Hésites pas, ce sera lu ;)
J'essaie alors (je vais en rester à des notes, ce ne sera que plus confus si j'essaie de rédiger. Je ne vais pas non plus passer du temps à chercher les références bibliques, je sais de mémoire que ce que j'évoque est dedans, mais plus où exactement).
Remarques liminaires :
- Le Dieu des chrétiens est personnel : il a une volonté, il communique avec sa création et a un dessein pour elle, ce n'est pas une simple substance ni un autiste se complaisant dans sa propre perfection. Deux preuves suffiront : sa création volontaire du monde et sa participation à la vie de celui-ci ; son incarnation.
- Ses desseins et les voies qu'il envisage pour y parvenir nous sont évidemment impénétrables. Seuls les élus comprendront tout à la fin des temps (et non du monde), ce qu'on dit hors de la révélation qu'il nous a accordée est à prendre au conditionnel.
De la création et de la Chute :
- On remarque dans le récit de la Genèse que la création est un acte continu, progressif, et non un donné achevé. Ainsi, Dieu crée d'abord Adam, puis lui fait nommer les animaux, puis crée Ève, puis leur pose des interdits... Ce qui caractérise les temps historiques, ce n'est donc pas le mouvement, l'enchaînement de périodes et d'événements, mais bien la connaissance du bien et du mal, autrement dit l'existence du mal, notre problème.
- On peut supposer que l'homme n'est pas créé parfait (c'est même certain : dans le cas contraire, il aurait par exemple déjà su le nom des animaux, qu'il ne fallait pas manger tel fruit, etc.), mais que le but de son existence est justement de se parfaire en un sens spirituel. C'est la raison d'être de sa liberté : Dieu lui ayant donné la plus grande dignité, il ne lui impose pas la proximité avec lui et son action mais lui demande son acquiescement. Dans un premier temps (= "paradis" terrestre), l'homme est en communion avec Dieu qui lui enseigne directement telle ou telle chose, jusqu'au péché originel caractérisé par la désobéissance à un commandement clair et malgré l'avertissement que cela le rendrait mortel. Cet événement est terrible et on ne se rendra jamais totalement compte de sa portée. Toujours est-il que la désunion s'est imposée entre l'homme et dieu, et que le premier se retrouve livré à son libre-arbitre. On remarquera ici que la liberté humaine selon le christianisme n'a rien à voir avec l'optimisme libéral : elle n'est foncièrement que possibilité de se tromper et/ou de refuser le bien, et le seul bon usage que l'on puisse en faire est de chercher un bien prédéfini (Dieu) et d'y adhérer. L'homme est devenu capable du mal et c'est prouvé recta par la mauvaise conscience face à la nudité, le meurtre d'Abel, et toute la suite du bouquin.
- Ajoutons au passage que le péché originel a entraîné la chute de l'humanité, mais aussi de la création (même s'il est impossible d'en mesurer la portée). Dieu maudit explicitement la terre à ce moment-là, et s'il se réconcilie avec l'humanité suite au Déluge, il n'en annule pas toute la conséquence. Nous sommes encore dans les temps historiques, le mal est une réalité et la nature aussi en est capable, elle aussi a été dégradée : catastrophes naturelles, prédation, etc. Il est capital de relever qu'avant la Chute, les animaux sont tous décrits comme herbivore, et que dans une vision du royaume des cieux, un prophète juif dit qu'on y verra notamment le lion paître avec l'agneau. Si la nature avait échappé à la Chute, le sang n'y coulerait pas.
- La fin des temps n'est pas une recréation et un retour au paradis originel, mais l'achèvement d'un processus entamé dès l'origine du monde et dont une bonne partie aurait eu lieu de toute façon sans la Chute. Ainsi, il nous est promis un corps glorieux et transfiguré, asexué lors de la résurrection, or il est dit dans la Genèse que nos premiers ancêtres étaient comme nous faits de terre et reproducteurs. La transfiguration finale du monde n'est pas une conséquence du péché originel mais de la création elle-même, c'est le jugement dernier qui l'est du premier.
- Le "bien" chrétien n'a donc jamais été immobilité, stagnation, perfection de tout temps. Il est foncièrement mouvement et progression vers un but, qui est Dieu et sa perfection.
De la providence :
- je tiens juste à dire qu'elle transcende le monde immanent. Une erreur courante est de faire de Dieu l'origine du mal, or l'origine du mal est toujours la volonté humaine, ou la nature dans le cas d'"un" mal. La providence ne se substitue jamais à la cause du mal, elle agit au-delà de lui vers un optimum, un "bien" possible. Dieu ne supprime pas le mal parce qu'il veut notre acquiescement aux fins de la création, et ce dès avant la Chute, comme le prouvent notre nature libre et la possibilité même de la désobéissance d'Adam, or nous avons acquiescé au mal, nous avons été tentés de devenir "comme des dieux" sans l'intermédiaire de Dieu, nous tous, à travers le crime d'Adam, et nous devons donc assumer la conséquence de notre choix (la supprimer limiterait notre liberté et remettrait en question notre capacité à acquiescer à Dieu qui implique aussi de pouvoir le refuser et de l'assumer), mais il reste Charité et limite donc la casse tout en le laissant exister. Ainsi, d'un mal il faut toujours se dire qu'il est le moindre qui pouvait survenir, ou qu'il en naîtra un bien.
Du rôle du mal selon la providence :
- il était important de rappeler que le bien chrétien est le mouvement vers Dieu. Les biens de ce monde sont de faux biens, ou plus exactement des biens d'importance mineure. La création est bonne, mais il était dès l'origine question d'aller au delà, d'y ajouter des noms, des interdits, etc. et de s'élever vers Dieu. Elle est à la fois notre bien et notre épreuve, et existe parce qu'elle est la condition de notre acquiescement aux fins divines (conception anthropocentrique à première vue, mais plus exactement théocentrique : nous sommes faits à l'image de Dieu).
- par conséquent les souffrances, privations d'un être cher, et même la mort physique sont des moindres maux que la mort spirituelle et l'abandon de cette quête tendue vers Dieu. Cette dernière est d'autant plus importante que le péché originel nous en a éloigné : il faut d'abord obtenir la grâce, ou plus exactement y redevenir sensible et y acquiescer, c'est-à-dire retrouver l'accord originel entre soi, le sens de la création et Dieu, pour seulement se remettre sur les rails et poursuivre sa transfiguration/divinisation. Le mal, bien qu'abomination pour le Seigneur, est ainsi l'aiguillon qu'il utilise pour que l'on ne s'enkiste pas, que l'on ne s'amollisse pas, qu'on ne s'arrête pas en chemin. Considérer que la perte de biens terrestres (y compris ses enfants, l'amour, la vie physique) est le pire des maux revient donc à de l'idolâtrie, et il en est d'autant plus compréhensible que ceux qui s'y risquent soient mis à l'épreuve (dans leur intérêt, pour leur faire retrouver le sens de leur existence) par la providence. Quand un juste souffre, c'est plus problématique. C'est toujours une façon de mettre sa foi et son espérance à l'épreuve, ceci dit. On peut aussi considérer que la souffrance du juste a une valeur sacrificielle : les maux frappant les gentils servent à atténuer la dette des méchants. Sorte de charité surnaturelle et forcée, mais si le juste est vraiment juste (comme Job), il le percevra et acquiescera. Sinon, ça redevient une épreuve et un avertissement.
- on remarquera le génie de la providence, le génie divin, en ce que la Chute en faisant entrer le péché et le mal dans le monde, faisait aussi entrer l'outil qui, une fois entre les mains du Seigneur, permettrait de corriger ses conséquences.
Personnellement je ne vois pas de faille.