plus à l’ancienneté mais au mérite). Avec une gestion paternaliste inspirée par le socialisme chrétien de Lamennais, Aristide Boucicaut crée notamment pour ses salariés une caisse de prévoyance et une caisse de retraite, un réfectoire gratuit, un jour de congé payé hebdomadaire1.
Une salle de mille places est installée au sommet de l'immeuble pour accueillir des soirées.
En 1910, à l'initiative de Mme Boucicaut, afin de loger ses clients à proximité, est créé l'hôtel Lutetia qui reste aujourd'hui encore le seul palace de la rive gauche. Le développement du chemin de fer et des expositions universelles attire à Paris les femmes de province et Mme Boucicaut cherche désormais à toucher une clientèle ouvrière par des prix toujours plus bas.
En 1911-1913 à l'angle de la Rue de Sèvres et de la rue du Bac, un nouveau bâtiment du Bon Marché, abritant La Grande Épicerie, est construit par les Ateliers Moisant-Lauren-Savey, successeurs d'Armand Moisant.
Le groupe LVMH de Bernard Arnault rachète Le Bon Marché en 1984 pour en faire le grand magasin du luxe de la rive gauche. Au premier semestre 2012, des travaux débutent pour un agrandissement de la surface de vente.