La propriété, question formidable par les intérêts qu'elle met en jeu, les convoitises qu'elle éveille, les terreurs qu'elle fait naître. La propriété, mot terrible par les nombreuses acceptions que notre langue lui attribue, les équivoques qu'il permet, les amphigouris qu'il tolère. Quel homme, soit ignorance, soit mauvaise foi, m'a jamais suivi sur le terrain même où je l'appelais ? Que faire, qu'espérer, lorsque je vois des juristes, des professeurs de droit, des lauréats de l'institut, confondre la PROPRIÉTÉ avec toutes les formes de la possession, loyer, fermage, emphytéose, usufruit, jouissance des choses qui se consomment par l'usage?
- Quoi, dit l'un, je ne serais pas propriétaire de mon mobilier, de mon paletot, de mon chapeau, que j'ai bien et dûment payés!
- On me contesterait, dit l'autre, la propriété de mon salaire, que j'ai gagné à la sueur de mon front !
- J'invente une machine, crie celui-ci; j'y ai mis vingt ans d'études, de recherches et d'essais, et l'on me prendrait, on nie volerait ma découverte ! - J'ai , reprend celui-là, produit un livre, fruit de longues et patientes méditations ; j'y ai mis mon style, mes idées, mon âme, ce qu'il y a de plus personnel dans l'homme, et je n'aurais pas droit à une rémunération !
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Que diriez-vous d'un physicien qui, ayant écrit un traité sur la lumière, étant propriétaire par conséquent de ce traité, prétendrait avoir acquis toutes les propriétés de la lumière, soutiendrait, que son corps d'opaque est devenu lumineux, rayonnant, transparent; qu'il parcourt soixante-dix mille lieues par seconde et jouit ainsi d'une sorte d'ubiquité ?
Pierre-Joseph Proudhon, Théorie de la propriété