On les avait appelées " les oubliées"..
Certaines de ces survivantes, après s’être murées dans le silence, ont finalement accepté de parler de l’expérience traumatisante qu’elles avaient vécue. C’est le cas de Jan Ruff – O’Herne qui lors d’une interview dans un media australien a évoqué cette terrible expérience.
Ci dessous quelques extraits de cette interview.
« C’est quelque chose que vous aimeriez dire, le crier. Mais vous ne pouviez jamais en parler car la honte était trop grande. C’est quelque chose que personne ne peut imaginer, de vivre avec cela pendant 50 ans. Une chose si terrible. Impossible d’en parler ». Jan Ruff O’Herne.
Jan Ruff O’Herne est une femme douce qui vit dans un quartier calme d’Adélaïde (Australie). Pendant des décennies cette mère et grand-mère a gardé un terrible secret – une expérience de son passé tellement honteuse qu’elle craignait constamment que ces enfants ne l’apprennent un jour.
Jan et sa famille ont été fait prisonnieres quand les japonais ont envahi l’Indonésie pendant la seconde guerre mondiale. Jan a été retirée du camp de prisonnier et obligée de devenir esclave sexuelle. Apres que 3 coréennes eurent révélé à la face du monde ce qu’elles avaient enduré, Jan a décidé elle aussi de parler, 50 ans après cette terrible expérience. Ses enfants bien que choqués par l’histoire de leur mère ont décidé de la soutenir dans sa nouvelle mission : faire campagne dans le monde entier pour la protection des femmes en temps de guerre.
Jan Ruff O’Herne
« J’ai grandi dans les anciennes colonies hollandaise de l’est indien, constituant maintenant l’Indonésie. Née en 1923, j’ai eu l’enfance la plus magnifique. Quand la guerre dans le Pacifique a éclaté, et puis que les japonais ont envahi Java en mars 1942, c’est alors que cette magnifique vie s’est terminée parce que les japonais ont emprisonné tous les civils – pas seulement les hommes, mais aussi les femmes et les enfants – dans des camps japonais. Et j’étais avec ma famille et j’ai été internée pendant 3 ans et demi dans un camp japonais. Famine, torture, punitions, maladies, vous savez. J’ai vu tous les jours des personnes mourir. »
Apres la guerre elle a été envoyée en Hollande comme tous les internés hollandais. Elle a rencontré son mari, un soldat britannique, l’a épousé et rejoint en Grande Bretagne. En 1960, la famille a émigré en Australie.
Jan : « En 1992, 50 ans après, je me souviens avoir entendu les nouvelles que la guerre avait éclaté en Bosnie et que des femmes y avaient été violées. Puis j’ai vu à la TV les femmes coréennes « de réconfort ». Ces femmes sud coréennes « de réconfort » étaient les premières à parler. Et je les ai regardé dans mon salon. Et elles demandaient justice et des compensations et une excuse plus que tout autre chose. Elles voulaient que le gouvernement japonais s’excuse. Et elles n’obtenaient rien. Et j’ai pensé : « je dois soutenir ces femmes. Maintenant il est temps de parler. »
Il devait y avoir une audition internationale sur les crimes de guerre japonais en décembre 1992 à Tokyo. On m’a demandé si je voulais être témoin. Mais avant que je ne puisse faire cela, bien sûr, je devais en parler à ma famille. Je devais en parler à Eileen et Carol. Vous savez, comment pouvez vous dire une chose pareille à vos filles ? La honte était encore tellement grande vous savez. Je devais leur dire, mais je ne pouvais pas leur dire face à face. »
Jan a remis deux enveloppes à ses filles avec son histoire écrite intitulée : « cri d’une violée ». Toutes deux ont été profondément choquées d’apprendre l’histoire terrible de leur mère.
Jan : « J’étais dans le camp depuis deux ans. Ils ont donné l’ordre que toutes les jeunes filles de 17 ans devaient se mettre en ligne dans la cour. Des hauts gradés militaires ont marché vers nous et nous ont scruté de la tête aux pieds, regardant notre visage, nos jambes, et c’était très certainement un processus de sélection qui était en cours.
On nous a obligé à monter dans un camion ouvert et on nous a emmené dans celui-ci comme si nous étions du bétail. Et je me souviens nous étions effrayées et nous nous accrochions à nos petites valises et nous nous accrochions les unes aux autres. Et le camion s’est arrêté devant une grande maison coloniale hollandaise, et on nous a dit de sortir. Quand nous sommes rentrés dans la maison, on nous a dit que nous étions là pour le plaisir sexuel de l’armée japonaise. En fait, nous nous sommes retrouvées dans un bordel. C’était un bordel. Et, vous savez, notre monde s’est écroulé sous nos pieds. Et nous avons commencé directement à protester. Nous avons dit que nous avions été forcèes à faire cela, qu’ils ne pouvaient pas faire cela, qu’ils n’avaient aucun droit de le faire, que c’était contre la Convention de Genève, et que nous ne le ferions jamais. Mais ils ont tout simplement ri de nous, vous savez, ils ont simplement ri. Ils ont dit qu’ils pouvaient faire de nous ce qu’ils voulaient.
J’avais toujours voulu devenir une nonne, vous savez. J’ai été élevée par les soeurs franciscaines de l’école primaire jusqu’au collège, et j’avais toujours voulu être nonne. Je veux dire, alors de réaliser, vous savez…Ouai, ce qui allait arriver. Je ne peux le décrire. On nous a donné des noms de fleurs et ils étaient accrochés à nos portes, vous savez. Je ne peux me souvenir de mon nom de fleur japonais. Je ne voulais tout simplement rien savoir là dessus. Ils ont commencé à nous emmener de force l’une après l’autre. Et je pouvais entendre tous les cris venant des chambres, vous savez, et vous attendez votre tour, vous savez. Et puis il y a eu ce gros officier japonais chauve qui me regardait, me souriant, et j’ai beaucoup lutté, mais il m’a juste entraînée de force vers la chambre. Et j’ai dit « je ne vais pas faire cela » et il a dit « bon, je te tuerai. Si tu ne te donnes pas à moi, je te tuerai. ».
Et il a effectivement sorti son sabre. Je suis tombée à genoux et j’ai dit mes prières et j’ai senti que Dieu était très proche. Je n’avais pas peur de mourir. Et comme je priais, il…il n’avait pas l’intention de me tuer bien sûr. Il m’a simplement jetée sur le lit – m’a tenu, ma jeté sur lit et a déchiré tous mes vêtements et m’a violé de la façon la plus brutale. Et, j’ai pensé qu’il ne s‘arrêterait jamais. C’était le plus…le plus horrible… Je n’avais jamais pensé que souffrir pourrait être aussi terrible. Puis il a quitté la pièce et j’étais complètement choquée. J’ai pensé : « je veux allé à la salle de bain. Je veux laver tout cela, je veux supprimer toute cette honte, toute cette saleté. Juste me laver pour faire disparaître tout cela, laver tout cela pour le faire disparaître. »
Et quand je suis arrivée à la salle de bain, toutes les autres filles étaient là. Nous étions toutes là dans la salle de bain, vous savez, toutes complètement hystériques et pleurant et essayant de laver cette saleté, vous savez, la honte. En une nuit nous avons perdu notre jeunesse. Nous avons perdu notre innocence, notre jeunesse. Nous étions un petit groupe de fille tellement pitoyables, et nous nous embrassions juste les unes les autres. Et combien de fois chacune d’elle a été violée cette nuit ? Vous savez, je n’oublierai jamais la première nuit. Et nous nous sentions tellement sans défense. Et cela allait arrivé depuis, nuit après nuit. »
Sa fille Eileen après avoir lu la lettre est allée voir sa mère et l’a entourée de ses bras en pleurant. Ii
Jan : « Toutes ces années, j’avais tellement honte. Vous pensez « qu’est ce qu’ils vont penser de moi ? Vous savez ? « Je ne peux pas le dire. Qu’est ce qu’ils vont penser de moi » Et puis d’avoir cette réaction magnifique, vous savez, cette étreinte – tout est dit dans cette étreinte. Vous essayer de vous cacher. Vous essayez de vous enfuir et vous essayez de vous cacher quelque part. »… Vous ne pouvez pas vous cacher de toute façon vous être rattrapé à la fin vous savez. »
« La peur, la peur. Je n’oublierai jamais cette peur. Vous savez, elle court tout le long de votre corps comme un courant électrique. Et cette peur ne m’a jamais quitté pendant toute ma vie. Je peux ressentir cette peur parfois la nuit quand je suis assise ici dans mon salon, regardant par la fenêtre, et quand il commence à faire nuit. Et même maintenant, quand je vois qu’il commence à faire nuit je peux encore ressentir cette peur qui m’envahit, vous savez ? Elle ne m’a jamais vraiment quittée. Vous arrivez à un moment ou vous pensez, « j’ai tout essayé. Qu’est ce que je peux faire. Qu’est ce que je peux faire de nouveau ? » Je me suis coupée les cheveux. J’ai pensé que si je me faisais le plus laide possible personne ne voudrait de moi. Et j’avais l’air vraiment horrible, vraiment laide. Et les autres filles ont dit « Oh, Jan, qu’est ce que tu as fait ? Qu’est ce que tu as fait » J’ai dit : « peut être qu’ils ne me voudront plus maintenant. »
Cela a fait de moi un objet de curiosité. Et ils me voulaient encore plus parce que j’étais la fille qui avait coupé ses cheveux. Cela… vous savez la fille chauve, vous savez. « Nous voulons tous la fille chauve. » Cela a juste eu l’effet opposé pour une raison ou pour une autre, vous savez ? Donc cela ne m’a fait aucun bien.
Il y avait une pièce aménagée où nous devions être examinées chaque semaine contre les maladies sexuelles. Chaque semaine, quand le médecin avait l’habitude de venir pour les examens, ils laissaient la porte ouverte, les fenêtres ouvertes, et ainsi les soldats japonais étaient invités à regarder alors que nous étions examinées, vous savez. Quand le docteur est arrivé, je suis allée vers lui et je lui ai dit « écoutez je veux que vous sachiez que nous sommes ici contre notre volonté. Utilisez votre influence. Allez voir les plus hautes autorités, dites leur, qu’on nous force à faire cela. » Il a juste ri et il a finit par me violer lui-même. Et depuis ce temps, chaque fois que le docteur venait pour sa visite régulière, il avait l’habitude de me violer d’abord. Même le docteur m’a violé.
Et cela a continué, semaine après semaine, mois après mois. Et nous étions complètement réduites à l’état d’épaves. J’avais été battue tant de fois. A un moment donné, je me souviens avoir été assise au bordel, il faisait presque nuit, et j’ai sorti un mouchoir. Et j’ai demandé aux autres filles si elles voulaient bien écrire leurs noms sur le mouchoir. Et elles l’ont fait. Je voulais avoir garder d’elles un souvenir pour toujours. Vous savez, je voulais avoir quelque chose de solide pour me souvenir pour toujours. Donc elles ont toutes écrit leur nom sur le mouchoir, brodé sur ce mouchoir.
Un jour, on nous a dit de faire nos valises et on nous a emmené au camp de transit. J’ai alors été réunifiée avec ma mère et mes deux plus jeunes sœurs. Et de voir de nouveau ma mère, vous savez, après tant de temps. Et ma mère a regardé ma tête chauve, vous savez, et a craint le pire. Et cette première nuit, je ne pouvais même pas parler ou lui dire quelque chose. J’ai juste … Je peux le ressentir maintenant, j’étais dans les bras de ma mère, vous savez, à l’ombre de ses bras, vous savez, ses bras autour de moi. Et elle a juste caressé ma tête, vous savez, elle caressait continuellement ma tête chauve. Et je suis restée dans les bras sécurisant de ma mère, et nous n’avons pas parlé, nous sommes restés comme cela. Et puis le jour suivant, je lui est raconté ce qui était arrivé et ainsi ont fait les autres filles. On avait toutes ces filles avec leurs mères, vous savez. Et les mères ne pouvaient tout simplement pas faire face à cette histoire, ce qui était arrivé à leurs filles, vous savez. C’était trop pour elles – elles ne pouvaient pas affronter tout cela. Et nous avons juste raconté ce qui c’était passé à nos mères une seule fois. Et nous n’en avons plus jamais parlé – C’était tout simplement trop pour elles. »
Extraits d’une Interview réalisée par Caroline Jones, parue dans Australian Stories le 30/08/01 http://www.abc.net.au/austory/transcripts/s351798.htm. Production et Recherche : Margaret Parker
Synthèse et traduction en français Mireille Delamarre pour www.planetenonviolence.org