La fin du XVIIIe siècle en France est une période riche en évènements politiques et sociaux, mais aussi scientifiques. J'ai retrouvé dans un vieux bouquin quelques témoignages de l'époque sur ce formidable périple que fût le premier vol habité à bord d'une montgolfière.
Né à Metz en 1754, dans une condition modeste, Pilatre de Rozier sut, après une vie assez aventureuse, se créer, par ses talents de physiciens et de chimiste un véritable renom à Paris. Nommé secrétaire au cabinet de Madame, il fonda une sorte d’Athénée, le Musée de Paris, sous la protection du comte de Provence. Doué d’une ambition égale à son courage, Pilatre s’enthousiasma dès le début pour l’aérostation dont il allait devenir la plus grande gloire et le premier martyr.
Le marquis d’Arlandes, major d’infanterie, était Dauphinois, étant né à Anneyron, près de Valence. Bien que sa carrière soit assez obscure, son nom doit rester attaché à celui de Pilatre, dont il fut le compagnon dévoué dans sa première traversée aérienne.
Avant de donner quelques extraits du récit du marquis d’Arlandes nous citerons un passage de l’avocat Thilorier, écrit quelques années après le grand événement :
<< Ce petit voyage des deux premiers aéronautes restera éternellement célèbre dans l’histoire de l’audace humaine. Des ouvertures avaient été pratiquées autour du cylindre… qui renfermait la flamme. Obligés de former le contrepoids, Pilatre et d’Arlandes étaient privés de la satisfaction de se voir ; ils avaient ôté leurs habits ; leurs bras étaient nus juqu’au-dessus des épaules et ils étaient perpétuellement occupés à entretenir le feu qui les soutenait alors, mais qui devait bientôt devenir funeste à l’un d’eux : on les entendait s’interroger et se répondre par des cris d’autant plus alarmant que l’éloignement les affaiblissait davantage. Et pendant que la machine se balançait et qu’il en sortait des nuages de fumée, armés l’un et l’autre d’un ringard, ils soulevaient la paille pour en activer la combustion ; ils fourgonnaient et faisaient pleuvoir des fumerons à demi brûlés qui , dans leurs chute, s’embrasaient une seconde fois. Jamais silence plus profond ne régna sur la Terre : l’admiration, la terreur et la pitié étaient présentes sur tous les visages ; les aéronautes s’éloignaient ; la rivière n’était plus au-dessous d’eux. On les vit se reposer pendant quelques secondes ; la montgolfière baisa ; elle disparut ; et, après une attente de deux heures, l’on apprit enfin qu’ils étaient encore l’un et l’autre au nombre des vivants : illi robur et aes triplex circa pactus erat… >>
Le marquis d’Arlande a laissé une relation alerte et calme à la fois et d’une surprenante simplicité :
<<Nous sommes partis à 1 heure54 minutes… La machine, dit le public, s’est élevée avec majesté… J’étais surpris du silence et du peu de mouvement que notre départ avait occasionnés sur les spectateurs ; je crus qu’étonnés et peut-être effrayés de ce nouveau spectacle ils avaient besoin d’être rassurés… Ayant tiré mon mouchoir, je l’agitai et je m’aperçu alors d’un grand mouvement dans le jardin de la muette… C’est dans ce moment que M. Pilatre me dit :
- Vous ne faites rien et nous ne montons guère.
- Pardon – lui répondis-je, mais il fallait bien rassurer ces malheureux humains que nous laissons là-bas dans une situation moins douce que la nôtre.
Je mis une botte de paille, je remuai le feu et je me retournai bien vite, mais je ne pus retrouver la Muette. Etonné, je jette un regard sur le cours de la rivière, jela suis de l’œil, enfin j’aperçois le confluent de l’Oise… Je regardai par l’intérieur de la machine, et j’aperçus sous moi la Visitation de Chaillot. M. Pilatre me dit dans le moment :
- Voilà la rivière et nous baissons.
- Eh bien mon cher ami, du feu !
Et nous travaillâmes. Mais au lieu de traverser la rivière… nous longeâmes l’isle des Cygnes, rentrâmes sur le principal lit de la rivière et nous la remontâmes jusqu’au-dessus de la barrière de la Conférence. Je dis à mon brave compagnon :
- Voilà une rivière qui est bien difficile à traverser
- Je le crois bien – me répondit-il, vous ne faites rien.
- C’est que je ne suis pas si fort que vous et que nous sommes bien…
Je saisis avec ma fourche une botte de paille… je la secouai au milieu de la flamme. L’instant d’après, je me sentis comme soulevé par-dessous les aisselles et je dis à mon cher compagnon :
- Pour cette fois nous montons
Je me tourne pour voir où nous étions, et je me trouvai entre l’école militaire et les Invalides que nous avions déjà dépassés d’environ 400 toises… J’entendis un nouveau bruit dans la machine… ce nouvel avertissement me fit examiner avec attention l’intérieur de notre habitation. Je vis que la partie qui était tournée vers le sud était remplie de trous ronds dont plusieurs étaient considérables. Je dis alors :
- Il faut descendre
- Pourquoi ?
- Regardez…
En même temps, je pris mon éponge, j’éteignis aisément le peu de feu qui minait quelques uns des trous que je pus atteindre. ; mais, m’étant aperçu qu’en appuyant pour essayer si le bas de la toile tenait bien au cercle elle s’en déchirait très facilement., je répétai à mon brave compagnon :
- Il faut descendre
Il regarda sous lui et me dit :
- Nous sommes sur Paris
- N’importe – lui dis-je, mais, voyons, n’y a-t’il aucun danger pour vous , êtes-vous bien tenu ?
- Oui
J’examinai de mon coté et je m’aperçus qu’il n’y avait rien à craindre… Je dis alors :
- Nous pouvons traverser Paris.
Pendant cette opération, nous nous étions sensiblement rapprochés des toits. Nous faisons du feu et nous nous relevons avec la plus grande facilité. Je regardai sous moi et je découvris parfaitement les Missions étrangères… Je vis sur ma gauche une espèce de bois que je crus être le Luxembourg ; nous traversons le Boulevard, et je m’écrie :
- Pour le coup, pied à terre !
Nous cessons le feu ; l’intrépide Pilatre, qui était en avant de notre direction, jugeant que nous donnions dans les moulins qui sont entre le Petit-Gentilly et le Boulevard, m’avertit. Je jette une botte de paille, en la secouant pour l’enflammer… nous nous relevons… mon brave compagnon me crie encore :
- Gare les moulins !
Mais, mon coup d’œil fixé par le diamètre de l’ouverture me faisant juger plus sûrement de notre direction, je vis que nous nous ne pouvions pas les rencontrer, et je lui dis :
- Arrivons…
Nous nous sommes posés sur la Butte-aux-cailles, entre le Moulin des Merveilles et le Moulin Vieux, environ à 50 toises de l’un et de la galerie, je sentis le haut de la machine presser faiblement ma tête, je le repoussai et sautai hors de la galerie ; en me retournant vers la machine je crus la trouver pleine ; mais, quel fut mon étonnement, elle était parfaitement vide et totalement aplatie. Je ne vois point de toile qui le couvrait ; mais, avant d’avoir tourné la machine, je l’aperçus sortant de dessous en chemise, attendu qu’avant de descendre il avait quitté sa redingote.
Le voyage avait duré vingt à vingt-cinq minutes et son étendue était d’une dizaine de kilomètres. Les aéronautes étaient montés à plus de 1000 mètres et n’avaient éprouvés aucune incommodité de cette première exploration de l’atmosphère. Parmi les signataires du procès verbal consacrant cette grande expérience se trouvaient Benjamin Franklin, le duc de Polignac et de Guines, le comte de Vaudreuil et Faujas de Saint-Fond.
Réf : Histoire de l’aéronautique – Charles Dollfus & Henri Bouché (1938)