Dans les termes, un état théocratique chrétien est une contradiction. Du moins, si l'on prend le mot théocratique dans sa stricte acceptation : état où le pouvoir politique est exercé par l'autorité religieuse. Car le Christ enseigne « Rendez donc à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu. » (Mt 22 21), ce qui est interprété par la Tradition chrétienne comme une affirmation de la nécessaire distinction du politique et du religieux.
Cette distinction entre la sphère politique et la sphère religieuse, que la doctrine chrétienne nomme "juste et saine laïcité" (par opposition au laïcisme anti-clérical ambiant) implique une autonomie fonctionnelle des autorités spirituelles et des autorités temporelles : elles exercent leur autorité sur les mêmes sujets, mais chacune est compétente dans son propre domaine... De fait, depuis le Concile Vatican II, l'Église assimile cette juste et saine laïcité dans les rapports de l'Église et de l'État au régime de la liberté religieuse : la reconnaissance positive et le respect de la liberté civile en matière religieuse (liberté de conscience, liberté d'expression, liberté de culte). Vous voyez donc qu'un état théocratique ne pourrait pas se réclamer du Christianisme authentique.
Il y aurait beaucoup à dire sur la conception chrétienne de l'état, sur l'état chrétien. Et c'est sans doute ce qui vous intéresse... Je vais faire bref, mais n'hésitez pas à me demander des développements (par contre, n'étant pas actuellement chez moi, je ne peux pas vous donner de références...). Outre la distinction essentielle entre politique et religion (mentionnée ci-dessus), qui s'oppose aux conceptions théocratique ou gallicane, la doctrine sociale chrétienne distingue également très clairement le social et le politique (la société civile et l'état), ce qui s'oppose à la conception totalitaire.
Pour le dire autrement, et pour reprendre votre questionnement initial : l'état chrétien n'est pas intégralement responsable de l'avènement de la société chrétienne. Si la loi divine régit potentiellement tous les aspects de la vie des fidèles (dès lors qu'ils possèdent un caractère moral), en revanche, la loi positive - de nature politique - d'un état chrétien ne régit que la dimension civique de la vie des fidèles. C'est le concept de liberté civile - déjà mentionné dans sa dimension religieuse - qui émerge par contraste : le droit de la personne de ne pas être contraint par l'autorité politique dans certains domaines de son existence (ceux qui ne sont pas assujettis à la politique). Par exemple, en matière religieuse, en matière d'éducation, en matière de mœurs privées, etc. Cette distinction entre liberté morale et liberté civile est fondamentale pour comprendre la conception chrétienne de la politique.
Il n'existe pas d'équivalent à la charria dans la religion chrétienne. Nous avons bien le Décalogue, mais ce n'est à mon avis pas du tout comparable. L'explicitation de la loi divine dont le point de départ est la Révélation relève de la responsabilité de l'Église, qui s'appuie pour cela sur la Tradition et le travail des théologiens. Une autre responsabilité de l'Église en matière politique est de former et d'éclairer les consciences, notamment celles des responsables politiques. Par contre, la transcription de la loi divine en droit positif est exclusivement du ressort des autorités politiques (en particulier, législatives), bien que l'Église puisse - et même doive - s'exprimer avec force lorsqu'il lui semble que les législations positives ne sont pas conformes au droit naturel.
Il me faudrait développer aussi la conception "organique" de la société qui ressort de la doctrine sociale chrétienne, mais je le ferai ultérieurement : il se fait tard (sinon, vous pouvez aussi chercher sur le forum)...
Que la Paix de Dieu soit avec vous !
Christophe
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