L'orchidée pourpre et le bulldozer : voici la triste fable qui vient de se jouer dans les bois de Belleville- sur-Bar. Les naturalistes sont en colère. Mais le maire leur reproche d'avoir gardé secrète leur découverte.
Il y a six ans, le petit monde des naturalistes et des botanistes ardennais était en fête : au hasard d'une promenade, Arnaud Bizot, vice-président de la Société d'histoire naturelle des Ardennes et professeur à Charleville, venait de découvrir une station d'Epipactis pourpres dans la forêt d'Argonne, sur le territoire de la commune de Belleville-et-Châtillon-sur-Bar. En latin, des Epipactis purpura, membres de la famille des orchidées.
La station était remarquable à plus d'un titre : d'une part parce que cette plante est rarissime (il n'y a que deux autres stations ardennaises connues, près de Signy-l'Abbaye), et de fait inscrite sur la liste rouge des espèces protégées dans les Ardennes ; d'autre part, car la station découverte ce 1er août 2006 était d'une grande richesse, avec une population d'une centaine d'individus (par comparaison, les deux stations signaciennes ne comptent que deux ou trois individus).
« Cette station était importante et très connue des naturalistes et des botanistes », indique Arnaud Bizot. Mais pas du grand public, et c'est peut-être ce qui a précipité sa perte.
Un bois pas protégé, un maire pas informé
Revenant sur les lieux cet été, en vue de prélever quelques feuilles pour un professeur du CNRS (lire par ailleurs), Arnaud Bizot constate brutalement que toute la station a disparu. À l'emplacement initial, en bordure d'un chemin forestier, il découvre… un bulldozer. Exit la précieuse orchidée, place à une voirie communale de 1,4 km.
Le botaniste, qui dit avoir été « écœuré » sur le coup, reconnaît aujourd'hui que cette destruction était sans doute « plus liée à de l'ignorance » qu'à une quelconque volonté de nuire. Ce que confirme le maire du village, René Bocquet, qui va même plus loin : il reproche aux naturalistes, non seulement de ne jamais l'avoir informé de la présence de la fleur, mais aussi de ne pas avoir suivi l'enquête publique concernant le chantier (lire par ailleurs).
En résumé, la perte irrémédiable de cette station a été causée par un cruel manque de dialogue : les défenseurs de la nature ignoraient qu'une route était en construction, et les commanditaires de cette route, qu'elle passerait par l'Epipactis purpura…
Par ailleurs, ce bois n'étant pas protégé (il n'est inscrit ni dans le réseau Natura 2000, ni dans l'inventaire des Zones naturelles d'intérêt écologique, faunistique et floristique), « aucune étude d'impact sur la faune et la flore n'était exigible pour entreprendre de tels travaux », reconnaît Nature et avenir.
Tout en jugeant « regrettable » cette « malheureuse et irréparable situation », Arnaud Bizot note, philosophe, qu'elle « illustre parfaitement, une fois encore, les difficultés et problèmes posés par la conservation de la biodiversité, malgré les cadres réglementaires disponibles ».
Guillaume LÉVY
Réunion vendredi soir
Pour en savoir plus, Nature et avenir organise une réunion débat ce vendredi 14 à 18 h 30, salle de Nevers à Charleville-Mézières. La soirée sera animée par le botaniste Arnaud Bizot, qui présentera un vidéorama sur le thème « Végétations et flore des Ardennes : une biodiversité méconnue ».
Entrée gratuite, ouverte à tous y compris les non adhérents. Renseignements : 03.24.38.55.59.
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