Essais nucléaires : les victimes ardennaises s'organisent
ARDENNES. Des expertises complémentaires concluent à un lien vraisemblable entre les radiations produites lors des essais effectués en Polynésie et en Algérie, et les maladies graves développées par d'anciens militaires et professionnels du nucléaire. Une nouvelle plutôt favorable pour plus de 700 victimes qui attendent à ce jour d'être indemnisées, dont une dizaine d'Ardennais.
C'EST une avancée majeure pour la reconnaissance des victimes des essais nucléaires français effectués en Polynésie et en Algérie de 1960 à 1996. Des expertises complémentaires concluent en effet à un lien probable entre les retombées radioactives et les maladies graves - notamment des cancers - développées par d'anciens militaires et professionnels du nucléaire.
Parmi 15 plaignants expertisés à la demande de la juge d'instruction chargée de la procédure pénale, Anne-Marie Bellot, ce lien de causalité a en tout cas été jugé « vraisemblable » pour six d'entre elles par le docteur Florent de Vathaire, directeur de recherche en épidémiologie à l'Inserm-Institut Gustave Roussy.
Depuis le début de l'instruction, fin 2003, à la suite du dépôt de plainte de l'Association des vétérans des essais nucléaires (Aven), et l'ouverture d'une information judiciaire, début 2004, pour « homicide involontaire, atteinte à l'intégrité physique et administration de substances nuisibles », ces conclusions sont les premières, dans le volet pénal de l'affaire, à clairement pencher vers la reconnaissance de la responsabilité des pouvoirs publics.
Mais elles pourraient également redonner l'espoir aux quelque 720 victimes potentielles qui, par le biais de l'Aven, ont sollicité, au civil, une demande d'indemnisation. Et parmi elles, une dizaine d'Ardennais, victimes de graves maladies déclarées.
La cause n'est cependant pas gagnée pour autant. Jusqu'à présent, seuls quatre dossiers examinés par le comité d'indemnisation des victimes (Civen) ont reçu un accord favorable.
Le rapport d'expertises de Florent de Vathaire devrait toutefois changer la donne du côté de la défense des victimes, même s'il faudra probablement établir une causalité directe entre les essais nucléaires et les maladies déclarées.
Dans les Ardennes, la stratégie à suivre constituera en tout cas le cœur d'une réunion qui sera animée le 7 septembre prochain, à la salle de la Manufacture de Balan, par le délégué régional de l'Aven, Jean-Paul Demange.
« L'objectif est de faire passer un maximum de dossiers, confie-t-il. Mais nous avons bon espoir. Lors de la campagne présidentielle, nous sommes rentrés en contact avec les staffs de François Hollande et d'autres. Le gouvernement précédent se foutait de notre gueule. Le discours de Sarkozy consistait à affirmer que les essais nucléaires français étaient propres et qu'il n'existait pas de lien de contamination. Or, du côté du président Hollande, nous avons eu la promesse que la loi serait changée après nous avoir consultés. »
La prudence reste pourtant de rigueur, d'autant plus que l'auteur des expertises, Florent de Vathaire, « s'est toujours montré négatif », souligne pour sa part Patrice Bouveret, le directeur de l'Observatoire des armements. « C'est un revirement. Cela m'étonne plutôt de sa part. »
Il n'en demeure pas moins que la nouvelle pourrait décider d'autres victimes potentielles des essais nucléaires français à porter plainte. Elles seraient 150.000 en France.
A Charleville-Mézières, Dominique Méchin, lui, ne s'est pas encore vraiment décidé. Présent dans le Sahara de mars à décembre 1965, il se trouvait dans « un rayon de 5 à 10 kilomètres » quand les essais ont eu lieu. D'abord opéré de polypes à la vessie en 1982, les « rayons ont ensuite réussi à tuer les cellules cancéreuses » raconte-t-il. « C'est pourquoi je m'interroge encore. Cela me gêne de déposer un dossier. Finalement, j'ai eu la chance de m'en sortir. »
Membre de l'Aven, Dominique Méchin a décidé pour le moment de poursuivre le combat pour que soient reconnues les victimes des essais nucléaires français. « On aimerait au moins bénéficier d'un suivi médical pour savoir si nous avons été irradiés mais aussi obtenir la reconnaissance de la Nation, déclare-t-il. Les gens comme moi, on se bat pour ça ! » Egalement pour les enfants. « Beaucoup de vétérans n'ont pas de maladies déclarées, mais leurs enfants, si. Seulement, la loi ne les considère pas comme victimes mais comme ayant-droit d'un parent irradié. Or, beaucoup d'entre eux sont touchés. »
Reste à savoir quelle orientation prendra la nouvelle juge d'instruction chargée du dossier, Marie-Odile Bertella-Geffroy, dans la recherche de la vérité. Seules, les expertises n'y suffiront pas. Il faudra vraisemblablement passer par la déclassification de certaines archives classées secret-défense.
Franck BRENNER