Novembre 2011, les locaux de Charlie Hebdo à Paris sont attaqués au cocktail Molotov, à la veille de la publication de l'édition spéciale Charia Hebdo, incluant des caricatures de Mahomet. Mercredi 19 septembre, l'hebdomadaire satirique récidive en consacrant sa "une" aux violences qui enflamment le monde musulman, après la diffusion d'extraits du film L'Innocence des musulmans. Là encore, couché sur le papier, le prophète musulman est représenté, barbe bien fournie et turban enroulé autour du crâne, parfois même dans des positions pour le moins osées. Et les condamnations pleuvent.
Le recteur de la Grande Mosquée de Paris, Dalil Boubakeur, parle "d'huile sur le feu", tandis que Mohammed Moussaoui, le président du Conseil français du culte musulman (CFCM), déplore un "acte irresponsable". Pourquoi tant de critiques ? Au-delà du possible caractère offensant des images, c'est surtout une nouvelle fois le problème de la représentation du prophète qui s'impose. Mais "l’islam interdit-il la fabrication d’images de Mahomet ?", s'interroge Slate, dans un article écrit en 2011 et repris pour l'occasion.
Le prophète n'est qu'un homme
Car le sujet, toujours explosif, prête à beaucoup de confusions. En la matière, la seule affirmation limpide des textes sacrées, selon le site d'informations, c'est que "les trois grandes religions monothéistes que sont l’islam, le judaïsme et le christianisme ont comme point commun l’acceptation d’un seul Dieu (Allah pour la religion musulmane) et l’interdiction de le représenter".
Mais le prophète musulman, en dépit de son caractère sacré, n'est qu'un homme, et le Coran – contrairement à la Bible – n'interdit à aucun moment la représentation d'un être vivant. Une idée confirmée par le spécialiste de l'islam, Malek Chebel, interrogé par Le Nouvel Observateur, qui explique qu'"aucun texte fondateur de l'islam ne formule comme telle une interdiction de la représentation de Mahomet".
L'image sacrée, l’idolâtrie interdite
La seule trace de consigne existant à ce sujet dans la religion musulmane se trouve dans les hadiths, c'est-à-dire les recueils qui retranscrivent l'ensemble des traditions relatives aux actes et aux paroles de Mahomet et de ses compagnons.
Plusieurs textes font en effet "référence à la fabrication d’images d’hommes ou d’animaux, et donc de Mahomet lui-même", note Slate, qui cite Al-Bukhârî, LXXVII, 87. Al-Sahîh (L’Authentique), l’un des plus grands et importants recueils de hadiths, compilé au IXe siècle. "Les anges n’entreront pas dans une maison où il y a un chien, ni dans celle où il y a des images", y est-il écrit. Mais "l'image" tant honnie est dans ce cas interdite principalement "à cause du risque d’idolâtrie qu'elle entraîne, un des pires pêchés dans l’islam comme dans le christianisme et le judaïsme." C'est donc bien le comportement humain qui est en cause, tandis que l'image, elle, est sacrée, rappelle Mark Chebel.
"L'islam étant une religion abstraite, il a fallu cependant trouver un système pour représenter le prophète", explique le chercheur au Nouvel Observateur. "On a alors inventé la calligraphie qui est née dans les mosquées. Allah (Dieu d'Abraham) et le prophète Mahomet ont trouvé leurs représentations dans un graphème. En fait, l'équivalent des icônes représentant Jésus dans les églises", continue-t-il.
Copieur de Dieu
D'autres hadiths évoquent cette interdiction, mais elle concerne là aussi toute représentation d'humains ou d'animaux, pâles copies impures du geste de Dieu. "Plusieurs hadiths affirment que le jour du jugement dernier, ceux qui ont peint des hommes ou des animaux seront sommés de leur insuffler une âme, de leur donner vie", souligne Slate.
C'est sur la base de ces textes que certains estiment que la religion musulmane interdit les représentations de Mahomet. Mais l'histoire montre que la défense de ce texte n'a pas toujours été une priorité, dans la mesure où de nombreuses œuvres mettant en scène le prophète ont été réalisées depuis le XIIIe siècle. "Aux XIVe et XVe siècles, les représentations de Mahomet à visage découvert n’étaient pas problématiques et n’ont pas entraîné de réprobation de la part des autorités religieuses", selon Slate. Même des ouvrages religieux ont figuré le prophète "pour promouvoir la connaissance de l’islam ou même pour transcrire des hadiths en image."
Comment expliquer dès lors la polémique créée par les caricatures de Charlie Hebdo, et l'importance qu'elles prennent dans le monde musulman ? "Certains experts l'interprètent comme une réaction identitaire face à l’acceptation des arts figuratifs dans les sociétés occidentales et chrétiennes", conclut Slate.
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