Quatre des principales compagnies pétrolières internationales font face à un déclin de leurs productions globales de brut, en dépit de profits sans précédent. Peuvent-elles inverser la tendance ?
ExxonMobil
En 2011, les extractions de pétrole d'ExxonMobil ont atteint 2,312 millions de barils par jour (Mb/j), en chute de 4,5 % par rapport à 2010 et de 11,6 % par rapport à 2007, d'après les données disponibles dans le dernier rapport annuel du groupe.
Pourtant le nombre des forages entrepris par ExxonMobil de par le monde a augmenté très fortement, passant de 971 nouveaux puits en 2007 à 1 249 en 2010, puis 1 606 en 2011, soit une hausse de 65 % sur quatre ans. Même tendance pour ce qui concerne les coûts nets de production annuels : Exxon est passé de 78,6 milliards de dollars en 2007 à 152,5 milliards en 2010, puis à 166,7 milliards en 2011 (+ 112 % en quatre ans !).
La chute de la production d'Exxon se transforme en effondrement si l'on considère la seule production de brut conventionnel ― le pétrole liquide classique, qui constitue près des deux-tiers de l'offre du géant américain : 1,338 Mb/j atteints en 2011, après 1,496 Mb/en 2010 (-10,5 %) et 1,875 Mb/j en 2007 (- 27,5 % !)
Exxon mange son pain noir : "what else ?" Ses principales perspectives de développement se situent en Irak (où Exxon est plus que jamais en délicatesse avec le gouvernement de Bagdad, et prend le risque de se voir fermer l'accès aux projets les plus massifs), dans l'Arctique russe (où l'immixtion réussie par le pétrolier yankee pourrait rester un vain tour de force, si l'on se fie aux derniers pronostics ― pessimistes ― publiés par l'Agence internationale de l'énergie) et enfin en Amérique du Nord, où les incertitudes demeurent... nombreuses.
Royal Dutch Shell
ses extractions de pétrole brut et de gaz naturel liquide ont enregistré un recul de pas moins de 9,5 % entre 2010 et 2011, pour s'établir à 1,536 Mb/j, selon le dernier rapport annuel. Une tendance erratique dans le meilleur des cas, puisque l'année précédente, la production de Shell avait au contraire connu une hausse d'une ampleur similaire.
Le patron de Shell, Peter Voser, a reconnu l'an dernier que compte tenu du rythme actuel de déclin de la production mondiale existante, il faudrait que l'industrie pétrolière dans son ensemble soit capable de développer au cours de cette décennie "l'équivalent de quatre Arabie saoudite ou de dix mers du Nord (...) rien que pour maintenir l'offre à son niveau actuel"...
Symbolique ? Shell a vu la semaine dernière l'une de ses plateformes de forage s'échouer en l'Alaska, suite à une tempête. Le site du magazine Forbes évoque un pur et simple "fiasco" de la Royal Dutch Shell en Arctique. Le Financial Times soulignait hier à quel point il sera délicat de développer les ressources offshore du grand Nord, ultime vaste zone géographique encore largement inexplorée sur Terre.
BP
elle aussi a dû interrompre en 2012 ses efforts pour forer au large de l'Alaska.
Mais les déboires de la troisième grande major historique sont loin de s'arrêter là. L'ex-British Petroleum voit aussi sa production globale de brut décliner très fortement. En 2011, celle-ci a atteint 2,157 Mb/j, en recul de 9,1 % par rapport à 2010, et de 15 % par rapport à 2009, d'après le dernier rapport annuel.
La production de BP est en recul à peu près partout, notamment en mer du Nord, en Amérique et en Afrique. Très loin de suffire à compenser ces déclins multiples, le retour en Irak en 2011 de l'ex-compagnie nationale britannique confirme à nouveau la position clé désormais occupée par Bagdad sur l'échiquier de l'or noir.
Après avoir atteint une production record en 2010, le grand ensemble de champs pétroliers offshore dénommé Azeri-Chirag-Guneshli, lancé en 1997 par BP, traverse en ce moment un sacré trou d'air, avec une chute de près de 12,7 % au cours de la seule année 2011. Une chute qui s'est poursuivie au cours de l'année 2012, relève l'agence spécialisée Platts.
Les extractions de l'Azerbaïdjan ont au total décliné de 11,4 % entre 2010 et 2011.
Total
perspectives optimistes concernant l'avenir de sa propre production. Ces perspectives reposent pour une part essentielle sur une poursuite très plausible du développement de l'exploitation des sables bitumineux au Canada.
Mais là encore, l'évolution récente de la production semble raconter une autre histoire.
Les extractions de pétrole de Total sont en recul continu depuis 2007 :
2007 : 1,509 Mb/j ; 2008 : 1,456 ; 2009 : 1,381 Mb/j ; 2010 : 1,340 Mb/j ;
2011 : 1,226 Mb/j.
La production de brut Total a donc reculé de 8,5 % entre 2011 et 2010, et de 18,8 % entre 2011 et 2007, d'après les données disponibles dans le dernier rapport annuel du groupe français. On se situe au-delà des taux de déclin annuel de 5 % mentionnés ici ou là dans l'industrie (par exemple par Peter Voser de Shell) pour la seule production existante. Or ici dans le cas de Total, les taux de déclin concernent la somme de la production existante et des nouveaux puits mis en production année après année.
Ce recul des extractions totales de Total (désolé) a lieu dans le contexte d'un maintien de profits records et d'envolée des dépenses dans l'exploration et le développement de la production. Celles-ci ont atteint 30,2 milliards de dollars en 2011, en hausse de 72 % sur un an, et de quasiment 250 % sur quatre ans. Pour l'heure, tout se passe comme si forer de nouveaux puits dans des champs matures ne suffisait en rien à enrayer le déclin de ces mêmes champs, quels que soient les projets nouveaux initiés par ailleurs.