Je cite ce commentaire de lecteur sur Amazon :
« Cet inventaire un peu curieux introduit-il à une problématique et à une argumentation ? Force est de reconnaître que la conférencière exagère fortement l’influence de Vichy (« La France d’après-guerre se reconstruit largement sur les acquis de Vichy. Nous vivons largement sur les acquis de Vichy »), qu’elle confond parfois mesures concrètes et réformes de structure et qu’on arriverait facilement à une réhabilitation du régime. La conférencière reprend nombre de stéréotypes sur Vichy qui vont à l’encontre des acquis historiographiques les plus forts : on l’entend ainsi dire que les paysans ont massivement soutenu Vichy (voir notre compte rendu de la conférence de vendredi à Blois, de Fabrice Grenard et Eric Alary, sur le thème « Le monde paysan sous Vichy. Mythe et réalité »), qu’ils ont eu un rôle quasi inexistant dans la Résistance, que Vichy a défendu le petit paysan, n’évoquant à aucun moment le statut du fermage et du métayage issu du programme du CNR. Il aurait été préférable de se situer dans le temps long, pour ne pas attribuer à Vichy ce qui remonte bien souvent à une volonté de réforme manifestée dans divers milieux au cours des années 1930. »
Ceci résume assez bien l'impression qui se dégage à la lecture de cet ouvrage : l'auteure exagère fortement l’influence de Vichy. Livre au titre trompeur au demeurant, tant il amalgame des éléments qui probablement auraient eu lieu indépendamment du régime de Vichy – et qui donc ne sont pas des « mesures » – avec ce qui relève des réminiscences des décrets (le terme « législatif » employé étant largement abusif) effectivement pris à l'époque. Il semble que l'auteure, dans sa volonté de coller à l'air du temps (Vichy, c'était la France...) collationne le plus possible de restes de la Collaboration pour appuyer sa démonstration. Tout en n'omettant pas les illustrations pétainistes : francisque gallique, étoiles du maréchal (qui bien sûr est écrit avec le M majuscule) et feuilles de chêne.
Reconnaissons tout de même que Cécile Desprairies, en introduction de ces soit-disant « mesures », dans le paragraphe « Un peu d'histoire », en rappelle les origines. Ce qui, la plupart du temps en relativise le propos et par voie de conséquence la pertinence.
On peut raisonnablement douter de ce travail lorsque l'on entre dans les détails et que l'on constate les nombreuses erreurs et approximations qui émaillent cet ouvrage. Ainsi apprend-on que (petit florilège) :
*les Spitfire opèrent la nuit (p. 38) ;
*la puissance des sirènes s'exprime en Hz (p. 38) ;
*la télévision en France est due aux Allemands (p. 39) alors que depuis 1937 une émission quotidienne est diffusée et que l'invention de la télévision ne peut être attribuée clairement ;
*les Français « se mettent à manger du riz de Camargue » en 1944 (p. 75, calcul fait cela représente environ 55 g par personne et par an, bébés et vieillards inclus...) ;
*on joue Mozart mais que l'on oublie Da Ponte (p. 87), alors que l'affiche de la page 82 montre le contraire ;
*la découverte de la grotte de Lascaux, en 1941, serait à mettre au crédit de Vichy (p, 106), grotte découverte par hasard par des enfants... ;
*le premier film en couleur diffusé en France « relève de l'occupant » (p. 109), alors qu'il s'agit de Becky Sharp, premier film en Technicolor datant de juin 1935 et diffusé en France le 4 octobre 1935 ;
*l'invention de la pellicule couleur est due à « Kodachrome » (p. 110), pour Kodak, Kodachrome étant l'appellation donnée par cette firme à ses pellicules de films inversibles ;
*dans le chapitre « Métiers » (p. 138-179), signalons un oubli de taille, la FNSEA (qui ne portait pas ce nom à l'époque : Confédération générale de l'agriculture , mais est bien, elle, un héritage de Vichy) ;
*« Rhône-Poulenc (sic, cette appellation date de 1961) s'est associé à Bayer pour fabriquer et commercialiser l'aspirine » (p. 204) alors que la Société chimique des usines du Rhône commercialise ce produit depuis 1908 et que le Traité de Versailles, de juin 1919, décide que l'aspirine sera dorénavant traité comme une prise de guerre et que la marque Aspirine et son procédé de fabrication tombent dans le domaine public ;
*concernant les transports, l'auteure oublie les règlements du métro qui datent de Vichy ;
*on se demande où les ingénieurs des ponts et chaussées des années 1960 auraient bien pu faire passer le périphérique parisien ailleurs que sur l'ancien tracé des fortifications (p. 233-235) au motif que leurs prédécesseurs, issus de la même école, l'avait prévu ainsi dans les années 1940.
Cette liste n'est pas limitative et je laisse le soin aux lecteurs plus attentifs de la compléter.
Certains médias, en faisant un accueil dithyrambique à ce livre (Libération, entre autres, pour ne pas le nommer), on se demande qui l'a lu, ont écrit et dit qu'il mettrait mal à l'aise les historiens, cela est on ne peut plus faux. Il y a longtemps que les historiens sérieux (eux) ont traité correctement la question, sans amalgames. Question qui ne fait plus guère débat d'ailleurs, de tout temps, partout, des régimes ce sont succédés sans pour autant abolir tout ce qui avait été fait avant eux, sinon, par exemple, le Code Napoléon n'aurait pas survécu...
Inutile de dresser ce genre de catalogue fourre-tout pour s'en convaincre.
A contrario, dans le même style, quand donc l'auteure rédigera-t-elle un livre sur les mesures et lois de la Troisième République conservées par Pétain ?
Lequel, rappelons-le, a toujours conservé pour lui le titre de Président du Conseil (le seul qu'il détenait légalement... de la République) et qui, dans son projet de Constitution, du 31 janvier 1944, prévoyait de conserver pour le chef de l'État le titre de président de la République. En août 1944, n'a-t-il pas tenter de « transmettre ses pouvoirs » au général de Gaulle ?
Non, désolé, ce livre n'est pas œuvre d'historien. Dommage.
Si c'est aussi bancal je suis surpris du soutien de Leroy-Ladurie.