La Mamie doit être un peu masochiste.
Le Moyen Âge n'a pas "oublié" l'antiquité pour la "redécouvrir" à la Renaissance. L'idée qu'une rupture se produit alors est un thème historiographique remontant dans une certaine mesure à la Renaissance elle-même qui a voulu déprécier l'époque la précédant, qualifiée de "moyen âge" (période trouble, intermédiaire et inintéressante) et de gothique (donc barbare, incompatible avec le monde gréco-latin. Le terme de "gothique" en architecture et en littérature vient de là...). On parle là d'un mouvement culturel et snobinard italien, dont il est difficile de dater l'apparition exacte (Trecento ? Quatrocento ? etc.) La périodisation et la définition de la Renaissance elle-même est une invention du XIXème siècle progressiste (Michelet, Burckhardt...) Ils ne font ceci dit que faire de l'opinion des humanistes d'alors une vérité : renaissance de l'antiquité, "moyen âge" en tant que période creuse entre deux apogées de la culture classique.
Donc, ce qui est nouveau c'est moins l'étude de la culture antique que la volonté de l'imiter parce qu'on en fait un sommet indépassable du potentiel créateur humain, comme l'explique Régine Pernoud :
A consulter les sources du temps, textes ou monuments, il s’avère que ce qui caractérise la Renaissance, celle du XVIe siècle, et rend cette époque différente de celles qui l’ont précédée, c’est qu’elle pose en principe l’imitation du monde classique. La connaissance de ce monde, on la cultivait déjà. Comment ne pas rappeler ici l’importance que prend, dans les lettres, l’Art d’aimer d’Ovide dès le XIe siècle, ou encore, dans la philosophie aristotélicienne au XIIIe siècle. Le simple bon sens suffit à faire comprendre que la Renaissance n’aurait pu se produire si les textes antiques n’avaient été conservés dans des manuscrits recopiés durant les siècles médiévaux. On a souvent évoqué, il est vrai, pour expliquer cette "redécouverte" d’auteurs antiques, le pillage de Constantinople par les Turcs en 1453, qui aurait notamment eu pour résultat d’amener en Europe des bibliothèques d’auteurs antiques conservées à Byzance ; mais quand on examine les faits, on s’aperçoit que cela n’a joué qu’à une échelle infime et n’a été aucunement déterminant. Les catalogues de bibliothèques qui nous ont été conservés, antérieurs au XVe siècle, le prouvent abondamment. Pour prendre un exemple, la bibliothèque du Mont-Saint-Michel au XIIe siècle comportait des textes de Caton, le Timée de Platon (en traduction latine), divers ouvrages d’Aristote et de Cicéron, des extraits de Virgile et d’Horace...
Ce qui était nouveau, c’était l’usage qu’on faisait, si l’on peut dire, de l’Antiquité classique. Au lieu d’y voir comme précédemment un trésor à exploiter (trésor de sagesse, de science, de procédés artistiques ou littéraires, dans lequel on pouvait indéfiniment puiser), on s’avisait de considérer les œuvres antiques comme des modèles à imiter. Les Anciens avaient réalisé des œuvres parfaites ; ils avaient atteint la Beauté même. Donc, mieux on imiterait leurs œuvres et plus on serait sûr d’atteindre la Beauté.
Il nous paraît difficile aujourd’hui d’admettre que l’admiration doive, en art, amener à imiter formellement ce que l’on admire, à ériger en loi l’imitation. C’est pourtant ce qui s’est produit au XVIe siècle. Pour exprimer l’admiration qu’il éprouvait envers les philosophes antiques, un Bernard de Chartres, au XIIe siècle, s’était écrié : "Nous sommes des nains montés sur les épaules de géants." Il n’en concluait pas moins qu’ainsi porté par les Anciens, il pouvait "voir plus loin qu’eux".
Mais c’est la manière même de voir qui change à l’époque de la Renaissance. Repoussant jusqu’à l’idée de "voir plus loin" que les Anciens, on se refuse à les considérer autrement que comme les modèles de toute beauté passée, présente et à venir.
Et n'importe qui peut confirmer que les moines apprenaient le latin en lisant Plaute et Cicéron, qu'on lisait le latin et même le grec à la cour de Charlemagne, que tout archiviste ou savant par la suite connaissait ses classiques, que les pères de l'Eglise étaient évidemment très cités, que les échanges intellectuels avec l'empire romain n'ont jamais été interrompu, etc. Quiconque a jamais lu un peu de textes médiévaux n'a pu qu'être frappé par l'emploi de termes anciens anachroniques montrant une réelle acculturation des clercs à la civilisation gréco-latine, au point de ne pas toujours prendre conscience qu'ils vivaient dans un monde sensiblement différent. Par exemple, la façon de désigner les musiciens et autres clowns avant l'invention de termes plus spécifiques comme "troubadour" et cie empruntait au registre antique (histrio, mimus, joculator...)
Ce qu'il s'est passé à la Renaissance, en partant de l'Italie, c'est un regain d'intérêt pour des textes que l'on connaissait, dans leur grande partie, déjà. Un phénomène de mode amplifié par l'imprimerie, la traduction de ces oeuvres en langue vernaculaire, et la naissance d'une république intellectuelle européenne hors du circuit universitaire (augmentation des communications, meilleures diffusions des oeuvres, etc., guerres d'Italie qui font remonter vers le Nord, au XVème siècle, ce bouillon de culture novateur.)
L'impression de redécouverte est due au fait que, un dialogue mineur de Platon dont tout le monde se foutait pendant des siècles et qui n'était lu que par les moines de quelques monastères allait par exemple être dépoussiéré puis imprimé voire traduit et donc lu et commenté par des centaines d'artistes et d'intellectuels à l'échelle d'une génération dans tout le continent. La fascination pour l' "ancien", née principalement dans le monde des lettres et des arts, est comme je le disais un snobisme précoce poussant les wannabe "originaux" à rejeter la culture médiévale de papa. Être "in", ça devient rejeter toute la culture "scolastique" (donc scolaire, universitaire) pour aller chercher son inspiration dans l'imitation directe des Anciens.
Cela impliquait aussi de mieux connaître cette antiquité que l'on "redécouvrait". On s'est donc mis à chercher les oeuvres originales et intégrales à cette époque, en ayant une approche critique des sources, alors qu'avant on avait plutôt tendance à se contenter de fragments et surtout de ce qu'en disaient d'autres auteurs (les pères de l'Eglise les citant, par exemple, les commentateurs divers et variés...).